E. La pérennité de la cité et les monumenta des individus méritants

La fusion de la mémoire individuelle et de la mémoire collective est une nécessité pour Cicéron ; elle n’est rendue possible que par la commémoration publique, qui pérennise le souvenir des hommes méritants, des héros de la République, et leur confère ainsi l’immortalité, dès lors qu’ils deviennent un élément constitutif de l’Histoire romaine, qu’ils alimentent. L’élaboration de l’Histoire, en tant que mémoire commune, est rendue possible par la construction de monumenta 1218 . Les derniers discours de Cicéron sont les plus caractéristiques de ce processus, probablement parce que la carrière de l’orateur est alors derrière lui, qu’il n’a plus à se soucier de concilier les différentes forces susceptibles de lui faire perdre un procès, un appui politique ou un suffrage ou de l’empêcher de durer — la plupart ont disparu, Crassus, Pompée, César, remplacés par la nouvelle génération ; dès lors, il ne lui reste plus qu’à défendre son dessein politique — sauver Rome des ambitieux — sans accepter le moindre compromis avec les factieux, ce qui explique sans doute la férocité verbale exercée à l’encontre d’Antoine et de ses amis, avec la plus grande intransigeance. C’est dans ce cadre que s’insère la politique des monumenta, récompenses attribuées aux héros, mais aussi garantie d’éternité pour la cité qui les offre.

Il est le premier à expérimenter ce processus, lorsqu’il raille Antoine, qui lui reproche d’avoir inspiré le meurtre de César. Bien loin de s’en blâmer, Cicéron s’en honore, retournant une fois de plus l’argument de son adversaire en sa faveur, d’autant plus qu’Antoine a loué Brutus et les conspirateurs ! Cicéron surenchérit, espérant en retirer une reconnaissance éternelle, diffusée par la mémoire des hommes :

‘quae enim res umquam, pro sancte Iuppiter, non modo in hac urbe sed in omnibus terris est gesta maior, quae gloriosior, quae commendatior hominum memoriae sempiternae? 1219

En l’accusant de la sorte, Antoine le loue sans le vouloir et contribue à son immortalité, car par ses accusations, il reconnaît la responsabilité de Cicéron dans ce facinus et garantit ainsi que la postérité en sera consciente. Le désir de gloire du consulaire se trouve satisfait : il intègre la conscience collective et s’insère dans l’Histoire universelle, comme le confirme le choix de la comparaison suivante ; en l’accusant ainsi, en effet, Antoine, nous dit Cicéron, « l’enferme dans le cheval de Troie avec les chefs grecs », lui permettant de rejoindre le mythe 1220  :

‘In huius me tu consili societatem tamquam in equum Troianum cum principibus includis. 1221

Le seul fait qu’Antoine cite ainsi Cicéron constitue un monumentum — Antoine, monumentum de Cicéron, quel comble ! — capable de traverser le temps et d’irriguer la mémoire de la postérité, donc de participer à la construction de l’Histoire de Rome, c’est-à-dire de son identité. L’historiographie, relais d’une mémoire diachronique, courroie de transmission d’une génération à une autre, d’une memoria à une autre, se trouve en effet immédiatement évoquée — litterae. Son existence garantit la pérennité du souvenir pour les hommes méritants, Cicéron l’affirme en une question oratoire :

‘quae uero tam immemor posteritas, quae tam ingratae litterae reperientur, quae eorum gloriam non immortalitatis memoria prosequantur? 1222

L’historiographie apparaît comme le réceptacle de cette memoria ; en garantissant l’immortalité aux héros, elle offre aussi à Rome l’éternité.

En effet, la peur de la fin de Rome nourrit le combat contre les fauteurs de trouble, aventuriers, chefs de guerre et autres conjurés, et en faveur de la concorde et de la stabilité. La guerre civile est un indice de cette possible fin des temps, ou du moins de la République. Pour l’éviter, la memoria est une arme, dont Cicéron use constamment. Le travail historiographique, auquel il est particulièrement attaché, est fondamental ; il immortalise les héros, leur offre une gloire éternelle, et fournit à la postérité des modèles dont la reproduction à l’infini, par l’exemplarité, garantit l’éternité de Rome, qui se trouva toujours sauvée par ses héros, en dernier lieu Cicéron lui-même. Ainsi, nous l’avons dit, Rome doit se souvenir de ses racines pour rester Rome et manifester une continuité identitaire. Mais plus fondamentalement, l’établissement de monumenta des grands hommes, donc la constitution de la memoria historique, sont considérés par Cicéron comme une manifestation de l’existence même de la cité. L’analogie avec l’âme est parlante : la memoria est une garantie de son immortalité, par son rapport particulier au temps, et parce qu’elle fonde la présence de l’intelligentia et de la prouidentia. Il en va de même pour la cité : se souvenir, c’est exister ! La memoria, à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective est conscience de soi, elle constitue une preuve ontologique de l’existence. Tant que Rome se souvient de son passé, c’est qu’elle existe ; il est donc judicieux, aux yeux de Cicéron, de lui constituer une mémoire historique dont le souvenir de son consulat devient l’un des éléments essentiels. Il bâtit donc un réseau de monumenta destinés à rappeler à l’avenir Rome à elle-même, et à lui permettre de rester Rome 1223 .

