2/ Rêver de la Femme Double : choisir sa féminité

A. L’expérience visionnaire

Le rêve de Rattling Blanket Woman, nous allons le voir, contient malgré son étrangeté des récurrences communes aux rêves de la Femme Double.

Voici comment Hassrick 190 le raconte :

‘« Ainsi Rattling Blanket Woman rêva que deux ours portant sur leurs têtes des plumes d’aigle l’emmenaient dans une magnifique caverne richement décorée. Là, elle vit un autre ours et un squelette. Un homme âgé lui dit alors, d’une voix de femme, qu’elle devait choisir le chemin qu’elle prendrait pour entrer : de gauche à droite, ce qui était la règle pour pénétrer dans un tipi (marche du soleil), ou de droite à gauche. Elle fut prévenue que les trois ours étaient ses enfants, soit un fils et deux filles. Si elle ne faisait pas attention, son mari ressemblerait au squelette. Elle devait donc être vigilante et choisir d’un côté ou de l’autre ; en cas d’erreur, elle deviendrait aussi squelette et n’aurait pas d’enfants. Rattling Blanket Woman choisit d’entrer de droite à gauche ; les ours se changèrent alors en un engoulevent, une hirondelle et une hirondelle de rivière. Tous portaient une queue de chat à la place de la leur. Lorsqu’elle revint à sa place, ils s’étaient tous transformés en humains, et le vieil homme avait ses traits à elle. Effrayée, elle s’éveilla.
Rattling Blanket Woman se maria et eut trois enfants, deux filles et un garçon. Chacun d’eux ressemblait aux oiseaux de son rêve. Par la suite, elle attribua son talent pour le travail du piquant de porc-épic au fait que son rêve était celui de la Femme Double. Elle pensa, que si, dans son rêve, elle avait choisit l’autre sens elle serait devenue une femme médecine.
Alors qu’elle était enfant, les rêveurs de la Femme Double dansèrent dans tout le camp en portant des poupées et des cordes en nerf de bison . Ils crachaient une salive noire, preuve évidente qu’ils possédaient le pouvoir de la Femme Double. Elle s’évanouit à leur approche, et comme elle restait inconsciente, les gens supposèrent qu’elle avait reçu une vision. Plus tard elle vécut d’autres rêves : on l’instruisait dans ce qu’elle devait faire pour ne pas perdre sa famille. Faillir à ces instructions la faisait vomir une substance noire. Rattling Blanket Woman était considérée comme wakan par les autres, mais pas au point d’être une femme médecine. La relation qui existait entre celles dotées d’un talent particulier pour la broderie et celles ayant rêvé de la Femme Double ou de la Femme Daim était si étroite qu’on avait du mal à les différencier. »’

Ces principes communs sont les suivants : choix entre deux chemins possibles, qui déterminent chacun une existence différente. Choix généralement entre être une bonne épouse et une bonne mère ou choix d’une vie « spéciale », sans enfants, en tant que femme médecine ou artiste accomplie, pouvant conduire à la perdition (rappelons les dangers qui guettent la couturière, « vieille fille » ou « fille légère »). Nous verrons également que le récit de Rattling Blanket corrobore d’autres descriptions de rituels liés au culte de la Femme Double (défilés dans les villages, poupées, substance noire salivée).

Cependant, avant d’entrer dans les détails de ces existences possibles et de leurs significations, il nous faut présenter qui est la Femme Double, et quelles sont les deux autres figures féminines qui lui sont liées, déclinaisons possibles d’elle-même, Double Face et la Femme Daim. Il nous faut également expliquer la pratique du rêve dans les sociétés amérindiennes.

Double Woman (Femme Double) ou parfois Two Women (Deux Femmes), winyan nunpa en lakota, est un être surnaturel complexe, constitué dans un agencement de dualités alternantes, articulant l’idée de féminité dans cette culture.

