2. La situation de l’homo nouus

Cicéron défend la mémoire des grandes familles romaines en considérant qu’elle permet le maintien des traditions, la continuité des lignées et qu’elle doit servir de repère, par sa valeur exemplaire, aux optimates, citoyens idéaux, et plus largement à l’ensemble des Romains. Mais qu’en est-il alors de la place accordée à celui qui naît privé d’ancêtres donc de mémoire familiale, l’homo nouus ? M. Dondin-Payre en donne la définition la plus répandue et la plus restrictive 974  : « l’homo nouus est un consul sans ancêtre consul : cette application à la nouitas des règles établies par M. Gelzer pour la nobilitas a la faveur de nombre d’historiens modernes ».

L’appartenance de Cicéron à cette catégorie rend d’autant plus nécessaire une tentative d’explication de cet apparent paradoxe : soutenir un critère, la memoria, qui définit un ordre par l’exclusion des familles privées de passé, dont celle de Cicéron fait pourtant partie ! L’avocat ne s’oublie pourtant pas et résout cette contradiction en attribuant à l’homo nouus, sans mémoire, une autre qualité susceptible de s’y substituer : le mérite individuel. C’est l’objet d’un combat personnel mené tout au long de sa carrière contre les envieux et les aristocrates fiers de leurs prérogatives qui lui reprochèrent sans cesse sa naissance obscure ! Ce n’est pas le lieu de retracer l’ensemble de cette lutte 975 , mais il est nécessaire d’examiner la situation de l’homo nouus dans sa relation avec le concept de memoria.

D’emblée, Cicéron reconnaît que l’homo nouus est un homme sans mémoire, car il est privé d’ancêtres. Il tire même argument de cette caractéristique pour justifier la méthode employée contre Verrès. En effet, l’avocat de ce dernier, Hortensius, lui reproche d’avoir produit le témoignage du jeune Iunius, dont le gouverneur de Sicile a spolié l’héritage, pour ameuter l’opinion. Mais, réplique Cicéron, la nature même d’homo nouus du père de Iunius, simple plébéien honnête et confiant, plaide en sa faveur. Cicéron a choisi un exemple inattaquable, parce que le cas de cet homme « sans mémoire » n’est pas susceptible d’agiter la foule, au contraire de l’évocation du fils d’un Gracchus ou d’un Saturninus, qui aurait été considérée à juste titre comme purement démagogique.

‘Gracchi, credo, aut Saturnini aut alicuius hominis eius modi produxeram filium, ut nomine ipso et memoria patris animos imperitae multitudinis commouerem. P. Iuni erat, hominis de plebe Romana, filius… 976

Paradoxalement, Cicéron se félicite de ce choix : l’essence de l’homo nouus est d’être sans mémoire familiale, ce qui interdit tout a priori à son égard 977 .

Il revendique son appartenance personnelle à ce statut, considérant que, vierge de toute compromission familiale, il lui laisse la liberté de prouver sa qualité par ses mérites personnels, au contraire d’optimates souvent écrasés par leur héritage ou captifs du jeu social des grandes familles romaines. Il s’abrite derrière l’avis de Caton l’Ancien, homo nouus à l’autorité morale incontestable, pour justifier l’orgueil de l’homme nouveau, dont le mérite seul fera connaître le nom à la postérité, et constituera ainsi le point de départ d’une nouvelle mémoire familiale, entreprise dont les fils de l’aristocratie n’ont pas eu à se soucier :

‘Venit mihi in mentem M. Catonis, hominis sapientissimi et uigilantissimi, qui cum se uirtute, non genere, populo Romano commendari putaret, cum ipse sui generis initium ac nominis ab se gigni et propagari uellet, hominum potentissimorum suscepit inimicitias et maximis laboribus usque ad summam senectutem summa cum gloria uixit. 978

En promettant de livrer le même combat aux puissants, il menace les juges de relancer l’action s’ils font profiter Verrès de leur indulgence parce qu’il appartient à leur ordre, et anticipe ainsi la loi d’Aurélius Cotta de 70, qui rétablira, à égalité avec les optimi, les chevaliers dans les tribunaux permanents consacrés aux affaires criminelles dont ils ont été exclus par Sylla.

De ce fait, ce n’est pas sans fierté que Cicéron, dans ses discours Sur la loi agraire, déclare être le premier homo nouus élu consul depuis longtemps :

‘Me perlongo interuallo prope memoriae temporumque nostrorum, primum hominem nouum, consulem fecistis… 979

Pour justifier son propos, il recourt précisément à la faculté qui est censée faire défaut à l’homo nouus et définir l’ordre des optimates qui l’écoutent, pour justifier son propos : la memoria… Cruel, voire provocateur, il les amène à fouiller leurs souvenirs pour confirmer le caractère exceptionnel de son élection, écrasante, alors que ses prédécesseurs 980 , homines noui comme lui, ont eu plus de difficultés et ont dû profiter d’une occasion favorable :

‘Nam profecto, si recordari uolueritis de nouis hominibus, reperietis eos qui sine repulsa consules facti sunt diuturno labore atque aliqua occasione esse factos… 981