Ces monumenta ne concernent pas seulement sa propre personne, mais aussi tous les hommes de bien qu’il a pu grouper autour de lui, notamment grâce à la memoria. C’est ainsi qu’il réclame les honneurs de la mémoire collective, en l’occurrence, dans la neuvième Philippique, une statue sur les Rostres, pour Servius Sulpicius Rufus, mort de maladie alors qu’il avait été envoyé en ambassade auprès d’Antoine par le Sénat 1224 .

Il s’appuie sur des précédents : la statue commémorant la mort de quatre ambassadeurs romains envoyés à Fidènes, tués par le roi de Véies Tolumnius en 437 1225 . Le monumentumstatua — a rempli sa fonction : il garantit le souvenir, dans la conscience de la postérité — diuturnam memoriam —, du sacrifice de citoyens méritants — iustus honos —, puisqu’il subsiste matériellement jusqu’à l’époque de Cicéron, c’est-à-dire qu’il assure la pérennité du souvenir dans sa mémoire — usque ad meam memoriam. Le lien entre la mémoire, notion abstraite, faculté de l’esprit, et l’époque chronologique, définie, matérielle et tangible, nous paraît ainsi essentiel dans la traduction du mot memoria : parce que la mémoire, principe d’appréciation du temps, est infinie, elle suscite la succession des époques ou générations. Un second exemple, plus fort parce que nominatif, s’enchaîne au premier : c’est la mort de Cnaeus Octavius, envoyé en Orient en 163-162 pour empêcher le petit-fils d’Antiochus de s’armer, et tué dans le gymnase de Laodicée. La statue élevée en son honneur est le seul monumentum de sa famille, mais suffit à assurer la gloire ultérieure de celle-ci 1226 . Le monumentum, public, est une récompense qui garantit la mémoire familiale d’Octavius, tout en l’intégrant à la mémoire nationale de Rome.

Cette reconnaissance permanente des mérites des citoyens est un gage d’éternité pour ceux-ci, mais aussi pour la cité elle-même : en les intégrant à sa mémoire collective, elle enrichit sa propre histoire et alimente sa propre existence ; Rome vivra donc tant qu’elle se souviendra de ses héros, depuis un lointain passé, jusqu’à un avenir dont Cicéron veut ainsi prévenir l’instabilité, la précarité, suscitées par les ambitions des chefs de guerre et de leurs épigones. En effet, une longue lignée de héros est la garantie pour Cicéron de la continuité historique de Rome, qu’il espère éternelle, conjurant ainsi le péril d’une fin de l’Histoire, donc de Rome, qu’il associe à la fin de la République, qu’il pressent et combat. Tous les monumenta contribuent à cette pérennité. Le ius imaginum en fait partie 1227 .

Fig.8 : patricien romain portant les masques mortuaires de ses ancêtres (Rome, Ier s. av. J.-C., musée Barberini, Rome ; photo : Institut archéologique allemand, Rome ; extrait de M. Wheeler,
Fig.8 : patricien romain portant les masques mortuaires de ses ancêtres (Rome, Ier s. av. J.-C., musée Barberini, Rome ; photo : Institut archéologique allemand, Rome ; extrait de M. Wheeler, L’art romain, Paris, 1992, p. 163).

Pour cette raison, la memoria apparaît comme une vertu nécessaire, voire un devoir. Obligation morale, elle est la juste récompense accordée par les vivants aux morts qui ont œuvré pour Rome, et qui sont ainsi sauvés de l’oubli en retrouvant une forme de vie dans la mémoire nationale. Cicéron attend une telle marque de reconnaissance du sacrifice de Sulpicius, une statue, comme celle des ambassadeurs ou d’Octavius : elle consacrera son souvenir, mais aussi le jugement du Sénat sur Antoine, considéré comme le fauteur de guerre à qui l’on envoyait Sulpicius en ambassade. En valorisant la mémoire du héros, on entérine du même coup la lourde responsabilité et le déshonneur d’Antoine aux yeux de la postérité :

‘Quodcirca etiam ad posteritatis memoriam pertinere arbitror exstare quod fuerit de hoc bello iudicium senatus: erit enim statua ipsa testis bellum tam graue fuisse ut legati interitus honoris memoriam consecutus sit. 1228

Cicéron s’appuie alors sur la mémoire des sénateurs, pour leur rappeler qu’ils sont responsables de la mort de Sulpicius, puisqu’ils l’ont envoyé en députation alors qu’il alléguait pour rester à Rome la maladie qui l’emporta finalement :

‘Quodsi excusationem Ser. Sulpici, patres conscripti, legationis obeundae recordari uolueritis, nulla dubitatio relinquetur quin honore mortui quam uiuo iniuriam fecimus sarciamus. 1229

