La damnatio memoriae est injustifiée et paradoxale lorsqu’elle affecte un défenseur de la mémoire publique, collective, donc un défenseur de l’unité et de l’Histoire romaines. En revanche, Cicéron la juge totalement légitime dans le cas d’hommes sans-mémoire, donc sans conscience ni scrupules, dont l’action entre sans cesse en conflit avec les intérêts de Rome et attente continuellement à sa mémoire dans le but d’établir un nouveau régime, la tyrannie. Les sans-mémoire sont punis de leur transgression par la même mémoire collective qu’ils veulent détruire 1337 , par un principe de réciprocité, pour Cicéron : la mémoire se défend contre les immemores.
La mémoire collective est la meilleure garantie du châtiment des adversaires de Cicéron : nous constaterons que tous sont menacés du même châtiment de mémoire.
Pour inciter Catilina à quitter la ville, le consul lui assure que le souvenir récent de ses crimes entache sa réputation dans la mémoire romaine contemporaine, et lui interdit donc tout espoir d’indulgence :
‘tametsi uideo, si mea uoce perterritus ire in exsilium animum induxeris, quanta tempestas inuidiae nobis, si minus in praesens tempus, recenti memoria scelerum tuorum, at in posteritatem impendeat. 1338 ’Cicéron ne se fait certes guère d’illusions, avec une certaine clairvoyance : il encourra lui-même l’impopularité à l’avenir, au fur et à mesure que le souvenir des forfaits de Catilina s’estompera pour finalement faire de lui une victime. Il semble alors admettre que la damnatio memoriae de Catilina ne durera pas, et que la mémoire de ses concitoyens est peu fiable.
Il compte sur une mémoire plus constante, celle de l’historiographie, comme outil de jugement moral, dans le Pro Sulla. A l’accusateur Torquatus, qui lui reproche de défendre un homme soupçonné de complicité avec Catilina, et donc de se comporter avec l’arrogance d’un roi, parce qu’il a sauvé Rome, Cicéron réplique que c’est précisément un ancêtre de Torquatus, Marcus Manlius Vulso Capitolinus, consul en 392, qui, aspirant au trône, fut précipité de la roche tarpéienne ; le fait est gravé dans la mémoire collective, sans que le recours à l’historiographie, qui l’atteste — annalium memoria —, soit nécessaire :
‘Longe abest a me regni suspicio; sin quaeris qui sint Romae regnum occupare conati, ut ne replices annalium memoriam, ex domesticis imaginibus inuenies. 1339 ’L’allusion à l’historiographie, même pour en refuser l’usage, en une prétérition non dénuée d’une certaine coquetterie, révèle quelle place elle tient dans la réflexion cicéronienne pour alimenter la mémoire publique et offrir à celle-ci des certitudes lui permettant de juger le présent. On constate ainsi l’attachement de l’orateur à la discipline historique, déjà observé dans les textes philosophiques et rhétoriques.
L’évocation infamante de l’aïeul de Torquatus manifeste le rôle de la memoria dans la stratégie de Cicéron à l’encontre de ses adversaires, un Clodius, un Vatinius ou un Pison : au tribunal ou au Sénat, il laisse planer sur eux la menace d’une memoria souillée, ou plus simplement effacée par ses soins.
Ainsi, vilipendant Clodius dans le discours De domo sua, Cicéron dénonce le caractère inique de la loi qu’il fit voter et qui provoqua son exil, puisqu’elle fut conçue contre lui seul, Cicéron, un particulier, et non comme une loi générale, applicable à tous les citoyens ; il charge la mémoire de Clodius, en montrant que cette loi s’inscrit dans la continuité des proscriptions syllaniennes par son arbitraire et sa cruauté :
‘Proscriptionis miserrimum nomen illud et omnis acerbitas Sullani temporis quid habet quod maxime sit insigne ad memoriam crudelitatis? 1340 ’En perpétuant ce modèle, Clodius se trouve donc inséré dans une mémoire négative, qui le discrédite auprès de ses contemporains et de la postérité : par cette lourde hérédité, la mémoire historique par la bouche de Cicéron reconnaît en lui un nouveau Sylla.