Elle semble incarner les diverses possibilités d’être au féminin dans les sociétés des Plaines. Rêver d’elle n’est jamais anodin, et peut changer à tout jamais la destinée d’une femme. Entre bonne et mauvaise épouse, femme modeste et extravagante, maternité et stérilité, industrie et paresse, les rêveuses de la Femme Double doivent décider de leur avenir d’artiste, d’épouse, de mère, et même « d’être humain » (c’est-à-dire faisant partie du « peuple », nom que se donnent les Lakota comme bon nombre d’autres tribus amérindiennes) au sein de leur communauté.

Double Woman est ainsi considérée comme l’inventrice du travail aux piquants chez les Lakota, et source du talent artistique chez les femmes (c’est exactement ainsi qu’elle est d’ailleurs décrite et interprétée dans la cassette vidéo « Lakota Quillwork », que nous évoquions plus haut). Elle était donc la protectrice des artistes féminines et la « patronne » des sociétés de brodeuses aux piquants, «wipata okalakiciye » 191 , cercles où se réunissaient les rêveuses de Double Woman, afin de non seulement pratiquer leur art et partager leurs connaissances, mais encore d’honorer les prescriptions rituelles liées à ce don.

Ces sociétés de brodeuses avaient donc pour origine une volonté créatrice de la Femme Double, qu’elle exprimait en déléguant ses pouvoirs aux femmes lakota à travers des rêves et des visions. Hassrick (p.276) et Sundström (p.101) notent ainsi respectivement à ce sujet :

‘« Il arrivait qu’un oiseau ou un animal leur parlent, dans un langage codé, d’un pouvoir et des devoirs qu’il entraîne. Tel était le cas du rêve de la « Femme double ». Il pouvait venir à une fille encore jeune. Au cours de ce rêve, l’enfant recevait les instructions de la « Femme daim » ou de ses manifestations surnaturelles. Il arrivait souvent, par la suite, que la jeune fille devienne un vrai chamane ou soit versée dans les arts féminins. »’

Et, « It is clear from the statements of Lakota quillworkers themselves that their designs and techniques were derived from Double Woman dreams. ».

Obtenir une vision (« pleurer pour une vision », « crying for a dream » d’après l’expression communément employée dans les Plaines), pour les hommes comme pour les femmes lakota, conférait généralement la connaissance de chants sacrés, de prières, de notices rituelles, de talismans et de capacités, de dons, comme celui de soigner, d’exceller au combat ou de travailler aux piquants. Dans ce contexte, un individu ne pouvait apposer ou même connaître de motifs aux propriétés sacrées à moins d’avoir reçu la « permission » des esprits de le faire, permission accordée par le don d’un rêve ou d’une vision. Même les hommes-médecine ne pouvaient véritablement et complètement acquérir leurs savoirs spécifiques sans l’obtention d’une vision, comme Georges Devereux le soulignait dans le cas de la culture mohave :

‘« Bien que, dans la pratique, le futur chamane apprenne les chansons et les techniques qui guérissent en regardant faire les chamanes établis, c’est le rêve de (ré) apprentissage qui compte, parce que seul l’apprentissage en rêve peut « infuser » de la puissance à sa propre performance. » 192

C’est par le rêve que venait donc aussi la légitimité, la reconnaissance publique du don.

Dans cette perspective, toutes les femmes se devaient d’apprendre la broderie aux piquants, mais seule la rêveuse de la Femme Double parvenait à exceller et à transmettre par le pouvoir de ses rêves toute la puissance des dons offerts par les esprits. C’est pourquoi ces rêves étaient désirés, et même provoqués, notamment dans les loges menstruelles 193 , par le recours au « fasting », c’est-à-dire au jeûne et à la prière intensive. De la même manière, les jeunes hommes passaient leurs premières épreuves devant les conduire à devenir des hommes, par le biais des quêtes de vision, appelée hanbleceya chez les Lakota (de hanble, « vision, rêve » et ceya, « implorer » 194 ).