Très clairement, l’acte de mémoire, soutenu par un monumentum — une statue honorifique — sauvera le héros de l’oubli, et lui offre une seconde vie, éternelle celle-là :

‘Reddite igitur, patres conscripti, ei uitam cui ademistis. Vita enim mortuorum in memoria est posita uiuorum. Perficite ut is quem uos inscii ad mortem misistis immortalitatem habeat a uobis. Cui si statuam in rostris decreto uestro statueritis, nulla eius legationem posteritatis obscurabit obliuio. 1230

Cicéron confronte la mort physique de Sulpicius, dont le Sénat est jugé involontairement responsable — ad mortem misistis — et l’immortalité spirituelle acquise auprès de la postérité, la memoria uiuorum se trouvant dépositaire de la uita mortuorum ; la confiance dans une seconde vie conférée par la mémoire de la postérité paraît évidente. Telle est la récompense promise au héros.

Sulpicius laisse derrière lui divers monumenta, à commencer par ses nombreuses qualités ; la statue érigée sur les Rostres en est un parmi d’autres :

‘Ergo hoc statuae monumento non eget, habet alia maiora. Haec enim statua mortis honestae testis erit, illa memoria uitae gloriosae, ut hoc magis monumentum grati senatus quam clari uiri futurum sit. 1231

Ce monumentum exprime la reconnaissance de la nation, à travers la structure comparative magis… quam, qui souligne qu’un bienfait en est retiré par le Sénat plutôt que par Sulpicius. En effet, si Sulpicius reçoit l’immortalité, le Sénat, lui, l’intègre dans une longue suite de héros dévoués à Rome, dont l’Histoire se trouve ainsi enrichie, et la continuité renforcée : l’immortalité des héros, permise par la memoria de la postérité, est une promesse d’éternité pour Rome. Du reste, le monumentum est moins à la gloire de Sulpicius qu’à celle du Sénat, qui s’intègre lui-même dans la glorieuse histoire de Rome, celle des memores et des grati.

En face, l’oubli apparaît comme le pire danger, car il traduit, au mieux, le désintérêt, au pire, l’ambition personnelle. D’où les appels continuels, menaçants, lancés par Cicéron à la mémoire des juges ou des auditeurs rassemblés au Sénat et au Forum. Il est interdit d’oublier, non seulement par reconnaissance envers les citoyens méritants, mais surtout pour assurer la permanence romaine : tant que Rome se souvient de ses héros, elle existe et se reproduit à l’identique. La mémoire maintient la cohérence de l’Histoire romaine, donc de Rome. Voilà le devoir de mémoire tel que le définit Cicéron, qui éclaire d’un jour nouveau les appels adressés aux juges sous une forme impérative ou pressante évoqués plus haut. Ainsi, lors du procès de Milon, Cicéron invite les juges à sauver ce dernier de l’exil, puisqu’ils garderont de son action le souvenir positif d’un homme qui a servi sa cité en tuant Clodius :

‘Memoriam Milonis retinebitis, ipsum eicietis ? 1232

L’asyndète révèle une contradiction absurde : il serait inconséquent de bannir Milon tout en gardant le souvenir de son bienfait, le meurtre de Clodius.

La mémoire est une obligation pour la cité, dans la mesure où elle constitue la gratification qui incite les citoyens à accomplir leur devoir envers la République. Cette réflexion est développée dans la dernière Philippique connue. Cicéron la prononce le 21 avril 43 devant le Sénat réuni au temple de Jupiter capitolin. La veille, il a été ramené triomphalement de sa maison jusqu’au Capitole. Car une première victoire vient d’être remportée à Modène contre les troupes d’Antoine. Cicéron réclame la poursuite de la lutte, et surtout une récompense honorifique pour les héros qui ont contribué à défaire l’ennemi au prix de leur vie pour un bon nombre — les consuls Hirtius et Pansa ont été tués. Cette récompense témoigne de la reconnaissance de Rome, garantie par la mémoire collective. En conséquence, le consulaire propose d’élever un monumentum aux soldats méritants, morts pour la patrie :

‘Placet igitur mihi, patres conscripti, legionis Martiae militibus et iis qui, una pugnantes, occiderint monumentum fieri quam amplissimum. 1233

Le superlatif absolu renforcé — quam amplissimum — souligne l’importance fédératrice d’un monument symbole de l’union des combattants autour d’une idée républicaine — una pugnantes. Ceux-ci ont sacrifié leur vie terrestre en échange d’une gloire supérieure, éternelle ; c’est l’application directe du principe énoncé dans le De re publica : nourrir les héros de gloire 1234  :

‘Breuis a natura uita nobis data est; at memoria bene redditae uitae sempiterna. Quae si non esset longior quam haec uita, quis esset tam amens qui maximis laboribus et periculis ad summam laudem gloriamque contenderet? 1235

L’opposition est nettement marquée entre la vie physique — uita — et la mémoire de la postérité — memoria —, par l’antonymie lexicale et le chiasme de breuis et de sempiterna. Le jeu sur les verbes data est/reddita souligne la nature mortelle de l’existence humaine et donc sa différence avec celle de la memoria, éternelle. La leçon de Scipion dans le De republica est affinée dans cette dernière Philippique ; elle se fonde sur une relation d’échange, de réciprocité : c’est la promesse d’un souvenir éternel contre une « reddition honorable de l’existence » — bene redditae uitae. Le souvenir de cette mort au service de la cité garantit une reconnaissance durable.