Cicéron ne se prive pas non plus de rappeler les souvenirs infamants qui jalonnent la vie de Publius Vatinius, témoin à charge dans le procès de Sestius, qu’il défend 1341 . D’emblée, il annonce qu’il veut l’attaquer sous cet angle, en exigeant un effort de mémoire pour que Vatinius n’omette aucune de ses turpitudes, dans ses réponses aux questions de l’avocat :
‘Cum mihi hoc responderis, aut ita inpudenter ut manus a te homines uix abstinere possint, aut ita dolenter, ut aliquando ista, quae sunt inflata, rumpantur, tum memoriter respondeto ad ea quae te de te ipso rogaro. 1342 ’Cet appel à la mémoire de Vatinius est conçu comme une humiliation, un piège qui ruinera sa réputation et discréditera l’autorité du témoin. Dès lors, l’avocat impitoyable peut accumuler les éléments douteux du passé de Vatinius. Après avoir raillé ses origines, son adolescence agitée — violence, vol —, il invoque sa mémoire pour dénigrer avec ironie les difficultés de son élection de 64 à la questure malgré l’appui d’un consul, mettant ainsi en doute ses capacités politiques :
‘Quaero aps te teneasne memoria, cum P. Sestius quaestor sit cunctis suffragiis factus, tunc te uix, inuitis omnibus, non populi beneficio, sed consulis, extremum adhaesisse 1343 ’Il rappelle alors la cupidité de Vatinius lors de cette questure côtière : prélevant une part de toutes les marchandises qu’il devait surveiller, il fut finalement agressé physiquement par un mécontent à Pouzzoles, et des doléances de ses victimes furent transmises à Cicéron, alors consul. Non content de ternir sa réputation, l’avocat demande à Vatinius, non sans cruauté, de confirmer ses dires, par un effort de mémoire ; celle-ci ne peut nier l’authenticité des faits incriminés :
‘… teneasne memoria tibi in conuentu Puteolis manus esse adlatas, ad me consulem querellas Puteolanorum esse delatas 1344 ’C’est la mémoire de Vatinius lui-même, forme de conscience, qui l’oblige à reconnaître ses vices : la mémoire est une garantie de vérité. Ces faits, Vatinius peut d’autant moins les nier qu’ils sont connus de tous et accrédités par la mémoire collective :
‘cum is dies uenisset, fecerisne, quod in hac re publica non modo factum antea numquam est, sed in omni memoria est omnino inauditum ? 1345 ’La question oratoire suggère l’incrédulité de chacun, face aux méfaits de Vatinius, qui a refusé de comparaître devant le préteur Caius Memmius, et provoqué une telle agitation que les juges et les accusateurs ont été pris à partie. La mémoire collective est appelée à témoigner : c’est elle qui atteste le caractère inouï du forfait et perpétue l’infamie de Vatinius.
Cicéron adopte la même tactique contre Pison, consul de 58 responsable, avec Gabinius, de son exil. Son discours Sur les provinces consulaires, au début de l’été 56, veut obtenir le rappel de ses deux ennemis de leurs provinces respectives, la Macédoine pour Pison, la Syrie pour Gabinius. En une prétérition rageuse, le consulaire dénonce les débordements de Pison en Macédoine, notamment ses orgies à Byzance, qui poussèrent deux jeunes filles au suicide et suscitèrent chez leurs compatriotes la haine contre Rome :
‘libidines praetereo, quarum acerbissimum extat indicium et ad insignem memoriam turpitudinis et paene ad iustum odium imperii nostri, quod constat nobilissimas necessariam turpitudinem depulisse (morte uoluntaria). 1346 ’La mémoire de Pison s’en trouve souillée, sa réputation marquée pour la postérité — ad insignem memoriam turpitudinis, « un souvenir exceptionnellement déshonorant » : tout un peuple condamne finalement sa mémoire.
Cette charge en règle se prolonge durant l’été 55 dans l’In Pisonem, où Cicéron énonce les faits qui justifient la damnatio memoriae de Pison 1347 . Tout d’abord, Pison, proconsul de Macédoine en 57, a érigé sur place des trophées en son honneur, forme d’auto-célébration destinée à remplacer le triomphe qui lui serait refusé, il le savait bien, selon Cicéron. Ils constituent donc un anti-monumentum, un monument de mensonge et de fausseté célébrant une mémoire souillée, celle d’un général dont l’action militaire a échoué :
‘ea quae bellicae laudis uictoriaeque omnes gentes insignia et monumenta esse uoluerunt noster hic praeposterus imperator amissorum oppidorum, caesarum legionum, prouinciae praesidio et reliquis militibus orbatae, ad sempiternum dedecus sui generis et nominis funesta indicia constituit 1348 ’En prétendant pérenniser le souvenir de son action, Pison ne parvient qu’à pervertir sa mémoire familiale — generis — et à laisser à la postérité un nom éternellement déshonoré — sempiternum dedecus. Du point de vue des générations futures s’opère donc une damnatio memoriae qui atteint la dignitas de Pison et interrompt sa continuité héréditaire.
Mais inutile d’attendre : ses propres soldats, excédés, après avoir brûlé sa résidence, à Dyrrachium, renversent la statue à son effigie érigée par ses soins :
‘illi (milites) autem statuam istius persimilem, quam stare celeberrimo in loco uoluerat, ne suauissimi hominis memoria moreretur, deturbant, adfligunt, comminuunt, dissipant. 1349 ’L’assaut est clairement mené ici contre la prétention de Pison à la memoria, mise à bas en même temps que la statue, monumentum qui traduisait son espoir arrogant de la perpétuer. Quel meilleur châtiment, donc, que cette mise en pièces, qui doit le punir par là où il a péché, et interdire la transmission de son souvenir à la postérité ? Cicéron voit là le châtiment ultime des forfaits les plus odieux — que l’antiphrase suauissimi hominis traduit ironiquement.
