1. Memoria et polyvalence

C’est avant tout par la bouche de Crassus, dans le De oratore, que Cicéron revendique la nécessité d’une formation polyvalente de l’orateur 231 , passant par la memoria. En effet, Crassus blâme l’ignorance des orateurs et exige d’eux l’apprentissage du plus grand nombre de connaissances possible, dans une accumulation d’adjectifs verbaux :

‘atque perdiscendum ius ciuile, cognoscendae leges, percipienda omnis antiquitas, senatoria consuetudo, disciplina rei publicae, iura sociorum, foedera, pactiones, causa imperi cognoscenda est 232

Il appelle à une diversification de ces connaissances, comme le suggère cette énumération, dans les domaines juridique, politique, historique. A ses yeux les orateurs ont, par le passé, jugé cet effort inutile et peu efficace, d’autant plus que le droit restait le terrain privilégié d’une caste fermée qui le considérait comme un instrument de pouvoir réservé. Le diffuser, c’était donner à un plus grand nombre de citoyens l’accès aux carrières et à la direction des affaires 233 . Cependant, cet apprentissage est rendu plus facile désormais par une forme d’ouverture sociale en direction de l’homo nouus, mais surtout, nous dit Crassus, par l’organisation des disciplines intellectuelles grâce à une logique de connaissance, procurée par la philosophie. Il en va ainsi du droit, mais aussi, sujet qui nous préoccupe, de la rhétorique !

‘in hac denique ipsa ratione dicendi excogitare, ornare, disponere, meminisse, agere… 234

Ainsi, les cinq opérations de l’art oratoire — désignées ici par les verbes correspondants —, parmi lesquelles le travail de la mémoire, découlent directement d’une logique issue du champ philosophique. Voici un apport qui n’est pas indifférent à Cicéron : à travers le maître reconnu, Crassus, c’est lui qui réclame le choix de l’encyclopédisme, l’intérêt porté à toutes les disciplines, en particulier la philosophie, pour élargir l’horizon de l’orateur, faire de lui, non un spécialiste, mais un généraliste, polyvalent, capable d’aborder tous les sujets avec une autorité reconnue.

Crassus conclut sur la nécessité d’alimenter le discours par des monumenta et des exempla, fournis par la connaissance de l’histoire du droit, c’est-à-dire de la jurisprudence :

‘Iam illa non longam orationem desiderant, quam ob rem existimem publica quoque iura, quae sunt propria ciuitatis atque imperi, tum monumenta rerum gestarum et uetustatis exempla oratori nota esse debere. 235

Du juridique, Crassus élargit la question à l’ensemble des connaissances de l’orateur, qui pourra puiser les monumenta et les exempla dans la memoria antiquitatis, vecteur de connaissance.

‘… omnis haec et antiquitatis memoria et publici iuris auctoritas et regendae rei publicae ratio ac scientia tamquam aliqua materies eis oratoribus qui uersantur in re publica subiecta esse debet. 236

Dans les deux textes, l’accent est mis sur l’obligation — debet est répété — de ce savoir, encyclopédique, puisqu’il renvoie à l’histoire politique (antiquitatis memoria), institutionnelle (regendae rei publicae ratio), juridique (publici iuris auctoritas), mais aussi à la philosophie politique (scientia). A. Michel rappelle ainsi le programme éducatif de « l’apprenti orateur » 237 . Cet ensemble forme une materies qui donne une charpente au discours. Pourquoi un tel impératif ? Parce que l’orateur est avant tout un homme politique, mêlé aux plus grandes affaires de l’Etat (eis oratoribus qui uersantur in re publica). Bien évidemment, c’est l’expérience personnelle de Cicéron qui entre ici en jeu : contre un simple rhéteur qui se cantonnerait dans un rôle de technicien de la parole tel que Crassus l’a dépeint avec mépris (I, 186) 238 , Cicéron, par la voix de son porte-parole, revendique avec fierté la place prépondérante d’un orateur-homme d’Etat, auquel la compétence de généraliste fournie par un savoir global reposant sur un socle indispensable, la memoria, donne toute latitude pour aborder les sujets les plus divers, à la tête du pays.