Un monumentum doit donc marquer cette reconnaissance dans le temps et la transmettre à la postérité, pour l’éternité : il consiste en un autel dédié à la bravoure, une ara uirtutis, qui unit dans la mort tous les soldats tués au service de Rome, et les intègre dans la mémoire collective, nationale — ad memoriam aeternitatis :

‘… eosque nec inhumatos esse nec desertos, quod tamen ipsum pro patria non miserandum putatur, nec, dispersis bustis, humili sepultura crematos, sed contectos publicis operibus atque muneribus eaque exstructione quae sit ad memoriam aeternitatis ara Virtutis! 1236

Cet autel est conçu comme une consolation pour les familles :

‘Quam ob rem, maximum quidem solacium erit propinquorum eodem monumento declarari et uirtutem suorum et populi Romani pietatem et senatus fidem et crudelissimi memoriam belli ; in quo nisi tanta militum uirtus exstitisset, parricidio M. Antoni nomen populi Romani occidisset. 1237

Cette consolation consiste en une dilution du souvenir individuel à l’intérieur de la mémoire collective 1238 comme l’atteste la gradation ascendante uirtutem suorum/populi pietatem/senatus fidem/memoriam belli. Ce qui autorise cette fusion, c’est l’analogie de la collectivité et de l’individu : les vertus individuelles — pietas, fides, memoria — sont effectivement étendues à l’ensemble de la communauté. Le souvenir du sacrifice de ces soldats est immortalisé 1239 dans l’histoire de Rome par l’autel de la uirtus parce qu’ils sauvent la mémoire collective, le nomen populi Romani qu’Antoine veut détruire.

Un tel monument est bien destiné à la mémoire des générations futures, pour une durée que Cicéron juge infinie. L’attestent les termes aeternitas, posteritas, sempiternus, qui accompagnent memoria en abondance dans ses discours, souvent concentrés dans une même expression, en une redondance emphatique. C’est ainsi qu’il conclut cette dernière Philippique par une proposition de décret concernant la construction de cet autel, destiné à la « mémoire éternelle de la postérité » :

‘… senatui placere ut C. Pansa, A. Hirtius, consules, imperatores, alter amboue, si iis uideatur, iis qui sanguinem pro uita, libertate, fortunis populi Romani, pro urbe, templis deorum immortalium profudissent, monumentum quam amplissimum locandum faciendumque curent quaestoresque urbanos ad eam rem pecuniam dare, attribuere, soluere iubeant, ut exstet ad memoriam posteritatis sempiternam scelus crudelissimorum hostium militumque diuina uirtus… 1240

Le sénatus-consulte manifeste donc une prise de conscience publique de ce sacrifice ; le monumentum construit, collectif, abritant le souvenir d’une foule anonyme apparaît comme la quintessence de cette mémoire collective, un lieu de mémoire où se fondent toutes les mémoires individuelles qui viennent enrichir l’histoire héroïque de Rome et lui garantir l’éternité 1241 , par l’assurance que la postérité en gardera le souvenir. Le Sénat vote cette mesure, attribuant à Hirtius, Pansa et Octavien le titre d’imperator, ainsi qu’un tombeau national pour les morts, des récompenses pour leurs proches et cinquante jours de supplications pour les trois imperatores 1242 . Il affiche ainsi sa confiance dans la proposition cicéronienne et dans l’éternité romaine.

L’appel à la memoria affirme donc la solidarité des contemporains de Cicéron non seulement avec leurs ancêtres mais aussi avec la postérité et confirme ainsi la continuité de l’histoire romaine.

Fig.9 :
Fig.9 : Ara Pacis Augustae. Cf. Bianchi Bandinelli R., Rome, le centre du pouvoir, Paris, Gallimard, 1969 (l’Univers des formes), p. 186, ill. 200. L’Ara Pacis Augustae permet d’imaginer l’Ara Virtutis voulue par Cicéron. Cf. Bianchi Bandinelli R., Rome, le centre du pouvoir, Paris, Gallimard, 1969 (l’Univers des formes), p. 186, ill. 200.

Notes
1218.