Il étend enfin cette haine des soldats à l’assemblée des citoyens romains, promettant à Pison un oubli général de son consulat :
‘Omnes memoriam consulatus tui, facta, mores, faciem denique ac nomen a re publica detestantur. 1350 ’Il s’agit de tuer Pison politiquement par l’oubli : effacer son souvenir de la mémoire collective, c’est le priver d’existence civique, c’est l’empêcher de s’insérer dans le fil de l’histoire romaine, bref c’est l’exclure de façon définitive du monde des hommes ; s’il existe un droit à la mémoire pour les citoyens méritants selon Cicéron, une interdiction de mémoire se trouve justifiée pour punir ceux qui ont oublié leur patrie, attaqué la mémoire collective au profit de leurs ambitions personnelles. L’accumulation facta, mores, faciem denique ac nomen qui définit l’identité de l’individu Pison, souligne l’étendue du châtiment : la globalité de l’existence de Pison est vouée aux gémonies, à commencer par sa vie publique — memoriam consulatus tui —, balayée de la mémoire de la collectivité — a re publica.
Ce procédé se renouvelle et s’approfondit lorsque Cicéron prétend noircir la mémoire de son dernier adversaire, Antoine. L’orateur, dans les Philippiques, ne ménage pas la memoria du lieutenant de César, pour lui faire payer ainsi ses assauts répétés contre la mémoire romaine, donc contre la République. Il n’a de cesse de railler son passé, de dénoncer ses infamies, accablant sa mémoire pour mieux anéantir son autorité, sa dignitas, en particulier dans la deuxième Philippique. Antoine a reproché à Cicéron de ne pas avoir rendu le corps de son beau-père, Publius Lentulus, complice de Catilina exécuté en décembre 63, et de l’avoir ainsi privé de sépulture. Cicéron prend acte de cette accusation et blâme son adversaire de rappeler qu’il est le beau-fils d’un conjuré 1351 , et de revendiquer ainsi une filiation qu’il aurait mieux valu taire ; sa mémoire auprès de ses concitoyens s’en trouve entachée :
‘Qui autem tibi uenit in mentem redigere in memoriam nostram te domi P. Lentuli esse educatum ? 1352 ’Au-delà de ce lourd héritage, c’est toute sa jeunesse que Cicéron lui remet en mémoire, passant en revue ses innombrables vices, à commencer par la prodigalité qui le mena à la banqueroute, dès son plus jeune âge :
‘Tenesne memoria praetextatum te decoxisse ? 1353 ’Il fustige son goût de la débauche, sa prostitution, ses relations avec le jeune Curion, qui pria l’orateur d’intercéder auprès de son père pour qu’il acceptât de régler les dettes d’Antoine dont le fils s’était porté garant :
‘Recordare tempus illud, cum pater Curio maerens iacebat in lecto, filius, se ad pedes meos prosternens, lacrimans te mihi commendabat… 1354 ’Le forfait d’Antoine est ici redoublé, puisqu’il entraîne une autre famille dans la dépravation. Cicéron juge avoir atteint son objectif, attenter à la mémoire d’Antoine, en constatant que ce dernier se souvient de l’épisode, donc l’authentifie sans pouvoir le nier ; il a besoin des armes de ses hommes pour l’outrager au Sénat :
‘Haec tu cum per me acta meminisses, nisi illis quos uidemus gladiis confideres, maledictis me prouocare ausus esses ? 1355 ’Le mentor d’Octavien use de la même arme quand son adversaire affecte de mépriser dans ses édits les origines familiales de son protégé, notamment sa mère Atia, originaire du municipe d’Aricie — c’est pourtant par la mère d’Atia, Julia, sœur de César, qu’il est le petit-neveu de l’imperator — ; en effet, en décembre 44, il renvoie l’argument à Antoine, considérant que celui-ci projette le souvenir de sa propre immoralité sur Octavien :
‘Primum in Caesarem maledicta congessit, deprompta ex recordatione impudicitiae et stuprorum suorum. 1356 ’L’allégation est répétée le 20 mars 43, avec une insistance qui montre l’importance de l’appel à la memoria pour jeter le discrédit :
‘quem tum ille demens laedere se putabat edictis, ignorans, quaecumque falso diceret in sanctissimum adulescentem, ea uere recidere in memoriam pueritiae suae. 1357 ’Plus encore que son immoralité, c’est l’action politique d’Antoine, consul en 44, que Cicéron juge blâmable, donc digne d’être retenue à charge par la postérité. Ainsi, lorsque, tribun de la plèbe, il fournit à César un prétexte de guerre civile — le refus de son intercession tribunicienne, destinée à contrecarrer les mesures de salut public du Sénat —, il se rendit coupable du départ de tous les responsables politiques loin de Rome, donc du déclenchement de la guerre civile :
‘O miserum te, si haec intellegis, miseriorem, si non intellegis hoc litteris mandari, hoc memoriae prodi, huius rei ne posteritatem quidem omnium saeculorum umquam immemorem fore consules ex Italia expulsos cumque iis Cn. Pompeium, quod imperi populi Romani decus ac lumen fuit, omnis consularis, qui per ualetudinem exsequi cladem illam fugamque potuissent, praetores, praetorios, tribunos plebis, magnam partem senatus, omnem subolem iuuentutis unoque uerbo rem publicam expulsam atque exterminatam suis sedibus ! 1358 ’La longue accumulation, graduée, des catégories de citoyens chassées de Rome par la faute d’Antoine et réunies sous la bannière de Pompée, est résumée par la formule finale, unoque uerbo rem publicam expulsam ; elle traduit l’ampleur de la catastrophe. En provoquant la fuite des magistrats, Antoine a en fait vidé Rome de sa substance. Il perpètre un crime contre la mémoire de Rome, crime qui lui fait perdre son unité. Il devient chez Cicéron le destructeur de la République, parce qu’il anéantit à la fois ses institutions et son corps social, et aliène la République à elle-même : par sa faute, Rome n’est plus dans Rome. Pour cette raison, il mérite de voir son nom définitivement déshonoré dans la mémoire de la postérité par une historiographie à laquelle Cicéron compte bien contribuer 1359 .