Dès lors, comment concilier deux positions apparemment antagonistes dans la bouche du même Cicéron ? Il magnifiait l’héritage transmis dans les vieilles familles, de génération en génération, par le biais de la memoria familiale. Comment peut-il en même temps vanter la qualité des homines noui, confrontés au mépris de l’aristocratie pour les sans-mémoire ? Cette contradiction relève-t-elle de l’incohérence idéologique ? de l’opportunisme politique ? des évolutions personnelles d’un Cicéron dont la versatilité a suscité la désapprobation de ses adversaires jusqu’à nos jours ? Il n’est pourtant pas un révolutionnaire, et nous verrons combien il peut honnir les atteintes portées par certains à la memoria comme fondement de Rome. En fait, le discours De domo sua offre une solution, ce que M. Ruch nomme « le complexe de l’homo nouus » 982 . Après avoir réclamé aux pontifes la restitution du terrain sur lequel était construite sa maison, au Palatin, terrain qui avait été accaparé et consacré à la Liberté pendant son exil par son ennemi Clodius, il achève en redéfinissant le véritable patrimoine : c’est la memoria qu’il transmettra à ses enfants. Il souligne ainsi la supériorité de la valeur et de la dignité personnelles sur l’argent, les biens matériels ou la naissance, en affirmant qu’il ne revendique pas son bien par cupidité, et se satisfait de laisser à ses héritiers le souvenir de son nom et de ses actions en guise d’héritage 983 :

‘Etenim ad nostrum usum propemodum iam est definita moderatio rei familiaris, liberis autem nostris satis amplum patrimonium paterni nominis ac memoriae nostrae relinquemus 984

Il révèle une fois de plus son attachement à cette valeur, mais surtout revendique, pour un homo nouus comme lui, la possibilité de fonder sa lignée, assise sur une memoria familiale dont il est l’auctor. En faisant reconnaître sa valeur personnelle par des actions militantes au service de l’Etat, l’homo nouus se crée une memoria et gagne le droit d’intégrer l’ordre supérieur, dirigeant, non par la naissance, mais par le mérite. Ce rêve d’intégration du sans-mémoire confère à la memoria un rôle de promotion sociale, d’auctor en quelque sorte, et explique l’adoption du parti conservateur par Cicéron selon J.-F. Thomas 985 . Toutefois M. Bonjour en voit aussi l’explication dans ses origines arpinates 986 .

La répétition de ce processus appliqué à d’autres le confirme. Ainsi, dans la neuvième Philippique, Cicéron fait l’éloge funèbre du jurisconsulte Servius Sulpicius Rufus, consul en 51, mort alors qu’il était envoyé en députation auprès d’Antoine pour ramener la paix civile. S’il appelle de ses vœux un monument commémoratif, comme une statue 987 , il considère que les seules qualités de Sulpicius suffisent à faire naître le souvenir de ses actes et constituent elles-mêmes des monumenta :

‘Nam reliqua Ser. Sulpici uita multis erit praeclarisque monumentis ad omnem memoriam commendata. Semper illius grauitatem, constantiam, fidem, praestantem in re publica tuenda curam atque prudentiam omnium mortalium fama celebrauit. Nec uero silebitur admirabilis quaedam et incredibilis ac paene diuina eius in legibus interpretandis, aequitate explicanda, scientia. 988

Ses nombreuses vertus accumulées — grauitas, constantia, fides, praestantia in republica tuenda, prudentia — constituent, aux yeux de la postérité, autant de “vestiges” qui garantissent sa mémoire, au même titre que les monuments qu’on peut lui élever. Au point que ceux-ci paraissent inutiles, ses actes suffisant à rappeler la dignité de son existence :

‘Ergo hoc statuae monumento non eget, habet alia maiora. 989

Certes, Sulpicius est un patricien, mais à l’instar de Cicéron, il s’est forgé une mémoire familiale, patrimoine transmissible à son fils ; ce dernier, en héritier, incarne donc les vertus de son père, dont il doit porter le faix, et il constitue lui-même le meilleur monumentum ou support du souvenir de Sulpicius :

‘Quamquam nullum monumentum clarius Ser. Sulpicius relinquere potuit quam effigiem morum suorum, uirtutis, constantiae, pietatis, ingeni, filium. 990

La modestie même de Sulpicius, attestée par Cicéron, confirme que l’héritage de la mémoire familiale représente le meilleur monumentum de l’homme de bien : le consulaire préférait une statue pédestre en bronze à une statue équestre en or ! Cette humilité révèle en fait la conscience de sa propre valeur et la certitude du patrimoine ainsi acquis.

‘Mihi autem recordanti Ser. Sulpici multos in nostra familiaritate sermones gratior illi uidetur, si qui est sensus in morte, aenea statua futura et ea pedestris quam inaurata equestris… 991

Finalement, la statue semble plus nécessaire aux vivants, à titre de consolation, qu’au mort, dont la mémoire familiale, incarnée en son fils, suffit à rappeler la valeur :

‘quae quidem magnum ciuium dolorem et desiderium honore monumenti minuet et leniet. 992

En réalité, Cicéron refuse d’opposer le nobilis et l’homo nouus, et veut les considérer tous deux sous l’angle du mérite, sans égard pour le reste, anecdotique. Certes, cette égalité de chance sert ses desseins personnels, mais elle répond aussi à une vision politique exigeante : placer à la tête de Rome ceux qui, par leurs mérites, sauront lui rendre service 993 . Cette profession de foi égalitariste est clairement énoncée dans le Pro Murena. L’accusateur de ce dernier, le même Servius Sulpicius Rufus 994 , candidat malheureux à la magistrature suprême, se targue de sa naissance noble, qui lui donnerait plus de droits au consulat que Murena, consul désigné pour 62, avec Silanus. Défenseur de Murena, Cicéron blâme l’attitude de Sulpicius et relativise l’importance des origines, le temps ayant effacé la memoria de la gens Sulpicia. Il note avec ironie que seul le recours aux annales permet d’attester l’ancienneté de cette famille, qui a, semble-t-il, disparu depuis longtemps du gouvernement des affaires publiques 995 :

‘Itaque non ex sermone hominum recenti sed ex annalium uetustate eruenda memoria est nobilitatis tuae. 996