M.-J. Kardos, « Cicéron et les monumenta », REL 82, 2004, 89-101, définit ainsi les monumenta (p. 90-91) : « L’Vrbs lui est chère parce que les lieux y possèdent ce “pouvoir de rappel” (uis admonitionis) dont il parle dans le De finibus (5, 2). Il en précise bien la nature : “nous pensons aux grands hommes avec plus de vivacité et d’attention quand les lieux nous y invitent” (fin. 5, 2, 4). » « Pour Varron (Ling. 6, 49), on désigne sous le nom de monumenta tout ce qui est écrit ou fait memoriae causa (Varron rapproche moneo et memini de memoria). Les divers emplois du mot dans l’œuvre de Cicéron le confirment… Le terme monumentum s’applique à tout ce qui témoigne — surtout d’un passé qu’il faut sauver de l’oubli — sous les formes les plus diverses. » (p. 91) La uis admonitionis des monumenta explique l’attachement de Cicéron à l’Histoire et plus particulièrement aux monuments anciens (p. 90) : « Ainsi se manifeste, à travers les lieux de l’Vrbs cités dans les discours, les traités ou la Correspondance, l’intérêt pour la passé d’un Cicéron qui est, de son propre aveu, passionné par l’Histoire (Att. 12, 13, 2 : Ardeo studio historiae). Il en estime d’ailleurs la connaissance indispensable pour l’orateur ». Les monuments matériels, par leur présence physique, ont une force d’avocation qui offre à la mémoire des citoyens le souvenir de ces grands hommes, selon un processus psychologique que Cicéron a observé chez lui et qu’il étend à tous, selon M.-J. Kardos (p. 91) : il est touché par les édifices « que hante le souvenir des hommes illustres du passé. Il avait déjà exprimé ce sentiment dans le De legibus (2, 4) : “ Sur les lieux mêmes où subsistent les traces des êtres que nous aimons et que nous admirons, nous éprouvons une émotion que je ne saurais définir”. »

1219.

CIC., Phil. II, 32 : « car a-t-on jamais accompli, ô grand Jupiter, dans notre Ville et dans l’univers entier, une action plus grande, plus glorieuse, qui se recommande mieux à l’éternel souvenir des hommes ? »

1220.

Sur le désir de devenir une partie constitutive de l’histoire de Rome, cf. M.-J. Kardos, « Cicéron et les monumenta », REL 82, 2004, 89-101, p. 99 : « … on sait combien l’orateur tenait à laisser un souvenir impérissable de son consulat et de ses mérites d’homme d’Etat… pour lui la gloire, qui trouve son épanouissement dans l’immortalité, doit perpétuer le souvenir de la vertu… un monumentum aurait sa place dans la quête de la gloire… A ses yeux, surtout s’il est d’utilité publique, le monumentum… propose ainsi un exemple à suivre. » L’appel à Lucceius (fam. V, 2) pour immortaliser son consulat y répond (p. 99) : « L’injure faite à ce monumentum explique peut-être la lettre qu’il écrit à Lucceius en 56 : à cette époque, il brûle, dit-il, du désir de voir au plus tôt le souvenir de ses actions confié à un monumentum qui serait l’œuvre d’un grand historien comme son correspondant… » En effet (p. 92), « chez Cicéron, (les monumenta) sont très souvent des écrits, qu’il s’agisse de textes littéraires ou de documents officiels, par exemple dans les expressions : litterarum monumenta ; annalium monumenta ; in rationibus monumentisque publicis. » Mais comme le souligne M.-J. Kardos (p. 100), « … il reste de lui un “monument” destiné à durer beaucoup plus longtemps que la pierre — ou le bronze — et dont il est l’auteur : son œuvre. C’est d’ailleurs cette œuvre sous ses diverses formes, utile selon lui à la jeunesse et contribuant à la gloire de Rome, qu’il appelle dans les Philippiques (2, 20) monumenta mea. » Elle remplit au mieux cette fonction en lui donnant une place dans la légende romaine et en pérennisant son nom et son action, comme la poésie d’Horace préserve le souvenir du poète (Carm. III, 30, 6-7) :

Non omnis moriar multaque pars mei / uitabit Libitinam…

“Je ne mourrai pas tout entier, et une bonne partie de mon être sera soustraite à Libitine…”

1221.

CIC., Phil. II, 32 : « En m’associant à cette entreprise, tu m’enfermes avec les chefs dans le cheval de Troie. » (trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1959).

1222.

Ibid. II, 33 : « se trouvera-t-il une postérité assez oublieuse, une histoire assez ingrate pour ne pas honorer leur gloire par une mémoire éternelle ? »

1223.

Sur l’espoir d’immortalité suscité par les monumenta, en réponse aux aspirations spirituelles de Cicéron, cf. M.-J. Kardos, « Cicéron et les monumenta », REL 82, 2004, 89-101, p. 100-101 : « “L’idée que la postérité parlera de moi (commemoratio posteritatis) m’emporte à je ne sais quels rêves d’immortalité” confiait-il encore au début de la lettre à Lucceius… Mais finalement, à travers l’importance qu’il accorde aux réalisations de toutes sortes désignées sous ce nom, c’est peut-être sa préoccupation essentielle qui se révèle, celle qui a donné son sens à sa vie et à son œuvre. Ne déclarait-il pas en effet, dans le Pro Archia : “Chez tout être d’élite réside une sorte d’énergie spirituelle (uirtus) qui, nuit et jour, stimule l’âme de l’aiguillon de la gloire et l’avertit (admonet) qu’il faut non pas laisser le souvenir de notre nom s’en aller avec les instants de notre vie, mais au contraire lui donner une durée égale à toute la postérité”, ajoutant : “Ce souvenir, soit qu’il doive après ma mort échapper à ma perception, soit que, selon l’opinion des gens les plus sages, il vienne toucher quelque partie de mon âme, du moins il est certain que maintenant, j’en ai une idée, une espérance qui me réjouit” ? Aux yeux de Cicéron, un site, un lieu qui a été le décor d’une vie semble posséder une signification spirituelle. De même, le monumentum est à la fois “indication sur le passé et avertissement pour l’avenir”, il rappelle et il exhorte. Les monumenta de l’Vrbs sont une incitation à imiter les grands hommes, un appel à tenir un rôle ; ils sont aussi la preuve que le service de l’Etat, du bien commun, ouvre la voie à l’immortalité. »

1224.