A Antoine, le consulaire promet une mémoire éternelle peu enviable, selon le schéma inverse de celui qu’il propose aux héros qui ont œuvré pour Rome. Si le nom d’Antoine passe à la postérité, c’est non comme sauveur, mais comme ennemi et destructeur de la République ! C’est la mémoire universelle des hommes, l’Histoire, qui doit entériner le discrédit d’Antoine, dont la progression et la perpétuation sont soulignées par une gradation en trois temps litteris mandari/memoriae prodi/ne posteritatem quidem omnium saeculorum umquam immemorem fore. En effet, Cicéron évoque d’abord la transcription des faits, consignés — litterae —, puis, à partir de ce support historiographique, leur réception par la mémoire collective, les lecteurs contemporains, et leur prise de conscience — memoria —, relais avant leur passage à la postérité, donc leur transmission constamment renouvelée aux générations futures — ne posteritas quidem immemor. L’infinitif futur fore, l’hyperbole omnium saeculorum, soulignent l’éternité du souvenir que laissera Antoine, au rebours de la doctrine cicéronienne : la mémoire de la postérité doit habituellement perpétuer la gloire du héros ; dans le cas d’Antoine, elle entérine au contraire son infamie ; elle promet que personne n’oubliera le crime commis contre Rome. Toutes les agressions perpétrées contre les institutions sont ainsi désignées à la vindicte de la mémoire.
Avec Cicéron, Antoine s’expose en permanence à ce châtiment de mémoire. Ainsi, il a confié dans une lettre qu’il partageait les sentiments de Dolabella à l’égard de Trebonius, l’autorisant donc implicitement à tuer ce dernier, voire Brutus, Cassius et les sénateurs :
‘Quis huic facias, qui hoc litteris memoriaeque mandarit ita sibi conuenisse cum Dolabella ut ille Trebonium et, si posset, etiam Brutum, Cassium discruciatos necaret eademque inhiberet supplicia nobis? 1360 ’Une telle lettre constitue un monumentum qui entache la mémoire d’Antoine et la livre au jugement de l’Histoire : Cicéron avait promis qu’Antoine verrait sa mémoire déshonorée pour l’éternité ; il prend appui sur les documents laissés par lui pour accomplir son vœu, la mémoire collective pouvant attester désormais l’intention criminelle d’Antoine.
Après la fuite des magistrats, Cicéron reproche à Antoine son escorte armée, la première du genre dans la Ville, et invite le Sénat à condamner cette innovation. Entre ses mains, la memoria est une arme politique. Cicéron veut empoisonner celle d’Antoine, le verbe notare traduit le caractère infamant d’une telle mémoire et rejoint l’activité principale du censeur que Cicéron aurait tant voulu assumer :
‘An illa non grauissimis ignominiis monumentisque huius ordinis ad posteritatis memoriam sunt notanda, quod unus M. Antonius in hac urbe post conditam urbem palam secum habuerit armatos ? 1361 ’A ses yeux, en effet, la nota du censeur est une menace reconnue de tous parce qu’elle s’adresse à la mémoire de la postérité et peut flétrir définitivement le souvenir laissé par un mauvais citoyen. Une analogie avec les derniers tyrans connus par Rome — Cinna, Sylla, César — souligne l’arrogance d’Antoine, qui les surpasse tous, avec cette escorte de volontaires exhibée. Cette analogie lui est revenue en mémoire, donc elle est à la portée de tous :
‘Cinnam memini, uidi Sullam, modo Caesarem : hi enim tres post ciuitatem a L. Bruto liberatam plus potuerunt quam uniuersa res publica. 1362 ’A ces tyrans il oppose les héros — les césaricides — ou lui-même dont les générations futures garderont toujours un souvenir positif, avant d’inviter à récompenser Decimus Brutus par le travail de la memoria 1363 .
De ce point de vue, les deux dernières Philippiques sont les plus violentes. La Philippique XIV, en particulier, place la memoria au cœur de la lutte qui oppose Républicains et révolutionnaires : nous devons revenir sur deux passages déjà étudiés plus haut. Cicéron invite le Sénat à élever un monument pour consoler les parents des soldats morts au combat, attestant leur courage, la piété du peuple romain, la loyauté du Sénat et le souvenir d’une guerre cruelle, par laquelle Antoine a tenté de détruire le nom romain 1364 . Deux partis s’opposent bien : l’un veut abolir la mémoire nationale, effacer le nomen de Rome, donc son existence ; l’autre au contraire souhaite la sauver en même temps que les valeurs qui lui sont associées — uirtus, pietas, fides —, au prix de la vie de chacun de ses membres. Respectant et protégeant la memoria nationale, ces soldats méritent donc d’y être intégrés grâce à un monument commémoratif.