Cette quête prenait également la forme d’une retraite, hors de la communauté et du village. Sous la responsabilité et les conseils d’un Aîné ou d’un homme-médecine, le jeune garçon va entreprendre d’obtenir une vision, en se retirant généralement dans un lieu réputé pour son contact avec les esprits et, durant quatre jours, jeûner, prier, fumer la pipe. Le rituel est généralement précédé et conclu par une purification dans la sweat lodge, loge à sudation.

Les visions comme les mythes procèdent, comme nous pouvons le constater par exemple dans celle de Rattling Blanket, d’un espace et d’un temps autre. Les êtres, les choses, les lieux se transforment sans cesse. L’interprétation des visions est donc parfois délicate, et doit bien souvent passer par une personne expérimentée, homme médecine ou rêveur récurrent. Elan Noir, célèbre homme-médecine et visionnaire sioux 195 , insistait ainsi sur la nécessité d’interpréter et même de représenter une vision :

‘« Je crois l’avoir dit, mais si je ne l’ai pas fait vous l’aurez compris, un homme qui a eu une vision n’est pas apte à se servir du pouvoir de cette vision tant qu’il ne l’a pas représentée sur terre, pour être vue par le peuple. »’

Par exemple, un homme qui rêve d’un bouclier avec un motif spécifique, qu’il perçoit dans son rêve comme lui donnant des pouvoirs spéciaux : s’il fabrique dans la vie ce bouclier, il lui permettra, par ses pouvoirs intrinsèques (le motif), et par le fait d’accomplir la volonté des esprits en « donnant corps » au rêve (donc en suivant leurs « conseils »), de « changer » le cours des choses. En l’occurrence, probablement de gagner la bataille.

C’est ensuite à travers ces rêves et leurs récurrences que seront identifiés les rêveurs comme appartenant à tel ou tel esprit, donc à telle ou telle société. Comme le soulignait Roger Bastide :

‘« Le rêve n’est jamais seulement rêvé, il est interprété au réveil, et il est interprété à travers la culture du groupe du rêveur : c’est le rêve et un rêve stéréotypé qui consacre le sorcier ou le chamane. […] C’est le rêve et un rêve stéréotypé qui révèle chez les Indiens d’Amérique du Nord, au cours des cérémonies d’initiation, le totem individuel, et qui fixe par conséquent le statut social de la personne dans un ensemble structurel. » 196

Les individus se « marquent » par leurs rêves, trouvent leurs places et leurs fonctions au sein de sociétés de rêveurs, comme celle de la Femme Double. Ainsi, tous les auteurs197 attestent ce regroupement au sein de cercles, guildes ou sociétés, affichant ainsi leur reconnaissance envers Double Woman pour son assistance spirituelle, son appui, la délivrance de pouvoirs. Voici comment C. A. Lyford décrivait ces réunions en 1940, « the porcupine quillworkers (wipata okalakic’eya) » :

‘« Un jour particulier, les brodeuses aux piquants de porc-épic se réunissent et se montrent leurs œuvres. A cette occasion, elles font une fête, parlent de leurs travaux, disent comment elles les ont faits et quels autres elles ont faits dans le passé ; elles se font aussi des cadeaux entre elles, mais elles gardent leur propre ouvrage. La réunion est convoquée par une femme âgée mandatée par celle qui donne la fête. L’hôtesse peut donner des « tâches » à accomplir à ses invitées. L’association est dans une certaine mesure considérée comme « sacrée », depuis qu’elle fût fondée en vertu d’un rêve de Deux Femmes. »’

Aujourd’hui encore, on peut observer ce genre de réunions. Elles ont généralement lieu chez l’une des brodeuses (c’est Whilma et Mary qui ont témoigné et m’ont permis de participer à ce genre de réunions), qui, souvent pour l’occasion, prépare des gâteaux ou du bannoch (pain indien évoqué plus haut). Le caractère « festif » décrit par Lyford est ainsi toujours présent : on se donne la peine de cuisiner, on anticipe ce moment à venir avec joie et on montre qu’on s’y est préparé avec attention. Chacune apporte ses travaux, et elles en parlent, les confrontent, elles expliquent pour qui elles les ont faits, pour quelle occasion, et donc pourquoi le choix de telle ou telle couleur ou motif est important. Elles mettent en jeu ce que ce choix dit d’elles, brodeuses, et ce qu’il dit de celui qui va porter le motif qu’elles ont réalisé.