Crassus réitère cette exhortation plus loin, dans le livre III, après avoir évoqué sa propre formation, à la fois empirique et théorique — il a suivi les leçons de Métrodore 239 . Cette fois, il met l’accent sur l’éclectisme de ce savoir, sans la connotation péjorative attribuée à ce terme par les Modernes : il est indispensable que l’orateur ait une connaissance approfondie de tous les domaines d’activité de l’esprit humain ; en revanche, il doit être un généraliste, capable d’envisager une cause de tous les points de vue là où un spécialiste négligerait nécessairement les aspects qui ne se rapportent pas à son domaine de prédilection :

‘sed si tota uita nihil uelis aliud agere, ipsa tractatio et quaestio cotidie ex se gignit aliquid, quod cum desidiosa delectatione uestiges. Ita fit ut agitatio rerum sit infinita, cognitio facilis, si usus doctrinam confirmet, mediocris opera tribuatur, memoria studiumque permaneat. 240

Cet apprentissage global est facilité par des conditions très générales, accessibles à tous, nécessaires et suffisantes, parce qu’elles ressortissent à la nature humaine, et non plus d’une formation professionnelle spécifique : l’expérience (usus), complément de l’enseignement (doctrina), un minimum de travail (mediocris opera), l’attention portée à la matière, à travers la mémorisation (memoria) et l’application (studium).

L’exhortation de Crassus est donc d’autant plus forte que l’apprentissage est plus facile et l’investissement moins grand : il s’agit seulement de faire preuve d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité que le spécialiste ne peut se permettre. A. Michel souligne l’impossibilité d’une connaissance approfondie de tous les domaines, donc la nécessité d’une culture générale chez l’orateur, connaissance fondamentale applicable à toutes les plaidoiries 241 .

C’est ainsi que l’on répondra à la définition de l’orateur idéal établie par Crassus un peu plus tôt ; expert dans les cinq divisions de l’art oratoire, il peut s’appliquer indifféremment à n’importe quel sujet :

‘Quam ob rem, si quis uniuersam et propriam oratoris uim definire complectique uolt, is orator erit mea sententia hoc tam graui dignus nomine qui, quaecumque res inciderit quae sit dictione explicanda, prudenter et composite et ornate et memoriter dicet cum quadam actionis etiam dignitate. 242

La définition paradoxale du mot « orateur » — uis oratoris — réside dans l’alliance de mots uniuersam et propriam oratoris uim : il doit pouvoir aborder toutes les causes (quaecumque res inciderit quae sit dictione explicanda), mais avec les cinq outils dont l’association lui est spécifique. D’une certaine manière, la spécificité de l’orateur, c’est d’être un généraliste. Cicéron finit par s’exprimer en son nom propre dans le Brutus 243 , revendiquant ses connaissances en matière d’histoire comme un atout oratoire, qui lui permet d’appeler à son secours les grandes figures du passé : il démontre ainsi très concrètement l’appui que la memoria en tant que connaissance globale procure à l’orateur ; elle lui confère une autorité morale sur ses auditeurs.

L’implication de la memoria dans la polyvalence de l’orateur paraît essentielle, car elle est dans le droit fil de la problématique générale du De oratore, énoncée dans le préambule ; à son frère Quintus limitant l’éloquence à un cadre purement technique, Marcus oppose une vision plus globale, revendiquant une définition ambitieuse de l’orateur, citoyen idéal par son érudition, son ouverture culturelle, son encyclopédisme :

‘solesque non numquam hac de re a me in disputationibus nostris dissentire, quod ego eruditissimorum hominum artibus eloquentiam contineri statuam, tu autem illam ab elegantia doctrinae segregandam putes et in quodam ingeni atque exercitationis genere ponendam. 244

Ce développement sur la memoria est donc un élément d’un débat plus vaste, au cœur de la démarche du De oratore : l’exigence de culture générale, de connaissances théoriques et philosophiques, et non pas seulement techniques, chez l’orateur, apparaît comme une nécessité pour lui donner le premier rôle dans les affaires de l’Etat et dans le gouvernement de la République 245 .

A ce titre, Cicéron conteste la réputation d’ignorance entourant Crassus et Antoine et rappelle le goût du premier pour l’instruction, sa connaissance du grec, la formation du second en Grèce, ses connaissances variées, comme le confirme C. Moatti 246 . A travers leur exemple, Cicéron veut donc défendre une idée forte, la nécessité d’une culture encyclopédique permettant à l’orateur de pratiquer son art dans toute sa plénitude :

‘illud autem est huius institutae scriptionis ac temporis, neminem eloquentia non modo sine dicendi doctrina, sed ne sine omni quidem sapientia florere umquam et praestare potuisse, 247

avant d’en expliquer la raison, en s’appuyant sur la Rhétorique d’Aristote 248 : les autres artes sont des domaines spécialisés, au contraire de l’éloquence, discipline généraliste exigeant des connaissances globales 249  :