Ce monumentum garantit la perpétuation du souvenir des héros morts pour la patrie : à ceux qui ont défendu au péril de leur vie la mémoire collective, c’est-à-dire l’essence même de l’entité romaine, sa continuité historique, la cité promet un souvenir éternel — ad memoriam posteritatis sempiternam — en les intégrant, par un juste retour, fondé sur la réciprocité de la memoria beneficiorum, dans la mémoire collective qu’ils ont contribué à préserver. Un monumentum en sera la marque, décidé par un sénatus-consulte, sur proposition de Cicéron 1365 .
Mais notons que ce monumentum ne commémore pas seulement l’héroïsme de certains ; il doit aussi charger d’infamie le souvenir de leurs adversaires. La memoria fonde ainsi la confrontation de deux camps idéologiques, les partisans et les détracteurs de la mémoire romaine. Ainsi, selon un principe de réciprocité, les défenseurs de cette dernière se voient récompensés par une commémoration publique ; inversement, les autres méritent de voir leur capacité de nuire pérennisée par la mémoire de la postérité et leur nom déshonoré à jamais. Il ne s’agit pas seulement de soutenir l’effort de certains en faveur de la mémoire romaine, mais de discréditer définitivement ceux qui l’ont agressée, les révolutionnaires et leur chef, Antoine. La proposition de décret de Cicéron est très claire à ce sujet, puisqu’elle prétend soumettre au jugement de la memoria posteritatis sempiterna, véritable manifestation de la conscience collective romaine, censure morale exercée par la postérité, l’opposition établie entre le scelus crudelissimorum hostium et la militum diuina uirtus. Les uns se trouveront intégrés à la mémoire collective, les autres en seront déchus 1366 .
Cicéron oppose donc les adversaires et les défenseurs de la memoria : aux uns la récompense de la valeur qu’ils défendent, aux autres, les foudres de la postérité. En particulier, il envisage la perte de la qualité civique pour ceux qui ont oublié leur statut familial, national et humain, ainsi que l’effacement de leur dignitas de la memoria romaine. Cela ressemble fort à une variation de la damnatio memoriae. Ainsi, les actes d’Antoine consul ont été cassés et le souvenir de son consulat arraché de la mémoire des hommes, ce qui interdit de trouver dans son camp la moindre légalité :
‘In quibus (in castris tuis) tu es uidelicet consularis, cuius totus consulatus est ex omni monumentorum memoria euulsus… 1367 ’Son consulat disparaît de la mémoire constituée par les monuments, il est effacé de la mémoire collective ; à l’inverse, des adversaires d’Antoine morts pour la République tous se souviennent, au point qu’il est inutile de rappeler leurs noms :
‘Quid reliquos clarissimos uiros commemorem ? nostis omnis 1368 ’Il se produit donc une confrontation très forte, dont la memoria est l’enjeu : Antoine se voit privé de la moindre existence politique, par la négation de ses actes consulaires, et perd toute autorité morale sur la République, qui choisit de l’ignorer. Inversement, les citoyens méritants ont tellement obtenu de la mémoire publique que leur souvenir est patent, ancré dans la conscience collective, dont il constitue le ciment. La cité choisit donc d’exercer son jugement par le jeu d’une mémoire sélective : elle punit les uns en les oubliant, et récompense les autres en célébrant leur souvenir.
La suite du discours consiste, de ce fait, à polluer la mémoire d’Antoine pour souligner son opposition stérile aux institutions républicaines. Aussitôt après cet éloge des héros morts, Cicéron raille l’impudence de son adversaire. Celui-ci reproche au Sénat d’avoir enlevé aux Luperci Iuliani les revenus que César leur avait affectés. L’orateur rebondit et retourne cette allusion contre Antoine ; en effet, la référence aux Luperques éveille en chacun le souvenir des Lupercales du 15 février 44, qui virent Antoine offrir à César le diadème royal. C’est un souvenir déshonorant, qu’Antoine semble avoir oublié. Pourtant, il marque son infamie dans la conscience collective romaine :
‘“Vectigalia Iuliana Lupercis ademistis ?” Lupercorum mentionem facere audet neque illius diei memoriam perhorrescit, quo ausus est, obrutus uino, unguentis oblitus, nudus, gementem populum Romanum ad seruitutem cohortari ? 1369 ’L’opposition idéologique est radicale : l’un refuse toute importance au passé, laisse la mémoire de Rome s’effacer au rythme des événements et vit en permanence dans l’instant présent ; l’autre, au contraire, s’attache à la memoria, parce qu’elle traduit la cohérence d’un individu, et son accord avec l’histoire de la cité, ou, dans le cas d’Antoine, son opposition. Le refus de la mémoire révèle donc aux yeux de Cicéron le nihilisme révolutionnaire des ennemis de la République.
Celle-ci doit se défendre et les châtier en fondant une anti-mémoire, par la damnatio memoriae, et livrer à la postérité un souvenir infamant, qui les exclut définitivement de la collectivité romaine, de sa memoria glorificatrice.