Son père est resté dans l’ordre équestre, son arrogance paraît pour le moins injustifiée ; Cicéron préfère donc le considérer comme un homo nouus, à égalité avec lui ! La naissance ne lui suffit pas : il faut savoir s’en montrer digne. L’avocat de Murena place donc sur un pied d’égalité tous les grands hommes, aristocrates ou homines noui, les jugeant non sur leurs origines, mais sur leurs mérites, les uns pour avoir accompli des actes dignes de respect, et ainsi fondé — à l’instar de Cicéron — un patrimoine moral à transmettre à leurs héritiers, comme Quintus Pompeius, les autres pour avoir tenu leur rang, s’être montrés dignes de leurs ancêtres et ainsi avoir prolongé leur mémoire familiale, comme Scaurus — l’emploi du verbe renouare évoque plus précisément la réactivation de cette mémoire, par la réitération, et rend bien compte l’œuvre de renouatio memoriae entreprise par Cicéron :

‘Etenim eiusdem animi atque ingeni est posteris suis, quod Pompeius fecit, amplitudinem nominis quam non acceperit tradere, et ut Scaurus, memoriam prope intermortuam generis sui uirtute renouare. 997

On observe ici une stricte équivalence entre l’homo nouus méritant qui transmet un nom neuf et le nobilis qui renouvelle la gloire de sa famille. Cicéron est concerné par ces exemples, à double titre : homo nouus, il forge une mémoire familiale, un nomen, qu’il lègue à son fils ; mais conservateur, défenseur de la République, il renouvelle la mémoire du camp optimate en le rappelant à ses valeurs, en l’obligeant à assumer ses fonctions, à ne pas négliger ses devoirs.

Les deux catégories se rejoignent finalement à travers l’exemple du grand Pompée, dont Cicéron loue du reste le talent — son père Cnaeus Pompeius Strabo est un homo nouus — : il est capable de s’intégrer dans une lignée, non plus familiale, mais idéale, celle des généraux passés de la République, qu’il surpasse même par son mérite !

‘Nunc uero cum sit unus Cn. Pompeius qui non modo eorum hominum qui nunc sunt gloriam , sed etiam antiquitatis memoriam uirtute superarit, quae res est quae cuiusquam animum in hac causa dubium facere possit ? 998

Ainsi s’explique le conservatisme de Cicéron d’après P. Boyancé 999  : le rêve de l’homo nouus est de s’intégrer au tissu de la mémoire collective et historique… Ce phénomène est rendu possible à Rome par le cursus honorum.

Cicéron appelle de ses vœux une république du mérite, qui s’appliquerait à lui-même, et qui permettrait à l’homo nouus de bâtir sa propre memoria familiale et d’en attendre la reconnaissance par tous. Il ne s’agit donc pas de mettre à bas la République comme les révolutionnaires auxquels il s’oppose, mais de faire reconnaître sa place à l’intérieur du système politique, par la constitution d’une memoria équivalente à celle des optimates.

Il invoque les précédents, plus ou moins lointains, d’autres homines noui arrivés au sommet par le passé, considérant qu’il constitue lui-même le dernier exemple en date de cette ascension et qu’il ouvre ainsi une voie fermée depuis fort longtemps, puisqu’aucun homo nouus n’a accédé au consulat depuis 94 (la victoire de Sylla) jusqu’à 63 1000 — le verbe iaceo traduisant l’échec de ces tentatives qui l’ont précédé :

‘Quamquam ego iam putabam, iudices, multis uiris fortibus ne ignobilitas generis obiceretur meo labore esse perfectum, qui non modo Curiis, Catonibus, Pompeiis, antiquis illis fortissimis uiris, nouis hominibus, sed his recentibus Mariis et Didiis et Caeliis commemorandis iacebant. 1001

Faisant œuvre pionnière, il autorise ainsi à nouveau l’homo nouus à se construire une mémoire familiale. Il se révolte donc contre les reproches de l’accusateur envers sa condition d’homme nouveau, alors qu’il considère avoir rouvert le consulat à la valeur personnelle — uirtus — et non plus seulement à la seule naissance — nobilitas —, insuffisante sans la conscience de l’héritage familial à assumer :

‘Cum uero ego tanto interuallo claustra ista nobilitatis refregissem ut aditus ad consulatum posthac, sicut apud maiores nostros fuit, non magis nobilitati quam uirtuti pateret, non arbitrabar, cum ex familia uetere et inlustri consul designatus ab equitis Romani filio consule defenderetur, de generis nouitate accusatores esse dicturos. 1002

En défendant l’homo nouus — qu’il s’agisse de lui-même ou de Murena qui, issu d’une famille plébéienne assumant la préture depuis trois générations, n’est ni nobilis ni homo nouus selon M. Dondin-Payre 1003 —, Cicéron ne contredit pas ses positions sur la memoria, puisqu’il revendique bien au contraire l’intégration de l’homo nouus à ce système, par la constitution, en toute autonomie, de sa propre mémoire familiale 1004  : la mémoire familiale n’est ni un dû, ni un privilège aristocratique, mais une aspiration ; l’homo nouus, en self-made man 1005 , doit la conquérir, l’optimate doit la défendre et s’en montrer digne, la comparaison non magis nobilitati quam uirtuti (Mur. 17) place bien les deux catégories d’hommes sur un pied d’égalité 1006 . Pour les deux, il s’agit d’une mémoire qui fonde l’identité de l’individu, à bâtir ou à préserver par le mérite personnel, la uirtus.

Notes
974.