G. Boissier, Cicéron et ses amis…, p. 312-314, trace le portrait de Sulpicius Rufus, juriste érudit ami de Cicéron, passif et influençable selon le commentateur. Il est préteur en 65, consul en 51, gouverneur de Grèce en 46-45 : cf. T.R.S. Broughton, The magistrates…, t. 2, p. 158, 240, 299, 624. Cf. M.-J. Kardos, « Cicéron et les monumenta », REL 82, 2004, 89-10, p. 92, sur les statues commémoratives et en particulier celle de Sulpicius : « (Les monumenta) sont aussi des statues, signa, qui figent dans le bois, la pierre, l’or, l’airain les puissances divines ou les simples mortels… Quant aux statues honorifiques, c’est un sujet que l’orateur a longuement traité dans la IXe Philippique, en proposant des honneurs exceptionnels pour Ser. Sulpicius décédé au cours d’une mission officielle au début de 43 : selon lui, il existe d’autres monumenta des nombreux mérites d’un tel personnage ; et une statue de bronze sur les Rostres — à l’endroit le plus en vue donc — sera plutôt le monumentum de la reconnaissance du sénat. L’honneur d’un monumentum console ceux qui pleurent le défunt ; et surtout il est gage d’immortalité, car “la vie des morts repose sur le souvenir des vivants” (Phil. IX, 10). »

1225.

Cf. supra p. 234, CIC., Phil. IX, 4, texte, traduction et analyse. Nous avons vu comment s’opérait le glissement de “mémoire” à “génération” dans ce texte.

1226.

Cf. supra p. 235, CIC., Phil. IX, 5, texte, traduction et analyse.

1227.

F. Dupont, « Imago identique et imago identitaire : le jeu du double dans la comédie romaine », Images Romaines : actes de la table ronde organisée à l'Ecole normale supérieure, 24-26 octobre 1996, 247-259, éd. F. Dupont et C. Auvray-Assayas, Paris, Presses de l'Ecole Normale Supérieure, 1998 (Etudes de littérature ancienne 9), 247-259, p. 247-248, analyse le fonctionnement du ius imaginum. L’illustration montre un patricien romain portant les masques mortuaires de ses ancêtres (Rome, Ier s. av. J.-C., musée Barberini, Rome ; photo : Institut archéologique allemand, Rome ; extrait de M. Wheeler, L’art romain, Paris, 1992, p. 163).

1228.

CIC., Phil. IX, 7 : « C’est pourquoi, pour le souvenir même de la postérité, il convient, je crois, que subsiste un témoignage du jugement porté par le Sénat sur cette guerre : la statue même attestera l’importance d’une guerre où la mort d’un délégué a entraîné la consécration de sa mémoire. »

1229.

Ibid. IX, 8 : « Si vous voulez bien vous rappeler, Sénateurs, les motifs que Ser. Sulpicius alléguait pour décliner sa mission, vous n’aurez plus aucune hésitation à honorer son trépas, pour réparer le tort que nous lui avons fait de son vivant. »

1230.

Ibid. IX, 10 : « Rendez donc, Sénateurs, la vie à celui que vous en avez privé. La vie des morts repose sur le souvenir des vivants. Faites en sorte que celui que vous avez envoyé involontairement à la mort reçoive de vous l’immortalité. Si vous lui élevez par décret une statue sur les rostres, aucun oubli ne ternira dans la postérité l’éclat de sa mission. »

1231.

Ibid. IX, 11 : « Aussi la statue n’est-elle pas pour lui un monument nécessaire ; il en a d’autres plus imposants. Si cette statue doit attester la noblesse de sa mort, les autres rappelleront la gloire de sa vie, en sorte que ce monument évoquera plutôt la reconnaissance du Sénat que le mérite du citoyen. »

1232.

CIC., Mil. 101. Pour la traduction, cf. supra p. 337.

1233.

CIC., Phil. XIV, 31 : « Je propose donc, Sénateurs, d’élever aux soldats de la légion de Mars et à ceux qui sont morts en combattant avec elle le monument le plus majestueux. »

1234.

CIC., rep. V, 12.

1235.