Ainsi, l’orateur, après avoir subi les outrages d’Antoine, prend l’engagement de le discréditer dans la « mémoire éternelle des hommes », en révélant simplement la vérité à son sujet :
‘Pergit in me maledicta, quasi uero ei pulcherrime priora processerint ; quem (Antonium) ego inustum uerissimis maledictorum notis tradam hominum memoriae sempiternae 1370 ’P. Grimal constate avec Plutarque que cette promesse se vérifie après la défaite d’Antoine à Actium, puisque “les statues d’Antoine, élevées au forum et ailleurs, furent abattues, les honneurs qui lui avaient été conférés annulés et que l’on décréta qu’à l’avenir aucun Antonius ne pourrait recevoir le prénom de Marcus”, alors que Marcus, le fils de Cicéron, était le collègue d’Octavien au consulat, en 30 1371 .
La memoria sempiterna hominum régit ainsi l’avenir des individus, exerce sa censure — la nota uerissima de Cicéron — pour les discriminer, soutenir les partisans de la memoria par la gratia, qui leur confère la dignitas, et anéantir ses ennemis, par la damnatio : c’est ainsi que Cicéron entend bâtir une historiographie romaine alliant éthique et vérité et, de notre point de vue, fortement orientée.
L. Jerphagnon, « Damnatio memoriae… », analyse le mécanisme psychologique de la damnatio memoriae à l’époque impériale (p. 44-45) : « Il urge donc, en toute prudence, de se mettre à couvert, de conjurer les conséquences du sacrilège (accompli par le condamné) en se défaussant de toute responsabilité dans sa perpétration. S’il faut reconnaître à la damnatio memoriae une dimension métaphysique, c’est là, au niveau du rite, que l’époque la situe… Au fond, l’essentiel n’était-il pas d’avoir posé le rite avec la solennité requise pour s’estimer en sécurité du côté des dieux et en paix du côté des hommes ? Bien sûr qu’on n’avait rien su empêcher de ce qui était arrivé, et cela n’avait rien de glorieux ! Mais du moins avait-on fait après coup ce qu’on avait pu, montrant ainsi que la noble conscience du Sénat et du peuple romain avait toujours su juger du bien et du mal. Cette image-là du moins resterait intacte. Mieux : elle en sortirait embellie par un geste qui, tout compte fait, ne manquait pas d’allure. Les générations futures reconnaîtraient leurs ancêtres à ce drapé qui depuis toujours désignait les vieux Romains. »
CIC., Catil. I, 22 : « Certes, je ne le vois que trop : si, épouvanté par ma parole, tu te décides à partir pour l’exil, quel orage d’impopularité grossit sur ma tête, sinon dans le présent, où le souvenir de tes crimes est tout frais, du moins dans l’avenir ! »
CIC., Sull. 27 : « Je suis bien loin de donner prise au soupçon d’agir en roi ! Mais veux-tu savoir quels sont ceux qui, à Rome, ont aspiré au pouvoir royal ? Tu n’as pas besoin de compulser les annales du passé ; tu les trouveras parmi les images de ta famille. »
CIC., dom. 43 : « Dans ce nom affreux de proscription et dans toute l’horreur du régime syllanien qu’y a-t-il de plus significatif pour rappeler le souvenir de la cruauté ? » (trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1952).
Sur la carrière de Vatinius, lieutenant de César, cf. Y. Benferhat, « Un gêneur. César dans le tome 9 de la correspondance de Cicéron », VL 171, décembre 2004, 25-40, p. 28.
CIC., Vat. 10 : « Lorsque tu m’auras répondu, avec une telle impudence que l’on se retienne malaisément de porter la main sur toi, ou avec une telle mauvaise humeur que ton enflure crève enfin, alors tu voudras bien répondre, sans rien oublier, aux questions que je vais te poser sur toi-même. » (trad. J. Cousin modifiée, Paris, CUF, 1965).
Ibid. 11 : « Je te le demande : te rappelles-tu que P. Sestius fut élu questeur à l’unanimité, pendant que toi, en dépit de l’opposition générale, et non par la grâce du peuple, mais par celle d’un consul, tu as été péniblement raccroché en queue de liste ? »
Ibid. 12 : « … te rappelles-tu qu’à Pouzzoles, dans une séance, on a porté la main sur toi et que c’est moi, comme consul, qui ai reçu les doléances des Pouzzolans ? »
Ibid. 33 : « Ce jour venu, n’as-tu pas fait ce qui, dans notre République, ne s’était jamais fait auparavant, ce dont, de mémoire d’homme, on n’avait même jamais entendu parler ? »
CIC., prou. 6 : « je tais les orgies, dont subsiste le plus amer témoignage, cause d’un souvenir exceptionnellement déshonorant et presque d’une juste haine contre notre empire, puisqu’il est reconnu que des jeunes filles de la plus haute naissance se sont soustraites à un déshonneur inévitable (par une mort volontaire). » (trad. J. Cousin modifiée, Paris, CUF, 1962).
A ce sujet, cf. M. Ruch, « Le personnage de Pison : un dossier d’accusation ou un portrait moral », Etudes cicéroniennes…, 62-71, p. 70 : « La véritable sanction sera donc celle de l’opinion publique, une espèce de damnatio memoriae : dès à présent, il est exclu de tous les honneurs, en butte à la haine de l’armée, des citoyens, des provinces ».