M. Dondin-Payre, « Homo nouus : un slogan de Caton à César ? », Historia 30, 1, 1981, 22-81, p. 26. Une abondante bibliographie est présentée p. 26, n. 23 ; Cicéron accorde plus de place à l’homo nouus que Salluste et Tite Live (p. 31) : « L’insistance que mit Cicéron à faire intervenir un élément qui le concernait personnellement, interprétée comme le reflet d’une préoccupation générale sous la République, paraît alors être la cause principale de la distorsion entre les sources et l’historiographie… Tite Live, avec dix mentions, puis Salluste avec sept, arrivent loin derrière Cicéron, bien que tous deux aient traité de l’histoire républicaine ; le second est favorable, le premier hostile aux hommes nouveaux, mais aucun n’a jugé le rôle et l’originalité des homines noui si marquants qu’il ait fréquemment signalé leur particularité. »

975.

Cf. M. Bonjour, Terre natale : études sur une composante affective du patriotisme romain, Paris, Belles lettres, 1975 (Collection d'études anciennes 5), qui analyse le combat de Cicéron, en butte aux rebuffades, pour vaincre ce préjugé (p. 137) : « Sous la République, c’étaient les “hommes nouveaux” qui essuyaient le mépris de la nobilitas et des patriciens. Et le plus célèbre d’entre eux, Cicéron, en a été la victime. Salluste rappelle que c’est l’approche d’une crise grave et les menaces de conjuration qui décidèrent la nobilitas à laisser élire Cicéron au consulat (Cat. 23, 5-6)… J. Hellegouarc’h (Le Vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, Belles Lettres, 1972, p. 472-483) a analysé la situation des homines noui à Rome. Il constate que non seulement l’homo nouus a un préjugé nobiliaire à vaincre, lui qui n’a pas la commendatio maiorum, mais qu’il se heurte encore à un préjugé qu’il qualifierait presque de “racial”. » M. Bonjour rappelle qu’il se voit traiter de “locataire” par Catilina (Salluste, Cat. 31,7), de “paysan d’Arpinum” par Clodius (CIC., Att. 1, 16, 10), de “troisième roi étranger à Rome” par Torquatus (CIC., Sull. 22). Cette lutte peut être associée à celle des plébéiens revendiquant la reconnaissance de leurs droits dans les premiers siècles de la République romaine ; cf. l’étude de M. Bonjour (p. 80) du discours de Canuleius, tribun de la plèbe dénonçant le mépris des patriciens pour leurs concitoyens : « Au livre IV, le discours de Canuleius évoque, à travers le conflit des patriciens et des plébéiens, l’attitude des vieux Romains qui méprisent les nouveaux citoyens, les jugeant indignes de vivre dans la même ville qu’eux… Le tribun rappelle qu’ils sont tous concitoyens, qu’ils habitent la même patrie (LIV. IV, 3, 2 et 3). »

976.

CIC., Verr. I, 151 : « C’était, je pense, le fils de Gracchus, ou le fils de Saturninus, ou le fils de quelque autre personnage du même genre que j’avais produit devant les juges, pour émouvoir par son nom même et par la mémoire de son père les passions d’une multitude grossière ? Non, c’était le fils de P. Iunius, un homme de la plèbe romaine… »

977.

A ce sujet, cf. le discours de Marius chez Salluste, B. J. 85, 25, véritable déclaration de principe de l’homo nouus opposant à la gloire des ancêtres sa propre valeur, à laquelle peut facilement s’identifier Cicéron, citée par J.-F. Thomas, « Gloria maiorum, gloria antiqua : la conscience du passé dans la conception de la gloire à Rome », l’Ancienneté chez les anciens, dir. par B. Bakhouche, Montpellier, 2003, t. 1, 133-154, p.142 :

Huiusce rei (= maiorum gloria) ego inopiam fateor, Quirites ; uerum, id quod multo praeclarius est, meamet facta mihi dicere licet

“Je n’ai pas de gloire ancestrale, je l’avoue, citoyens ; mais ce qui est beaucoup plus remarquable, je peux parler de mes propres exploits.”

Pour une analyse du discours de Marius et de la haine de la nobilitas chez Salluste, cf. R. Syme, Salluste, trad. P. Robin, Besançon, 1982, p. 141-143.

Sur l’attention portée par Cicéron à la similitude de sa situation et de celle de Marius, comme sauveur de Rome, cf. M. Bonjour, Terre natale…, p. 138, 229-230 : « Pour le jeune Arpinate plein d’ambition et de talent, Marius était un exemplum vivant. Il était celui qui avait quitté Arpinum pour devenir sept fois consul et sauver l’Etat ; il incarnait le mouvement qui porte le citoyen d’un municipe à passer de la petite patrie à la grande patrie romaine. De surcroît, en ce Marius, enfant du même terroir, Cicéron trouvait le grand ancêtre noble qui lui manquait pour affronter les nobiles dans la carrière des honneurs… L’identification est favorisée par le fait que Cicéron, comme Marius, est un homo nouus qui dut se frayer carrière jusqu’au consulat. Dans cette magistrature suprême, les deux Arpinates ont sauvé la patrie. Le vainqueur de Catilina s’est déclaré, comme le vainqueur des Cimbres, Pater Patriae. Ainsi du même municipe venaient les sauveurs de Rome. L’orateur le déclare fièrement dans le Pro Sulla (7, 23)… Quelle fierté pour Cicéron que d’entendre son nom associé à celui de Marius, le jour où Pompée témoigna que d’Arpinum étaient issus deux conseruatores de Rome (leg. II, 6) ! En outre, ces défenseurs de l’Etat ont connu les mêmes vicissitudes : l’exil, puis le retour. »

978.

CIC., Verr. II, V, 180 : « Je me rappelle M. Caton, le plus sage et le plus vigilant des hommes : tenant que le mérite et non pas la naissance le recommandait au peuple romain, désirant faire commencer à lui et durer à partir de lui sa noblesse et son nom, il encourut les inimitiés des personnages les plus puissants et vécut dans les plus importantes occupations jusqu’à une extrême vieillesse en se couvrant de gloire. »

979.