C’est ainsi que, des heures durant, autour d’une, puis de plusieurs tasses de thé ou de café au lait, les brodeuses se donnent leurs avis et partagent les « trucs » et astuces concernant la couture elle-même, ou l’obtention des couleurs. La référence au temps jadis est omniprésente : elles se souviennent, non seulement de leurs travaux passés (par exemple de types de motifs ou de points plus difficiles qu’elles n’exécutent plus aujourd’hui, parce qu’elles sont « vieilles et fatiguées », ou « parce que ça ne se fait plus »), mais encore elles discutent des « styles plus anciens » et, alors, ressurgit le modèle de leur mère ou de leur

grand-mère, qui faisait autrement et, évidemment, souvent mieux d’après leurs discours. Pour continuer la comparaison avec la description faite par Lyford, les brodeuses ne se donnent pas leurs ouvrages puisqu’ils sont réservés, « faits pour » quelqu’un en particulier.

Les parallèles et ressemblances entre les sociétés liées à Double Woman et les réunions de brodeuses que j’ai pu observer sont donc nombreux dans les formes, même si le caractère sacré du travail aux piquants semble avoir disparu. La charge symbolique de la broderie et le lien que ces femmes semblent nouer avec le passé, avec leur histoire, sont eux encore bien présents.

Ainsi dans le cas de beaucoup de fêtes (sweat lodge, give away ceremonies, pipe ceremonies..) qui sont réalisées à la demande d’un individu devant faire face à un problème ou une joie particulière (divorce ou, par exemple, remerciement aux esprits après guérison), on retrouve effectivement toujours la nécessité de choisir un Elder, ou une personne âgée considérée, respectée dans la communauté, pour servir d’intercesseur à cet individu. Cet Elder sera chargé d’inviter les participants souhaités à la cérémonie. Rappelons la citation de Kroeber, déjà notée plus haut lorsque je me remémorais ma première expérience de broderie, qui expose bien la nécessité de la présence de l’intercesseur dans l’apprentissage :

‘« Une femme raconte que, dans sa jeunesse, elle voulut aider des brodeuses. C’était sa première tentative, et tout son morceau fut gâché : les piquants ne tenaient pas en place et les autres femmes lui interdirent de continuer. Elle pria pour devenir une ouvrière habile et fit le vœu de broder toute seule une robe entière dans le même style. Une vieille l’approuva. Ensuite de quoi les piquants restèrent en place, et elle fût capable de broder. »’

C’est également Kroeber qui donne une des descriptions les plus claires des réunions de guildes 198 . Il indique qu’il existait sept sacs sacrés contenant de l’encens, de la peinture et les outils nécessaires pour marquer et broder la peau. La charge d’un de ces sacs offrait des droits spécifiques et, notamment, l’accès aux connaissances nécessaires pour mettre en place les rituels présidant à la broderie des robes en bison, des berceaux et des ornements de tipis.

L’appartenance aux sociétés de brodeuses joue donc également un rôle initiatique, où l’on apprend les règles, les procédures rituelles, autant que les gestes et les motifs.

Il faut se confronter à l’échec, et recevoir de ses sœurs une légitimité, être reconnue comme brodeuse par la Femme Double (prier et « faire le vœu ») et par les rêveuses (par « celle qui sait », la vieille).

Ainsi c’est le rêve qui consacre la brodeuse, mais le message de la Femme Double, la compréhension de sa présence dans cette vision, n’est pas toujours une évidence : ses formes peuvent être multiples.