CIC., Pis. 92 : « ces monuments, dont toutes les nations ont voulu faire des symboles durables de gloire et de victoire, notre général à rebours les a dressés pour être le témoignage sinistre de villes perdues, de légions massacrées, d’une province dépouillée de sa garnison et de ses autres troupes, au déshonneur éternel de sa propre race et de son propre nom »
Ibid. 93 : « alors, les soldats s’en prenant à une statue fort ressemblante de Pison, qu’il avait fait élever dans l’endroit le plus fréquenté de la ville, pour que ne mourût pas la mémoire d’un personnage si charmant, ils l’abattent, la brisent, la mutilent, la mettent en pièces » (trad. P. Grimal modifiée, Paris, CUF, 1966).
Ibid. 96 : « Tous prient que les dieux éloignent de l’Etat le souvenir de ton consulat, tes actes, tes façons, ton visage enfin et ton nom. »
P. Cornelius Lentulus Sura est le deuxième époux de Julia, mère d’Antoine.
CIC., Phil. II, 18 : « Mais comment as-tu pu t’aviser de nous rappeler que tu as été élevé dans la maison de P. Lentulus ? »
Ibid. II, 44 : « Te souviens-tu que tu portais encore la robe prétexte, quand tu as fait banqueroute ? »
Ibid. II, 45 : « Rappelle-toi ce temps où Curion le père, accablé de chagrin, gardait le lit, où son fils, se jetant à mes pieds, tout en larmes, te recommandait à moi… »
Ibid. II, 46 : « Puisque tu conservais le souvenir de ce que j’avais fait là, si tu ne mettais ta confiance dans ces épées que nous voyons, aurais-tu osé me provoquer par des paroles outrageantes ? »
Ibid. III, 15 : « D’abord, contre César (Octavien), il a accumulé des injures, empruntées au souvenir de sa propre immoralité et de ses mœurs infâmes. » Rappelons qu’Octavien est issu d’une famille de chevaliers. Son père, C. Octavius, est le premier sénateur de la famille. Il meurt en 58 alors qu’il brigue le consulat. Cf. SVET., Aug. 2, 4 : « M. Antoine lui reprocha d’avoir eu pour bisaïeul un affranchi, un cordier du canton de Thurium, et pour grand-père, un changeur… le même Antoine, étendant son mépris aux ancêtres maternels d’Auguste, lui reproche d’avoir eu un bisaïeul d’origine africaine, qui exerça tour à tour dans Aricie le métier de parfumeur et de boulanger. »
Cf. R. Syme, La révolution romaine…, p. 127 : « le consul tenu en échec chercha refuge dans les attaques personnelles… S’en prenant à la personne et à la famille du révolutionnaire, il invoqua… le mépris traditionnel dont le noble romain accablait la famille et la naissance d’honorables citoyens des municipes. La mère d’Octave était issue de la petite ville d’Aricia ! » ; p. 148 : « La vie publique, à Rome, connaissait des accusations encore plus avilissantes que le vice à l’état pur — le manque d’ancêtres, la souillure du comptoir ou de la scène, la honte d’être issu d’un municipe. L’arrière-grand-père d’Octave, en lignée paternelle, était un affranchi, un fabricant de cordes ; du côté maternel, c’était un individu de basse condition, Africain par ses origines, boulanger ou marchand de parfums à Aricia. » Cf. l’arbre généalogique de la famille d’Auguste chez R. Syme, La révolution romaine…, p. 665.
Ibid. XIII, 19 : « ce dément croyait alors pouvoir lui nuire par ses édits, ignorant que toutes ses fausses allégations contre le jeune homme le plus vertueux retombaient en vérité sur le souvenir de sa propre jeunesse. »
Ibid. II, 54 : « Que je te plains, si tu comprends, et plus encore, si tu ne comprends pas que l’histoire enregistre, que la mémoire conserve, que, pendant tous les siècles à venir, la postérité n’oubliera pas que les consuls furent chassés d’Italie, et avec eux Cn. Pompée, qui fut l’honneur et le flambeau de l’empire du peuple romain, tous les consulaires à qui leur santé permit de s’associer à ce désastre et à cette fuite, les préteurs, les anciens préteurs, les tribuns de la plèbe, la plus grande partie du Sénat, toute la jeune génération, en un mot, la République fut expulsée et proscrite de ses foyers ! »
De la même façon, Lucain prétend souiller la mémoire de César, par une variante de la damnatio memoriae (A.-M. Taisne, « Le devoir de mémoire chez Lucain dans la dernière partie de son épopée (Ph. IX, 950-1107 ; X, 1-546) », VL 165, mars 2002, 16-27, p. 18) : « Mais, dans l’apostrophe à César du chant IX, Lucain se démarque apparemment de la tradition puisque, loin d’opérer une damnatio memoriae, il promet l’immortalité à César, un héros chargé de tous les crimes et, qui plus est, à l’événement le plus abominable qui a illustré la guerre civile : la bataille de Pharsale ! » (inversement, il veut immortaliser le souvenir de Pompée, p. 18 : « L’ambition de Lucain se limiterait-elle à perpétuer les seuls crimes de César dans son épopée ? En fait, il a aussi le devoir de transmettre à la postérité la grandeur et la noblesse de Pompée. » Cicéron prenait le même engagement avec le lieutenant de César, sachant son éloquence capable de substituer dans la mémoire des hommes le portrait caricatural cicéronien à la personnalité historique d’Antoine (cf. M.-J. Kardos, « L’art de la mise en scène dans les quatre premières Philippiques », VL 153, mars 1999, 15-26, p. 24) : « …(il) oppose à la vanité de ces injures l’efficacité de sa propre éloquence : “Moi je le stigmatiserai, je lui imprimerai la marque des invectives les plus conformes à la réalité et le livrerai ainsi au souvenir éternel de la postérité”(Phil. XIII, 40 ; pour le texte cf. infra p. 442)… Pour l’histoire, Antoine a eu le dernier mot : l’Arpinate est mort d’avoir prononcé ou écrit les Philippiques. Mais comme il l’a voulu et prévu, il a “imprimé sur la mémoire d’Antoine une flétrissure éternelle”. Il a imposé une image de lui qui était plus une caricature qu’un portrait, les imputations des Philippiques servant “de référence à une postérité qui n’entendait qu’une des parties en cause”. » L’illustration reproduit un denier d’argent de 44 à l’effigie d’Antoine portant la barbe en signe de deuil ; cf. P. Grimal, La civilisation romaine, Paris, Arthaud, 1960, ill. 7.