‘Etenim ceterae fere artes se ipsae per se tuentur singulae ; bene dicere autem, quod est scienter et perite et ornate dicere, non habet definitam aliquam regionem, cuius terminis saepta teneatur. 250

Car l’orateur peut être amené à aborder tous les domaines, dans ses discours, d’où la nécessité de l’encyclopédisme :

‘Omnia quaecumque in hominum disceptationem cadere possunt bene sunt ei dicenda qui hoc se posse profitetur, aut eloquentiae nomen relinquendum est. 251

La memoria, parce qu’elle n’est pas seulement une faculté technique et professionnelle réservée au rhéteur, mais plus largement une capacité donnée à tous, répond précisément à cette exigence de culture générale et constitue un élément primordial de ce débat.

Le choix de Crassus et d’Antoine comme porte-parole est justifié notamment dans le domaine de la memoria, puisqu’ils représentent deux versants complémentaires de ce débat, Crassus défendant une memoria faculté de connaissance, Antoine l’enrichissant d’une memoria oratoire et pathétique.

Notes
231.

Crassus est le modèle de cet orateur idéal, polyvalent, cultivé, capable d’intervenir dans tous les domaines de l’activité humaine. Cf. D. Roman, « Débuts oratoires et causa popularis à Rome au II siècle avant J.-C. : l’exemple de L. Licinius Crassus », Ktèma 19, 1994, 97-110, p. 109-110, sur la fiction de ce Crassus cultivé, projection de Cicéron.

232.

CIC., De or. I, 159 : « Ajoutons-y l’étude approfondie du droit civil, la connaissance des lois, la science de nos antiquités ; traditions du sénat, principes de notre gouvernement, traités, conventions, intérêts de l’empire, doivent être connus. »

233.

Ibid. I, 186.

234.

Ibid. I, 187 : « en rhétorique même, l’invention, l’élocution, la disposition, la mémoire, l’action. »

235.

Ibid. I, 201 : « Maintenant ai-je besoin d’un long discours pour vous prouver que le droit public, lui aussi, ce droit qui concerne l’Etat et règle l’empire, que l’histoire, ce monument du passé, que les exemples des anciens âges, que tout cela doit être connu de l’orateur ? »

236.

Ibid. I, 201 : « … il faut que ces traditions du passé, ces décisions du droit public, cette science de l’administration de l’Etat soient, pour l’orateur politique, comme autant de matériaux toujours à sa disposition. »

237.

A. Michel, « Cicéron et les problèmes de la culture », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 20, 1972, 67-76, p. 74-75 : « la philosophie (mais peu de physique et, en dialectique, pas de subtilités) ; l’art de l’expression ; le droit ; l’histoire (De or. III, 76). C’est en somme le schéma d’une éducation littéraire, à la fois théorique et pratique (la liaison entre les deux exigences est soigneusement assurée). Car on voit sur quel principe Cicéron fonde sa doctrine : il ne s’agit pas d’étudier les lettres pour elles-mêmes, mais il faut se donner les moyens d’un retour au bon sens et au beau langage, et cela est nécessaire à quiconque veut placer la sagesse dans le creuset de l’action. La culture se définit dans cette rencontre et cette épreuve : il n’y a pas de vraie culture sans l’action. »

238.

A. Novara, « La dignité de l’enseignement ou l’enseignement et le dialogue », Annales latini montium arvernorum 10, 1983, 35-51, p. 39, constate la différence établie par Cicéron entre ces rhéteurs et l’orateur idéal : « Le savoir des techniciens se résume vite, tellement il est limité : chaque fois qu’il en est question, chaque fois que les théoriciens sont évoqués ou que l’utilité de la connaissance des règles vient à être appréciée, ce sont d’étroites limites qui sont dessinées… (ils) ont raisonné par simplification réductrice en croyant que l’éloquence est née de la rhétorique, alors que la réalité est inverse, ou en ramenant l’art de la parole à un enseignement théorique comme dans les autres sciences, le droit civil par exemple — et ces gens n’ont pas lu les philosophes. »

239.

CIC., De or. III, 74-75.

240.

Ibid. III, 88 : « Mais veut-on faire de ces études l’unique occupation de sa vie ? Le travail même et la recherche font naître chaque jour quelque problème nouveau, dont on poursuit la solution avec un plaisir exclusif. Donc, se donner tout à ces questions est une tâche infinie, en avoir une connaissance générale une tâche aisée, pour peu que la pratique fortifie la théorie, qu’une activité raisonnable y soit consacrée, que la mémoire et le goût s’en conservent. » (trad. H. Bornecque et E. Courbaud modifiée, Paris, CUF, 1930).