CIC., leg. agr. II, 3 : « Je suis, sur une longue période, de mémoire d’homme et de notre temps, presque le premier homme nouveau que vous ayez fait consul. » (traduction A. Boulanger modifiée, Paris, CUF, 1932).

980.

Cf. CIC., Mur. 17 : C. Marius en 107, T. Didius en 98, Caelius Caldus en 94. La victoire de Sylla en 94 mit un terme à l’accession d’homines noui au consulat jusqu’à la victoire de Cicéron.

981.

CIC., leg. agr. II, 3 : « Assurément, si vous voulez rappeler vos souvenirs, vous reconnaîtrez que, parmi les hommes nouveaux, ceux qui ont été faits consuls sans éprouver d’échec, l’ont été au prix d’efforts prolongés et à la faveur de quelque occasion »

982.

M. Ruch, « Pro Murena, Pro Archia, De oratore I », Etudes cicéroniennes, Paris, Centre de documentation universitaire, 1970, 13-42, p. 15 : « Si Cicéron ne cesse de parler de son consulat, des grandes actions qui l’ont illustré, du salut que lui doit la patrie, cet orgueil s’explique en dernière analyse par le complexe de l’homo nouus ». Cf. A. Desmouliez, « Psychanalyse de Cicéron », Congrès de Lyon, Actes du congrès G. Budé de Lyon, 8-13 septembre 1958, Paris, Belles lettres, 1960, 298-300, cité par M. Bonjour, Terre natale…, p. 138 : « … “le soin que (Cicéron) a mis à se défendre contre les critiques montre assez combien elles le touchaient”. Il éprouvait “le complexe du provincial devant l’élite de la capitale”. » M. Bonjour voit dans ce complexe (Terre natale…, p. 137, n. 5) « le mobile, un mobile du moins, de ces proclamations de dévouement à l’Vrbs, fréquentes dans ses discours, surtout quand il dénonce le complot de Catilina et le projet de l’incendium patriae. » Il incite l’Arpinate à devenir plus romain que les Romains de vieille lignée.

983.

Il n’est que de voir le courroux de l’orateur à l’encontre de son fils Marcus, blâmé de ne pas savoir mériter cet héritage ; selon M. Testard, « Cicéron, bourreau de soi-même ? », LEC 42, 1974, 149-162, p. 155-156, Cicéron établit une analogie entre sa lecture de l’Heautontimoroumenos et sa propre situation familiale lorsqu’il écrit le De officiis. Il adresse à son fils Marcus les mêmes reproches que Ménédème au jeune Clinia, coupable des mêmes frasques : « L’idée que Clinia doit tenir une conduite digne de soi, c’est-à-dire finalement digne de son père, est bien l’idée fondamentale de Cicéron éducateur de son fils (Heaut. 106-108 ; pour les passages où Cicéron se donne en exemple à son fils, off. I, 1-3 ; 78 ; II, 44 ; III, 6 ; 66). L’éternel “Moi, à ton âge” prononcé par Ménédème, se retrouve aussi sous la plume de Cicéron (Heaut. 110 ; off. II, 87), et les propos de self-made-man du père de Clinia (Heauton. 110-112), ne pouvaient que faire vibrer en Cicéron les fibres de l’homo nouus dont le fils ne mesurait ni les labeurs de l’ascension ni l’avantage de la situation acquise (off. III, 6). » Sur la constitution de ce patrimoine, cf. J.-F. Thomas, « Gloria maiorum, gloria antiqua : la conscience du passé dans la conception de la gloire à Rome », l’Ancienneté chez les anciens, dir. par B. Bakhouche, Montpellier, 2003, t. 1, 133-154, p. 143 : « La gloire qu’il a acquise est un patrimoine qu’il transmet à son fils (off. I, 78) : Licet enim mihi, M. fili, apud te gloriari, ad quem et hereditas huius gloriae et factorum imitatio pertinet (« Il m’est permis en effet, Marcus mon fils, de me glorifier auprès de toi qu’intéressent et l’héritage de cette gloire et l’imitation de mes actes »). Les termes hereditas, imitatio correspondent très exactement aux deux composantes de la gloria maiorum traditionnelle, la transmission d’un capital de prestige et l’obligation de le perpétuer en accomplissant des actions qui en soient dignes. » P.-M. Martin, « Le mos maiorum et l’idéologie popularis », l’Ancienneté chez les anciens, dir. par B. Bakhouche, Montpellier, 2003, t. 1, 155-168, p. 162-163, montre « son adhésion aux principes conservateurs… (Cicéron) s’excuse presque, devant le sénat, de ne pouvoir, comme les nobles qu’il a en face de lui, “parler de ses ancêtres” (leg. agr. 2, 2)… le même Cicéron s’adresse à son frère ou à son fils pour se poser en exemplum qu’ils doivent imiter et transmettre (ad Q. I, 1, 44)… au moment même où il dit ne pas avoir de maiores, il affirme sa prétention à en devenir un. Il se place donc, tout homo nouus qu’il est, dans la logique traditionnelle des optimates. »

984.

CIC., dom. 147 : « En effet, la gestion de notre fortune est maintenant à peu près réglée sur nos besoins, et nous laisserons à nos enfants un assez riche patrimoine dans le nom de leur père et la mémoire de nos actions ». (trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1952) Cf. aussi fam. VIII, 3, 35, lettre 196, infra p. 350.

985.