Sarah Whitecalf, Elder vivant à La Ronge (nord de la Saskatchewan), interrogée sur l’influence de la Femme Double, décrit ainsi les rêves liés à la pratique du travail aux piquants 199  :

‘« Yes, women use to dream about it; yes, women used to dream about that, as if that one, that female, that porcupine, as I call it, you know, had taught a certain woman, and that the porcupine had then given that to her, that type of sewing, how to do fancy sewing with quills, that is what I used to hear. That woman had simply dreamt about it, she had dreamt about the porcupine as if, you know, it had given her that type of sewing for her to accept for fancy sewing; it was as if the porcupine had taught her in her sleep.”Annexes p. 367-368’

C’est un porc-épic qui figure la presence du rêve de la Femme Double: “that female, that porcupine”.

Comme l’a démontré Lee Irwin 200 à travers de très nombreux exemples de visions collectées dans les Plaines, la tradition religieuse des Plaines considère les objets, les animaux, les plantes, comme potentiellement renfermant et, en quelque sorte, encodant des dispositifs ou installations, des systèmes complexes d’informations. Le partage d’un caractère commun, cette énergie du vivant que nous évoquions plus haut, permet cette capacité latente des êtres et des choses à se transformer, à devenir autres. C’est aussi pourquoi l’expérience visionnaire dans les Plaines est ensuite bien souvent retranscrite dans les cérémonies et dans les objets, et notamment à travers les motifs, qui viennent en quelque sorte comme des métonymies de cette expérience. Nous nous attacherons plus particulièrement à cet aspect dans la dernière partie de ce travail.

Ces « sociétés du rêve », comme les ont décrites Bastide et Devereux 201 , actualisent le mythe à travers l’expérience visionnaire, et sa mise en scène rituelle.

Bastide note encore : « les mythes sont la vérité ; les rêves sont les moyens d’accès à cette vérité. Le rêve apparaît également comme la réponse mythique à des situations nouvelles » 202 .

Dans le cas des visions de la Femme Double, les rêveurs procédaient donc à une démonstration, une mise en scène de leurs visions.

La Femme Double est généralement décrite comme deux très grandes femmes, connectées, reliées par un cordon ombilical, un fil ou une membrane. Ces femmes peuvent être parfaitement identiques ou, et cela est plus souvent répertorié, représentées en miroir l’une de l’autre, mais chacune ayant une légère distinction de couleur ou de forme comparée à son double. Quelquefois, l’une est habillée en bleu, l’autre en rouge 203 . Souvent, un enfant sans vie pend entre les deux femmes, retenu à elles par le cordon ou fil. Voici une représentation de cet esprit :

« Witches playing with their baby », vers 1890, Sioux.
« Witches playing with their baby », vers 1890, Sioux.

On peut lire en dessous du titre anglais, quelques mots en lakota, que je n’ai pas pu entièrement déchiffrer. Cependant on peut identifier les termes de « winyan anpapika » ou « nunpapika », quand on sait que « winyan nunpa » désigne la Femme Double.

Lors de cérémonies lui étant consacrées, les rêveuses se révélaient donc publiquement. Des « paires » de Femme Double déambulaient dans les villages ainsi liées l’une à l’autre, avec une balle ou une poupée attachée par une corde pendant entre elles 204 , comme décrit par Hassrick dans les suites du rêve de Rattling Blanket Woman. Dans les diverses descriptions, leurs déambulations donnent lieu, soit uniquement chez les hommes, soit chez les deux sexes, à des manifestations d’évanouissements ou de frayeur, ou encore de séduction intense. Ainsi Hassrick nous rapporte-t-il que Rattling Blanket s’était évanouie lors d’une de ces cérémonies étant enfant, et qu’elle connectait aujourd’hui cet événement à d’autres visions qu’elle avait eu. C’est pour elle, semble-t-il, comme si les rêveurs de la Femme Double l’avaient alors déjà pressentie comme l’une des leurs. Chez Wissler 205 , qui précise lui aussi que la corde reliant les deux femmes et leur « enfant » était en crins de bison, les rêveuses manipulent des miroirs pour détecter parmi l’assemblée les rêveurs potentiels. Ceux qui tombent inconscients sont supposés acquérir ensuite des pouvoirs surnaturels, ils manifestent leurs aptitudes par le crachat d’un liquide noir. Il est intéressant de noter que les rêveurs de l’élan, autre société cette fois-ci uniquement masculine, utilisaient également des miroirs ou des cerceaux maillés d’une toile d’araignée pour séduire les jeunes femmes. Wissler indique également que les rêveuses peignaient le motif d’une toile d’araignée sur leurs robes 206 . Nous retrouverons encore le motif de la toile et celui de Double Woman associés, dans la dernière partie consacrée aux formes et symboles. De plus, l’utilisation par les hommes-médecine de la « pierre noire », pour soigner ou témoigner de la présence des esprits, est une pratique chamanique assez répandue et attestée. 207