Phil. XIII, 37 : « Que faire à cet homme, qui a confié à une lettre et à la mémoire qu’il avait conclu un accord avec Dolabella pour que celui-ci fît périr dans les tortures Trebonius et même, s’il le pouvait, Brutus et Cassius et qu’il nous infligeât les mêmes supplices ? » (trad. P. Wuilleumier modifiée, Paris, CUF, 1960).
CIC., Phil. V, 17 : « Et d’autres actes ne méritent-ils pas que notre ordre sénatorial leur inflige la plus infamante des flétrissures, qui en perpétue le souvenir pour la postérité, le fait que seul Marc Antoine, dans notre Ville, depuis sa fondation, ait eu publiquement une escorte d’hommes armés ? »
Ibid. V, 17 : « Je me souviens de Cinna, j’ai vu Sylla et récemment César : tous trois, depuis que L. Brutus a donné la liberté à notre cité, ont eu un pouvoir supérieur à celui de l’Etat tout entier. »
Ibid. V, 35. Pour le texte, cf. supra p. 326.
Cf. Phil. XIV, 35, supra p. 392 pour le texte et la traduction.
Cf. Phil. XIV, 38, supra p. 393 pour le texte et la traduction.
Nous avons vu la place de la memoria dans le consensus fédérateur recherché par Cicéron. Ce consensus vise à exclure ses adversaires, comme Antoine. En soudant les uns, la memoria, à travers la formation du consensus, exclut les autres, comme le remarque A. Michel, « La notion de consensus chez Cicéron », Sodalitas : scritti in onore di Antonio Guarino, éd. V. Giuffrè, Napoli, 1984-1985 (Biblioteca di Labeo 8), 1, 203-217, p. 208 : « … il avait constaté les insuffisances du consensus bonorum. Aussi, lorsqu’il choisit en 44 de reprendre la lutte à outrance, il changea de slogan dominant… Après avoir parlé du consensus ordinum (har. resp. 60), il insiste principalement sur consensus populi ou omnium ciuium. L’idée (qui s’affirmait déjà au retour de l’exil) éclate contre Antoine, lorsque Cicéron veut définir la notion d’ennemi public. Il est permis d’abattre Antoine, de le mettre hors la loi parce qu’il a tout le peuple contre lui. Cicéron ne présente plus les choses de la même façon qu’au temps de Catilina. Désormais, il proclame que la société tout entière est avec lui contre le bandit. »
Phil. XIII, 26 : « Là-bas, tu es, en vérité, un consulaire, toi dont le consulat entier a été arraché de tous les monuments commémoratifs… »
Ibid. XIII, 30 : « Et les autres illustres personnages, à quoi bon les rappeler ? vous les connaissez tous »
Ibid. XIII, 31 : « “Vous avez enlevé aux Luperques les revenus de César.“ Il ose faire mention des Luperques et ne frémit pas d’horreur au souvenir de ce jour où, gorgé de vin, enduit de parfums, tout nu, il a osé exhorter le peuple romain gémissant à la servitude ? »
Ibid. XIII, 40 : « Il continue contre moi ses injures, comme si les premières lui avaient si bien réussi ; mais moi, je le stigmatiserai en le marquant des injures les plus véridiques et je le livrerai ainsi au souvenir éternel de l’humanité. »
P. Grimal, Cicéron…, p. 434-435. Plutarque, Antoine 86. P. Jal, La guerre civile à Rome, Paris, PUF, 1963, p. 180-182, parle d’une « véritable guerre des monuments et des statues » (p. 181) entre les protagonistes des guerres civiles (p. 180) : « Suivant le sort heureux ou malheureux de chacun des deux belligérants, les érections ou destructions de statues de leurs partisans s’effectuaient d’une façon systématique et spectaculaire qui frappait l’opinion. » P. Jal relève en particulier le cas de Cicéron (p. 181) invitant le Sénat à ériger une statue équestre en l’honneur de Lépide en janvier 43 pour le maintenir dans le camp républicain avant d’ordonner sa destruction en juin 43, après sa défection.