J.-F. Thomas, « Gloria maiorum, gloria antiqua : la conscience du passé dans la conception de la gloire à Rome », l’Ancienneté chez les anciens, dir. par B. Bakhouche, Montpellier, 2003, t. 1, 133-154, p. 144 : « La gloria maiorum de la nobilitas constitue ainsi la référence pour Cicéron dans la définition de cette gloire familiale que lui, l’homo nouus, veut fonder pour ses descendants… une sorte de mimétisme s’opère entre les deux mondes de telle sorte que Cicéron paraît se placer dans la perspective de la nobilitas. L’on souscrira au jugement de Philippe Muller : “Quand il écrit Des lois, Cicéron est entré au sénat, il prend le parti des “conservateurs” et c’est assez naturel qu’il cherche à égaler par l’appui de ses ancêtres ceux qui sont devenus son milieu politique.”Toutefois, la recherche du consensus révèle la possibilité d’une troisième voie pour Cicéron (cf. note infra sur le consensus).

986.

M. Bonjour, Terre natale…, observe du reste l’attachement de Cicéron aux souvenirs de sa « petite patrie » (p. 82 : « Le contenu de cette patrie naturelle est détaillé : dieux familiaux, lignée, souvenirs des ancêtres, maison qui fut celle du grand-père, puis du père… De là vient que Cicéron, comme il le déclare, se sent attaché à ce lieu par un sentiment intime… Voilà donc définie la petite patrie et indiqué l’attachement qu’elle inspire. ») ; elle relève ses souvenirs d’enfance, concernant Archias, « le maître de ses premiers essais poétiques » (p. 219) ou les habitudes domestiques de sa mère (p. 225) ; l’importance du mos maiorum pour les familles municipales : « … les Romains étaient gens de tradition. Et de même que le jeune patricien était élevé dans le respect du passé, des usages propres à sa famille, des imagines exposées dans l’atrium de sa maison, de même les jeunes Romains des municipes et des provinces se considéraient comme les maillons d’une longue chaîne. Les leçons qu’ils avaient reçues de leurs ancêtres et de leurs parents, les devoirs et les obligations qu’à leur tour il leur fallait remplir, ils devaient les transmettre à leurs enfants… assurer la pérennité d’un héritage, transmettre une tradition. » (p. 219-220) ; de la continuité des sacra (p. 221, n. 4 : « Sur les tombeaux de famille et les scrupules qui contraignent les descendants à rendre un culte à leurs ancêtres défunts, voir J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, p. 143. ») et l’enracinement familial d’Arpinum (p. 225 : « … ce sont ses ancêtres d’Arpinum et leurs leçons qui l’ont fait ce qu’il est et il est à leur image (leg. agr. 2, 1, 1)… Cicéron retrouvait toujours à Arpinum, pleine de souvenirs, symbole de continuité, la maison familiale… » ; p.227 : « … le premier mouvement de Cicéron le pousse à faire la cérémonie (son fils revêt la toge virile en 49) dans son pays et la satisfaction qu’il éprouve à faire plaisir à ses concitoyens en montrant que les traditions familiales des Tullii se perpétuaient à Arpinum. Ce sont ces traditions qu’il perpétuait aussi lorsqu’en 46, il fit élire son fils et son neveu édiles, c’est-à-dire principaux magistrats d’Arpinum (fam. 13, 11, 3)… C. Nicolet a montré aussi comment sénateurs et magistrats romains pouvaient exercer des charges locales par fidélité à leur petite patrie (L’ordre équestre à l’époque républicaine, p. 405) ; le provincial parvenu rêve aussi de continuité patriotique (p. 233 : « Or, le chêne qu’ont pu voir son grand-père et Marius est le témoin matériel de cette durée et de cette continuité enracinées dans la terre natale… Mais le chêne, image de la durée qui correspond à l’histoire, est aussi un symbole à l’évidente signification morale : il résume toute l’austère leçon d’Arpinum et tout l’exemple de Marius… ») ; ou encore le choix d’abord exprimé par Cicéron, instructif, de construire le fanum de sa fille Tullia à Arpinum (p. 339).

987.

Cf. CIC., Phil. IX, 10.

988.

Ibid. IX, 10 : « La vie de Ser. Sulpicius sera confiée à de nombreux et glorieux témoignages, pour perpétuer sa mémoire. Toujours sa fermeté, sa constance, sa loyauté, son zèle et sa sagesse hors de pair dans la défense de la République seront célébrés par la bouche de tous les mortels. On ne passera pas sous silence sa science admirable, incroyable et presque divine dans l’interprétation des lois et l’exposé de l’équité. » (trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1960).

989.

Ibid. IX, 11 : « Aussi la statue n’est-elle pas pour lui un monument dont il a besoin; il en a d’autres plus imposants. »

990.

Ibid. IX, 12 : « Cependant, Ser. Sulpicius ne pouvait nous laisser aucun monument plus fameux que l’image de ses propres mœurs, de sa vertu, de sa constance, de sa piété, de son génie, incarnée en son fils. »

991.

Ibid. IX, 13 : « Quand je me remémore les nombreux entretiens de Ser. Sulpicius dans notre intimité, je pense que, si la mort n’éteint pas tout sentiment, il préférera une statue pédestre en bronze à une statue équestre dorée… »

992.

Ibid. IX, 13 : « la grande douleur et le profond regret des citoyens trouveront dans ce monument honorifique un adoucissement et un apaisement. »

993.