CIC., Phil. XIV, 32 : « Brève est la vie que nous a donnée la nature ; mais le souvenir d’une vie noblement rendue est éternel. S’il n’était pas plus long que cette vie, qui serait assez dément pour s’efforcer d’atteindre, au prix des plus grands labeurs et périls, le faîte de l’honneur et de la gloire ? ». Cf. Tusc. I, 33 ; Cato 82 ; Platon, Banquet, p. 208 d.

1236.

Ibid. XIV, 34 : « … et que ceux-ci, loin de rester sans sépulture et à l’abandon (ce qui toutefois, en faveur de la patrie, ne passe même pas pour un sort malheureux) ou d’être incinérés sur des bûchers épars dans d’humbles funérailles, reposent à l’abri, par les soins et aux frais de l’Etat, dans un édifice qui restera, jusqu’au souvenir de l’éternité, l’autel du Mérite ! »

1237.

Ibid. XIV, 35 : « C’est pourquoi, les proches trouveront assurément une très grande consolation à voir le même monument attester à la fois le courage de leurs proches, la piété du peuple romain, la loyauté du Sénat et le souvenir d’une guerre très cruelle, dans laquelle, si les soldats n’avaient montré un tel courage, le parricide de Marc Antoine aurait anéanti le nom du peuple romain. » (Trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1960).

1238.

De nombreux commentateurs examinent l’effort de mémoire qui entoure les morts à Rome à travers les différents rites funéraires. L’Annexe n° 14, p. 497 propose un bilan bibliographique étendu sur ce sujet.

1239.

G. Achard, Pratique rhétorique…, p. 193, analyse ainsi la gloria utile mise en avant dans les discours : « Si malgré les doutes exprimés dans les traités, Cicéron proclame avec force en 43 que les soldats d’Hirtius, de Pansa et d’Octave sont promis à l’immortalité c’est qu’il veut montrer que les dieux sont aux côtés des boni ciues puisqu’ils accueillent après leur mort ceux qui ont lutté pour la res publica. Ainsi, d’une façon générale, les discours insistent surtout sur l’utilité et le prestige d’une gloire terrestre, louent la gloria elle-même plus que l’honestum qui, pour le philosophe, est la cause et la condition de la seule vraie gloire, varient suivant les circonstances sur la question de l’immortalité ; bref au total mettent en valeur les avantages (utile) plus que la grandeur (rectum) du laudabile. »

1240.

CIC., Phil. XIV, 38 : « … le Sénat décide que les consuls et généraux victorieux C. Pansa et A. Hirtius, un seul ou tous les deux, s’ils le jugent bon, prennent soin de mettre en adjudication et de faire éléver, en l’honneur de ceux qui ont versé leur sang pour la vie, la liberté, les biens du peuple romain, pour la Ville et les temples des dieux immortels, le monument le plus imposant possible, et qu’ils invitent les questeurs urbains à donner, allouer et acquitter l’argent nécessaire à cet effet, afin de montrer, pour le souvenir éternel de la postérité, la scélératesse des plus cruels ennemis et le divin courage de nos soldats… »

1241.

Cicéron s’inspire probablement de Platon, Ménéxène, pour les notions de consolation et d’immortalité, et d’Hypéride rendant hommage aux soldats tombés face à Antipater en 323. Cf. les analyses de J.-P. Vernant, « La belle mort et le cadavre outragé », La Mort, les morts dans les sociétés anciennes, dir. G. Gnoli et J.-P. Vernant, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 1990, 45-76, p. 54-55. Il étudie l’immortalisation poétique du héros de l’épopée grecque (p. 54-55) et associe mémoire littéraire et mémoire des morts (p. 65) : « (L’individu) existe par la permanence de son nom et par l’éclat de son renom qui restent présents, non seulement dans la mémoire de ceux qui l’ont connu vivant, mais pour tous les hommes à venir. Cette inscription dans la mémoire sociale revêt deux formes, solidaires et parallèles : le héros est mémorisé dans le chant épique qui, pour célébrer sa gloire immortelle, se place sous le signe de Mémoire, se fait mémoire en le rendant mémorable ; il l’est aussi dans le mnêma, le mémorial que constituent, à la fin du rituel funéraire, l’édification du tombeau et l’érection d’un sêma, rappelant aux hommes à venir (essomenoisi), comme le fait le chant épique, une gloire assurée ainsi de ne plus périr. » Comme nous l’avons dit , ces observations pourraient s’appliquer également à l’esprit romain et plus particulièrement à la doctrine cicéronienne : le discours de l’orateur est un monumentum célébrant les héros romains au même titre que le monument de pierre qui leur est dédié. La célébration littéraire est au même titre que le tombeau une réactivation du souvenir du mort, une memoria renouata. Inversement, refuser les honneurs funéraires, c’est effacer le souvenir du mort de la mémoire des hommes (p. 68) : « Rejeté de la mort, il se trouve du même coup rayé de l’univers des vivants, effacé de la mémoire des hommes. » J.-P. Vernant évoque la fonction commémorative de la littérature, en rappelant le lien généalogique des Muses et de Mnémosyne, La Mort, les morts dans les sociétés anciennes, introduction, dir. G. Gnoli et J.-P. Vernant, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 1990, 5-15, p. 14-15 : « Aux Muses de l’Iliade que l’aède invoque pour faire revivre en ses vers devant les hommes d’aujourd’hui les hauts faits des héros d’autrefois… filles de Mémoire ». C’est l’une des explications du goût de Cicéron pour le mythe homérique, sa fierté d’être associé aux chefs grecs cachés dans le cheval de Troie (cf. supra p. 385, Phil. II, 32 ; cf. supra p. 385, sur le discours-monumentum, M.-J. Kardos, « Cicéron et les monumenta », REL 82, 2004, 89-101, p. 99).