241.

A. Michel, « Cicéron et les problèmes de la culture », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 20, 1972, 67-76, p. 71-72 : « en droit, l’orateur doit tout savoir, puisqu’il parle de toutes choses ; mais en fait il ne le peut pas : personne ne possède tout à fait le temps et les moyens d’acquérir un savoir absolument universel (I, 59 ; 67). Ainsi se révèle d’emblée un paradoxe qu’implique effectivement à notre époque le sens du mot “culture” : quand on le prononce, on désigne à la fois une formation large et limitée ; la culture générale, comme son nom l’indique, porte sur toutes choses — mais sur toutes choses prises en général, si bien que cette universalité même suppose une limitation. Il s’agit d’expliquer et de bien concevoir cette ambiguïté. Elle réside dans la notion même de généralité… Cicéron comprend mieux que tout autre que ce qui fait le talent propre de l’orateur, ce n’est pas de connaître le détail de sa matière, mais de savoir donner à cette dernière une mise en forme universelle… En somme qu’est-ce qui constitue le propre de l’orateur ? Connaître l’art de généraliser les problèmes concrets, et de les exprimer. Tout cela implique d’une part la connaissance de l’universel, mais d’autre part ne demande pas la connaissance de tous les détails particuliers. Le savoir de l’orateur, c’est le savoir des principes — fontes rerum. » Voici donc l’idéal de l’orateur cicéronien (p. 76) : « la seule véritable culture est celle qui s’élève à l’universel, sans se séparer de l’être concret et de la vie. Elle fonde ainsi les spécialités, mais aussi elle les dépasse ; elle justifie les individus mais aussi elle les transcende. » A. Michel reprend là des questions évoquées dans sa thèse sur Les rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l'oeuvre de Cicéron : recherches sur les fondements philosophiques de l'art de persuader, Paris, PUF, 1960, p. 130 : « … Cicéron… estime lui aussi que l’homme cultivé doit éviter les approfondissements infinis des spécialistes, et… arrive à cette formule : “ainsi, l’on peut distinguer sur les êtres à l’infini, mais leur connaissance est facile” (De or. III, 88)… il est permis à celui qui veut seulement exprimer une doctrine vraisemblable de ne pas approfondir autant que lui (le spécialiste). »

242.

CIC., De or. I, 64 : « Veut-on maintenant embrasser dans une définition l’idée complète, la force exacte du mot orateur ? Celui-là seul, à mon avis, est digne d’un si beau nom qui développera n’importe quel sujet avec toutes les qualités voulues d’invention, de disposition, d’élocution, de mémoire, en y ajoutant encore de la noblesse dans l’action. »

243.

CIC., Brut. 322. Cf. supra p. 21.

244.

CIC., De or. I, 5 : « mais quand nous discutons parfois ces questions, tu soutiens volontiers une opinion différente de la mienne : à mes yeux, c’est tout l’ensemble de connaissances que possèdent les hommes les plus instruits, oui, c’est tout cela qui constitue l’éloquence ; toi, au contraire, la séparant de cette noble culture générale, tu la fais consister seulement dans certaines aptitudes naturelles, développées par un certain ordre d’exercices. »

245.

M. Ruch, dans l’introduction de L'Hortensius de Cicéron : histoire et reconstitution Paris, Belles lettres, 1958, fait l’historique du lien entre rhétorique et philosophie dans l’œuvre de Cicéron à travers trois étapes (p. 29 à 34) : le De inuentione, en 86, donne la primauté à l’éloquence, qui doit cependant s’appuyer sur la philosophie ; dans le De oratore, en 55, Cicéron, conforté, prône une éducation double, mêlant rhétorique et philosophie, la seconde restant la servante de la première ; enfin, dans l’Hortensius, en 46, désabusé, vieilli, atteint dans sa vie privée et dans sa vie publique, Cicéron place la philosophie au-dessus de la rhétorique pour trouver un réconfort moral.

246.

