III/ Des figures de femmes

En tant qu’art féminin confinant au magique et à la manipulation du « pouvoir du monde », en tant qu’« expression la plus raffinée et la plus haute de la culture matérielle » et que « talent le plus relevé que l’on puisse souhaiter aux femmes, et qui démontre leur parfaite éducation », la broderie aux piquants s’avère être le cœur de représentations complexes de la féminité dans les sociétés amérindiennes des Plaines. Diverses figures féminines sont ainsi déclinées, la jeune fille bientôt mariée, l’épouse parfaite, la mère, la femme perdue. Entre elles, nous verrons que les manières d’êtres ne sont pas systématiquement oppositionnelles ou tranchées, mais que des ponts, des liens, des ambivalences sont possibles. Ce sont les figures de la transformation et du passage qui nous aiderons à répondre à cette question, incarnées par la Femme Double, la Femme Daim ou encore Double Visage.

Les valeurs associées à la pratique du travail aux piquants sont symboliques, cosmologiques, sociales, statutaires, elles engendrent des pratiques concrètes entre les sexes, les genres, les espèces. Ce sont les corps qui sont forgés dans cette logique, mais aussi les esprits et les rêves de ces femmes. Nous verrons que ces conceptions permettent également d’expliquer des pratiques contemporaines, tant dans les conduites sociales que dans les identités ou les rôles attribués aujourd’hui aux femmes des Plaines.

En comparant les pratiques, les manières de faire, nous verrons aussi des manières de penser, de rêver, de concevoir son rôle, sa place, comme son art. En apprenant la broderie, la jeune fille apprend donc les cadres de sa féminité en devenir, les codes qui régiront son existence en tant qu’épouse, puis mère. Par le travail de l’aiguille et sa liaison profonde aux mythes, elle va apprendre quelle doit être son attitude, si elle veut correspondre au modèle idéal de féminité mis en exergue par sa société. En brodant, elle incorpore donc plus qu’une mémoire des gestes et des savoirs-faire, elle incorpore sa culture (au sens de l’idée d’ « inculturation », Margaret Mead).