On notera aussi, dans la représentation de la Femme Double, la présence de l’enfant, parfois inerte (ce que marque bien la poupée, « faux enfant »), ou de la balle, symbole du féminin dans la détermination du sexe des enfants 208 , entre les deux incarnations des féminités possibles : dans la balance se trouve la maternité qui lie ces deux aspects opposés mais complémentaires de l’être féminin.

Notes
190.

HASSRICK R., in Les Sioux . Vie et coutumes d'une société guerrière. opus cit., pp.276-277.

191.

Voir chez LYFORD C. Quillwork of the western Sioux, op. cit., WISSLER C., HASSRICK R., op.cit.

192.

DEVEREUX Georges, in Ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves, Paris: Synthélabo. Les empêcheurs de penser en rond, 1996, p. 32.

193.

Voir chez MANDELBAUM D., opus cit. (1940), DE MALLIE R, op. cit. (1983) et LYFORD C., op. cit. (1940).

194.

POWERS W. K., in La religion des Sioux Oglala , op. cit., p. 136.

195.

NEIHARDT John, in Elan Noir. Mémoires d'un sioux, op. cit., p. 211.

196.

BASTIDE Roger, "Sociologie du rêve," in Le sacré sauvage et autres essais, Paris: Payot, 1975, p. 109.

197.

LYFORD C., in op. cit, p. 55; ST PIERRE M. & LONG SOLDIER T., in op. cit., p. 53; WISSLER C. 1912, op. cit., pp. 92-94.

198.

KROEBER Alfred, "The Arapaho," Bulletin of the American Museum of Natural History n°18 (1902-07).

199.

AHENAKEW Freda & WOLFART H.C., in The Cree Language is our Identity, op. cit., p. 35.

200.

IRWIN Lee, in The Dream Seekers. Native American Visionary Traditions of the Great Plains., Norman: University of Oklahoma Press, 1994.

201.

DEVEREUX Georges, in Psychothérapie d'un Indien des Plaines. Réalité et rêve . (1951), Paris: Fayard, 1998

202.

BASTIDE R., in Le sacré sauvage, op. cit., p. 114.

203.

SUNDSTROM L., in Steel Awls for Stone Age Plainswomen, op. cit., p. 102

204.

Voir chez DORSEY G. A Study of Siouan Cults, op. cit. (1894), p. 480, LOWIE R. Dance Associations of the Eastern Dakota, Anthropological Papers of the American Museum of Natural History, n°11, (1913), pp. 118-119 ou encore WISSLER C. Societies and Ceremonial Associations in the Oglala Division of the Teton-Dakota , op. cit. (1912), p. 94.

205.

WISSLER Clark, op. cit. (1912), pp. 79-94.

206.

WISSLER Clark, "Some Protective designs of the Dakota," Anthropological Papers of the American Museum of Natural History vol.1 (1907): p. 50.

207.

Voir entre autres chez Wissler, Hassrick, Vazeilles.

208.

Rappelons le mythe de Found-in-Grass raconté plus haut, où le sexe de l’enfant est déterminé par son choix, entre une balle et un arc accompagné de flèches. S’il choisit la balle, c’est une fille, l’arc, un garçon. Une référence classique de cette différenciation sexuelle des outils à voir chez CLASTRES Pierre, « L’arc et le panier » in La société contre l’Etat, Paris: Ed. de Minuit, 1974, pp. 88-111.