Sur la position changeante de Cicéron à l’égard de la nobilitas et sur sa conception de l’homo nouus, cf. la mise au point de M. Mendel, « Marc Antoine déchu de sa nobilitas dans les Philippiques (I-IV) », VL 153, mars 1999, 27-40 ; la nobilitas est d’abord une citadelle assiégée, un parti qui s’approprie le consulat, que l’homo nouus doit arracher de haute lutte, en faisant ses preuves par son mérite personnel, sa uirtus, supérieure à celle de la nobilitas (p. 28 ; leg. II, 3-4). Par la suite, une fois devenu consul, il se considère comme un membre de la nobilitas, adhère à sa cause, qu’il confond avec celle de la République (p. 27-28). Mais Cicéron adopte finalement « une définition personnelle des nobiles : ce sont les hommes avides de caritas ciuium et gloria (“l’affection des citoyens et la gloire” ; Phil. I, 29). Il oppose la nobilitas de naissance et la nobilitas de cœur, préférant l’ignobilitas vertueuse d’Octavien à la nobilitas pervertie d’Antoine (Phil. III, 15 ; p. 37-38). C’est ainsi qu’il célèbre le mérite de l’homo nouus contre la décadence du nobilis irresponsable (p. 38-39) : « Cicéron recourt au concept élargi de nobilitas pour accabler Antoine ; ce même concept l’aidera à exalter Octave… La nobilitas dans les Philippiques désigne donc un comportement, non un parti. Le nobilis doit se distinguer par l’intérêt qu’il manifeste à l’égard de la République au bien-être de laquelle il doit veiller. Il est de son devoir de favoriser l’intérêt commun, la liberté, et son principal souci est de se révéler par ses qualités morales. Cette conception s’explique en partie par la carrière de Cicéron, homo nouus ; cela permet de comprendre que l’orateur ait, dans ce conflit opposant Antoine à Octave, préféré ce dernier, malgré l’amitié qui le liait à Antoine, et malgré les réticences qu’il manifeste dans la Correspondance à l’égard d’Octave. Pour mieux agresser Antoine, Cicéron a donc élargi la définition. Antoine possède une nobilitas par naissance : il fallait la lui dénier en donnant au concept une valeur davantage morale que catégorielle. » La vraie nobilitas est donc celle du mérite. Sur la définition de la nouitas, cf. Brunt P. A., « Nobilitas and nouitas », JRS 72, 1982, 1-17, notamment p. 15 pour l’ignobilitas d’Octavien. Concernant le rapprochement de Cicéron et de la nobilitas, cf. J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, Belles Lettres, 1972 (Collection d'Etudes anciennes 25), p. 437 : « … une fois qu’il a exercé le consulat et qu’il se considère comme appartenant à ce groupe, nobilitas en tant que parti n’apparaît presque plus dans ses ouvrages : on en relève quatre emplois seulement ; ailleurs, le mot désigne, soit la classe sociale, soit ordinairement la qualité du nobilis. »

994.

Sur le détail de l’accusation portée par Sulpicius et Caton, cf. H. Bardon, La littérature latine inconnue, t. 1, Paris, Klincksieck, 1952-1956, p. 234-236.

995.

Cf. R. Syme, La révolution romaine…, p. 32 : « Quelques unes des familles patriciennes… avaient complètement disparu, ou du moins ne possédaient plus de consuls. Les Sulpicii et les Manlii avaient perdu leur place éminente. »

996.

CIC., Mur. 16 : « Ce n’est donc pas dans les propos des contemporains mais dans la poussière des annales qu’il faut aller chercher des témoignages de ta noblesse. »

997.

Ibid. 16 : « Car il faut autant de valeur morale et de talent pour transmettre à ses descendants, comme l’a fait Q. Pompeius, une illustration qu’on ne tient de personne que pour renouveler par son mérite, comme l’a fait Scaurus, le renom presque éteint de sa famille. » Q. Pompeius, consul en 141, fait campagne en Espagne jusqu’en 139 ; il devient censeur en 131. Cf. T. R. S. Broughton, The magistrates…, t. 1, p. 477, 482, 500 ; t.2, p. 603. Sur la brillante carrière de M. Aemilius Scaurus, cf. supra p. 292 n. 960.

998.

CIC., Manil. 27 : « Mais puisque Pompée est le seul qui, par son mérite, surpasse non seulement la gloire de ses contemporains mais la mémoire des chefs d’autrefois, quelle raison pourrait, dans cette affaire, prolonger encore votre indécision ? » (trad. A. Boulanger modifiée, Paris, CUF, 1929).

999.

P. Boyancé, « Cicéron et César », BAGB 1959, 4, 483-500, repris dans Etudes sur l'humanisme…, 160-179, p. 161-162, analyse ainsi les relations parfois conflictuelles de Cicéron avec la noblesse : « De ces origines très différentes, Cicéron et César restèrent profondément marqués, mais non dans le sens que l’on pourrait croire, car c’est Cicéron, l’homme obscur, l’homme nouveau comme on disait dans la langue politique romaine, qui fut le conservateur et César le révolutionnaire. Cicéron était plein de respect pour les disciplines traditionnelles, pour le mos maiorum. Les institutions existantes lui semblaient les meilleures, si seulement on les ramenait à leur principe. La noblesse le regarda longtemps avec morgue, et lui de son côté se plut à la critiquer, mais son but était de prendre place en son sein, et d’être un jour au Sénat un consulaire dont l’autorité serait respectée et qui respecterait toutes les valeurs consacrées. »

1000.

Sur le resserrement supposé du nombre d’homines noui à la fin de la République, notamment à partir de la victoire de Sylla, cf. M. Dondin-Payre, « Homo nouus : un slogan de Caton à César ? », Historia 30, 1, 1981, 22-81, p. 36-37. Avant cette période, M. Dondin-Payre conteste la théorie du resserrement, génaralement admise par les historiens, constatant que le nombre d’homines noui a toujours été faible et qu’il n’a donc pas connu d’évolution flagrante.

1001.

CIC., Mur. 17 : « Cependant, juges, je croyais quant à moi en avoir fait assez pour que l’on ne reprochât plus désormais l’obscurité de leur naissance à tant d’hommes de cœur. Ils avaient beau se réclamer non seulement des Curius, des Caton, des Pompée, de tous ces grands citoyens d’autrefois, qui furent des hommes nouveaux, mais encore des exemples récents des Marius, des Didius, des Caelius, ils restaient dans leur humilité. »

1002.