CIC., De or. II, 5. C. Moatti, « Mélanges experts et pouvoir dans l’Antiquité (V) : experts, mémoire et pouvoir à Rome, à la fin de la République », RH 626, avril 2003, 303-326, p. 308 : « L’éloquence… est-elle le résultat de la nature ou de l’artifice ?… pour certains, l’art retire quelque chose à l’autorité naturelle… Ce préjugé à l’égard de ce qui n’est pas naturel, inné, a constitué un facteur important de résistance de la société romaine à la culture théorique et livresque, si bien que, au début du Ier siècle encore, rappelle Cicéron, des orateurs savants comme Crassus et Antoine faisaient semblant de parler sans art, de n’avoir pas appris la rhétorique grecque (De or. II, 4). Antoine était, selon les mots de Quintilien, dissimulator artis (II, 17, 6). » M. Ruch rappelle que la mise en scène d’Antoine et Crassus dans ce dialogue ne serait pas crédible pour Cicéron s’ils n’avaient pas été historiquement dotés d’une véritable culture (p. 189, 190). La mise en scène platonicienne même du dialogue révèle cette culture, qui est également le sujet du Phèdre de Platon (p. 198) : « La ressemblance fortuite du cadre choisi par Platon dans son Phèdre avec le paysage réel du Tusculanum, entraîne l’imitation voulue du sujet. Cette mimesis tout extérieure montre que l’idéal oratoire de Cicéron prend appui sur le dialogue grec qui prouve précisément la possibilité d’une rhétorique fondée sur un savoir encyclopédique. D’autre part le rapprochement du paysage réel et du paysage littéraire illustre la culture des interlocuteurs, chez qui une perfection se réfracte à travers un souvenir érudit. » H. Bardon, La littérature latine inconnue, t. 1, Paris, Klincksieck, 1952-1956, rappelle la formation de ces deux orateurs auprès des maîtres grecs (p. 170 et 172). M. Griffin, « Philosophy, Politics and Politicians at Rome », Philosophia togata I, éd. M. Griffin and J. Barnes, Oxford, Clarendon Press, 1997, 1-37, souligne le goût des élites romaines pour la philosophie et la présence des différentes écoles à Rome à la fin de la République.

247.

CIC., De or. II, 5 : « Mais ce qui rentre dans le dessein de mon ouvrage et importe en ce moment, c’est de montrer que jamais aucun orateur, sans avoir étudié les règles de son art, bien plus, sans s’être donné une culture universelle, n’a pu jeter de l’éclat ni se placer au sommet de l’éloquence. »

248.

Cf. Aristote, Rhetorica I, 2, 55 b 25-34, sur la différence entre la rhétorique et les autres artes. Sur l’emploi du mot ars chez Cicéron pour désigner la rhétorique et la dialectique, cf. E. Gavoille, Ars : étude sémantique de Plaute à Cicéron, Louvain, Paris, Peeters, 2000, p. 239 sq. Cf. J. Barnes, « Roman Aristotle », Philosophia togata II, éd. M. Griffin and J. Barnes, Oxford, Clarendon Press, 1999, p. 51, sur la lecture d’ouvrages rhétoriques d’Aristote par Antoine.

249.

Cf. M. Orban, « Le Pro Archia et le concept cicéronien de la formation intellectuelle », LEC 25, 1957, 173-191, p. 187-188 : « Cicéron s’ingénie à présenter le savoir comme indispensable à l’exercice de la parole. C’est la thèse même du De oratore…Le De oratore énonce sans équivoque et soutient la thèse que l’immense domaine du savoir est la propriété de la parole, qui s’en nourrit. » A. Michel, Les rapports de la rhétorique et de la philosophie…, p. 142, énumère les multiples connaissances auxquelles l’orateur doit s’intéresser, sans ignorer qu’il n’excellera jamais, et définit « l’idée de l’orateur parfait. Elle se dégage de la réussite absolue de son art. » et il parle d’ « un orateur démiurgique, en qui tous ces dons seraient parfaitement accomplis. On ne sait pas exactement comment il plaiderait. Il faudrait être lui pour le savoir. Mais on sait qu’il plaiderait de manière sublime. Et l’on peut concevoir son éloquence à partir des exemples humains fournis par l’histoire. »

250.

CIC., De or. II, 5 : « Presque tous les autres arts en effet se soutiennent chacun par eux-mêmes. L’art de bien dire au contraire, qui suppose science, habileté, élégance, n’a pas un domaine nettement défini, au dedans duquel il se tiendrait enfermé. » (trad. E. Courbaud modifiée, Paris, CUF, 1928).

251.

Ibid. II, 5 : « Tout ce qui peut servir d’objet de discussion parmi les hommes, il faut (puisque c’est l’engagement qu’on a pris) être capable d’en bien parler, ou renoncer alors au titre d’orateur. »