1242.

Cf. Dion Cassius, XLVI, 32. Sur la nature de l’entreprise de Cicéron et son échec, cf. B. Frischer, « Monumenta et arae honoris uirtutisque causa », Bullettino della commissione archeologica 88, 1982-1983, 51-86, p. 68-69 : « Our thesis that such lack of cooperation, consensus, and civility should have made public memorials impossible (during the late Republic) can be confirmed not, as it must be for earlier periods, ex silentio, but from the sources themselves… The mood of the times is shown even better by the failure of the Senate to honor with a monumentum even its own heroic supporters — the soldiers who fell fighting under Pansa at the first battle of Mutina on 14 April 43 B.C. In the Fourteenth Philippic (33-34, 38), Cicero proposed the construction of an amplissimum monimentum, presumably in Rome and not on the battlefield, that was to be ad memoriam aeternitatis ara uirtutis (34). Thus, it seems that Cicero had in mind an altar given uirtutis causa. The motion failed, and the survivors of the fallen soldiers had to content themselves with a funus publicum (cf. Dio 46.38.1-2). It is accordingly not surprising that the Senate also failed to bestow on the fallen leaders of its armies anything more impressive than public burial in the Campus Martius and, in the case of Pontius Aquila, a statue. » Il s’agissait d’un mémorial (p. 85) : « … Cicero intended a memorial in Rome and not a mass grave on the battlefield ». Sur le vote des cinquante jours de supplication à Pansa, Hirtius et Octavien le 21 avril 43, et à D. Brutus le 26 avril 43, cf. L. Halkin, La supplication d'action de grâces chez les Romains, Paris, Belles lettres, 1953, p. 65-70. Cicéron a besoin de ces jours de supplication pour souder ses concitoyens contre Antoine. De même, en 51, à son retour de Cilicie, le souhait de Cicéron d’obtenir des jours de supplication et le triomphe qui en découle s’explique par la nécessité de faire jeu égal avec les imperatores et par le désir de compenser son exil de 58, comme une réhabilitation (p. 52-53, fam. XV, 4, 13), mais n’aboutira pas (cf. L. Halkin, ibid., p. 48-57) : il obtiendra les supplications (p. 55), mais on sait que le déclenchement de la guerre civile en 49 interdit le triomphe à Cicéron (p. 57-58). L. Halkin, ibid., observe la dérive des supplications d’action de grâce à la fin de la République et la surenchère à laquelle se livrent César et Cicéron. Il observe qu’à la suite de la conjuration de Catilina, Cicéron obtient quelques jours de supplications (p. 39-41 : trois ou cinq ; p. 39 : « Or, c’était la première fois qu’une telle distinction était accordée à un consul dans l’exercice de ses fonctions civiles, alors qu’il était revêtu de la toge et non du paludamentum), une couronne civique et le titre de père de la patrie. Puis le nombre de jours de supplication augmente de façon croissante avec César (p.59-63) : vingt jours en 55 et en 52, trente en 47 après les victoires remportées contre les Alexandrins puis Pharnace, quarante en 46 après Thapsus, cinquante en 45 après Munda. Dans sa servilité, le Sénat accepte de détourner cette pratique commémorative pour servir les intérêts d’un individu et accorde, outre les supplications, un quadruple triomphe en 46 (sur la Gaule, l’Egypte, Pharnace et Juba) ; en 45, le Sénat lui accorde un triomphe sur l’Espagne, le titre d’imperator comme surnom , le droit de porter la toge triomphale et la couronne de laurier dans tous les jeux (p. 60-61). Un pas supplémentaire est franchi après la mort de César quand Antoine fait décréter par la Sénat des actions de grâce « en l’honneur du dictateur défunt, considéré comme un dieu », à la date de son anniversaire (p. 62-63). Du coup, Cicéron entre dans ce jeu de surenchère et obtient cinquante jours et le titre d’imperator en 43 pour Hirtius, Pansa, Octavien, D. Brutus (p.65-70), augmentant même le nombre de jours proposé une première fois par le consulaire P. Servilius Isauricus ! Enfin, Antoine et Octavien obtiennent une année de supplications après leurs deux victoires de Philippes sur Cassius et Brutus (p. 70-71).

1243.

L’Ara Pacis Augustae permet d’imaginer l’Ara Virtutis voulue par Cicéron. Cf. Bianchi Bandinelli R., Rome, le centre du pouvoir, Paris, Gallimard, 1969 (l’Univers des formes), p. 186, ill. 200.