Ibid. 17 : « Mais quand, après un si long intervalle, j’eus brisé les barrières où se retranchait la noblesse, pour que désormais l’accès du consulat fût ouvert, comme il était au temps de nos aïeux, à la valeur personnelle aussi bien qu’à la noblesse, je ne pensais pas que voyant un consul désigné, d’une ancienne et illustre famille, défendu par un consul fils d’un chevalier romain, les accusateurs mettraient en cause la nouveauté de la naissance ! » (trad. A. Boulanger modifiée, Paris, CUF, 1943).

1003.

M. Dondin-Payre, « Homo nouus : un slogan de Caton à César ? », Historia 30,1, 1981, 22-81, p. 40-41 : « … Murena n’est jamais dit “homme nouveau” par Cicéron : celui-ci insiste à plusieurs reprises sur les nombreux ancêtres préteurs qui illustrèrent la famille et le fait que l’accession du fils au consulat n’est que la reconnaissance de mérites qui auraient déjà dû valoir cette charge au père… mais le fait de descendre d’un personnage qui aurait pu exercer le consulat ôtait, semble-t-il le droit au titre d’“homme nouveau”… il paraît abusif de déduire du fait qu’un personnage n’est pas “noble” qu’il appartient aux homines noui… Le cas de Murena montre bien, au contraire, qu’on peut introduire le consulat dans une famille sans être “homme nouveau” ; il existe une frange entre les deux “groupes” et la non-appartenance à l’un n’implique pas l’inclusion dans l’autre. »

1004.

M. Dondin-Payre, « Homo nouus : un slogan de Caton à César ? », Historia 30,1, 1981, 22-81, p. 49-50, relativise l’importance et le poids politique des homines noui, qui n’ont jamais constitué un mouvement politique organisé et représentent une exception : « La ligne de partage ne passe pas entre les “nobles” et les “hommes nouveaux” dont il est d’ailleurs tout à fait évident que le nombre restreint ne leur permit jamais de constituer une force inquiétante pour quiconque, et qui, tant par la fortune que par le genre de vie, ne se différenciaient guère des autres membres de la classe dirigeante : la vie politique est déterminée par la lutte entre “factions”. Il paraît abusif de présenter l’opposition nobiles-homines noui comme le facteur explicatif qui aurait, jusqu’à la fin de la République, remplacé la lutte entre patriciat et plèbe. » L’abus de l’expression chez Cicéron a fait croire au slogan politique d’un parti (p. 52) : « le consul de 63 mit si souvent l’accent sur son origine, soulignant par là son mérite, que l’on a transposé de façon abusive cette préoccupation à toute la société politique romaine. », alors que (p. 53) « la nouitas ne semble pas avoir remplacé, en opposition à nobilitas le couple patriciat-plèbe comme facteur déterminant de la vie politique républicaine. » P. J. J. Vanderbroeck, « Homo nouus again », Chiron 16, 1986, 239-242, p. 239, réagit à la définition restrictive de l’homo nouus donnée par M. Dondin-Payre, « too limited… It seems that there is a differenciation in the meaning of new men in ancient literature. There is no exact definition ; the meaning depends on the context. » Les définitions sont multiples (p. 242) : « Finally, there were the persons who were the first of their family not only to enter the senate, but also to reach the consulate : the quintessential new men. » D. R. Shackleton Bailey, « Nobiles and noui reconsidered », American journal of philology 107, 2, 1986, 255-260, va dans le même sens, contre une définition restrictive (p. 260) : « We must not forget that these terms are governed by usage, not by legal definition. »

1005.

Pour reprendre l’expression de M. Testard, « Cicéron, bourreau de soi-même ? », LEC 42, 1974, 149-162, p. 156.

1006.

Cicéron définit ainsi la catégorie des optimates, qui ne comprend pas seulement les aristocrates, mais l’ensemble des boni ciues, selon un critère moral, et qui constitue un idéal moral, universel, comme le rappelle P. Boyancé, « La réponse de l’humanisme cicéronien », Miscellanea Carvalho n° 8, 1962, 849-854, repris dans Etudes sur l'humanisme…, 342-350, p. 344-345 : « Les optimates, tels qu’il les conçoit, ce ne sont ni les nobles, ni les chevaliers : ce n’est pas une caste recrutée par la naissance ou par l’argent. Sans doute il ne contestait pas à ceux qui se disaient tels leur qualité et ceux qui se disaient tels se distinguaient en fait par la naissance ou par l’argent… Mais… il importe aussi de ne pas méconnaître, dans cette notion politique, ce qu’elle impliquait d’obligations exigées par l’idéal, et surtout ce que lui apporta la philosophie. Les optimates ne sont vraiment les meilleurs que s’ils font effort pour mériter de l’être. Noblesse oblige. Cicéron ne reconnaît pas de vrais optimates dans ces aristocrates uniquement occupés de leurs viviers et de leurs débauches. Et d’autre part les optimates ne sont pas une caste fermée. Dans la définition mémorable du Pro Sestio, Cicéron y fait figurer tous les éléments de la société qui apportent à celle-ci la contribution d’une activité réglée et féconde. En fait le recrutement reste subordonné aux réalités existantes et sur ce point Cicéron ne s’explique guère. Mais ce qui est propre à sa doctrine, ce n’est pas qu’il tienne compte des faits (assurément Cicéron n’est pas un révolutionnaire), c’est qu’il les dépasse. C’est qu’en droit des exhortations politiques s’adressent à tous les citoyens vertueux selon les canons de la philosophie. Ce qui est important, ce n’est pas le point de départ, mais c’est la tendance et cette tendance va dans le sens de l’universalité humaine. »