ANNEXE N° 5 : ANTIOCHUS ET PHILON

Cicéron place Lucullus et son discours sous le parrainage d’Antiochus, partisan d’un retour à l’Ancienne Académie ; lui-même se fera le porte-parole du scolarque de la Nouvelle Académie, Philon de Larissa, ancien maître d’Antiochus (Cicéron a du reste suivi l’enseignement de chacun d’eux). A ce sujet, cf. A. Michel, « A propos de l’art du dialogue dans le De republica : l’idéal et la réalité chez Cicéron », REL 43, 1966, 237-261, p. 241 : « On sait qu’(Antiochus) tentait une synthèse entre les enseignements de l’ancienne Académie et du Stoïcisme ; notamment il revenait avec les Stoïciens à un certain dogmatisme et soutenait que les affirmations du sage sont certaines. Au contraire, Philon de Larissa, auquel Cicéron prétendait demeurer fidèle, rejetait le dogmatisme, se réclamait de Carnéade et affirmait que le sage peut formuler de simples opinions, vraisemblables entre toutes, mais non absolument certaines. »

Cicéron considère Antiochus comme un stoïcien, alors qu’Antiochus juge qu’il revient aux sources, à l’Ancienne Académie ; il estime que le stoïcisme en est un surgeon (C. Lévy, « Cicéron et le moyen platonisme », REL 68, 1990, 50-65, p. 63 n. 73 : « Contrairement à ce qui a été affirmé par J. Barnes, Antiochus of Ascalon, dans Philosophia togata, J. Barnes-M. Griffin eds, Oxford, 1989, p. 79, Antiochus n’a jamais prétendu être à la fois Académicien et Stoïcien. Ce sont les Néoacadémiciens, et notamment Cicéron, qui ont donné de lui l’image d’un germanissimus Stoicus. Antiochus, lui, s’est toujours perçu comme philosophe de l’Académie et prétendait revendiquer les droits de celle-ci sur des systèmes philosophiques auxquels il ne reconnaissait qu’une originalité très limitée. »). Sur Antiochus et la représentation compréhensive stoïcienne, cf. aussi A. Michel, « La philosophie en Grèce et à Rome… », 773-885, p. 796-797 : « La démarche fondamentale d’Antiochus d’Ascalon consiste dans l’abandon du doute généralisé qui caractérisait Carnéade. Partant d’une réflexion sur l’erreur (qui ne peut exister sans qu’existe aussi la vérité), il restaure les notions stoïciennes de représentation compréhensive et d’assentiment, sans lesquelles il ne voit pas comment le vrai pourrait être perçu. Nous connaissons cet aspect de son argumentation par les Académiques, I, 2, où Cicéron met sa doctrine dans la bouche de Lucullus. » ; C. Lévy, « A propos de Die hellenistische Philosophie », BAGB 2004, 1, 42-63, p. 61 : « ayant rompu avec la Nouvelle Académie, (Antiochus) prétendait retrouver, par-delà le scepticisme d’Arcésilas et de ses successeurs l’inspiration fortement dogmatique de l’Ancienne Académie. » Cf. A. Michel, « Cicéron et les grands courants de la philosophie antique : Problèmes généraux (1960-1970) », Lustrum 16, 1971-1972, 81-104, p. 93-94, sur la rivalité des deux scolarques, Philon et son élève Antiochus : « … Cicéron semble fidèle à un seul maître ; il s’agit de ce scholarque de l’Académie qui fut le concurrent d’Antiochus, faillit être supplanté par lui, et qui donna lui aussi, mais à Rome, son enseignement à l’orateur : Philon de Larissa. De ce dernier nous connaissons la doctrine, précisément par les Académiques, notamment Lucullus 116 sqq. Il semble que ce texte constitue une synthèse dont Cicéron a toujours suivi les grandes lignes. Nous savons que Philon était le disciple de Carnéade, Charmadas, Clitomaque, qu’il donnait à ses disciples des leçons de rhétorique. Il avait donc dû connaître la Carneada diuisio. Nous savons d’autre part qu’il avait répondu aux thèses hétérodoxes d’Antiochus, qu’il avait défendu la “nouvelle Académie” d’Arcésilas et Carnéade contre l’“ancienne Académie” qu’Antiochus prétendait restaurer dans son intégrité première. »

P. Boyancé suggère que l’évolution de Cicéron de l’Ancienne Académie d’Antiochus d’Ascalon vers la Nouvelle Académie de Philon de Larissa correspond à son retrait de la vie publique, causé par la victoire et la domination de César (« L’éloge de la philosophie dans le De legibus I, 58-62 », Ciceroniana N. S. II, 1975, 21-42, p. 39) : « Si Cicéron a quitté l’Ancienne Académie, c’est donc qu’il y a eu une période de sa vie, où il en a été tout proche. Laquelle ? A cette question notre exégèse du De legibus fournit la réponse. Cette période me paraît être celle des écrits politiques de Cicéron, où il est beaucoup plus dogmatique qu’il ne le sera dans les ouvrages écrits sous la dictature de César… selon Plutarque, Antiochus avait exhorté Cicéron à s’engager dans la politique, alors que rien de tel n’est dit nulle part de Philon. » Sur l’influence d’Antiochus et de Philon dans la philosophie cicéronienne, cf. O. Gigon, « Cicero und die griechische Philosophie », ANRW I, 4, dir. H. Temporini, Berlin, New York, Gruyter, 1973, 226-261, p. 232-240.

Enfin, C. Lévy, Cicero academicus..., p. 210, résume ainsi les deux doctrines confrontées : « Pour Lucullus, qui expose la doctrine d’Antiochus, en fait celle du Portique, les sens ne nous trompent pas et il y a passage continu de la représentation aux fonctions les plus complexes de l’esprit et à l’action. Cicéron, lui, cherche à prouver qu’il n’existe pas de représentation dont on puisse affirmer avec certitude qu’elle soit vraie, persuadé qu’une fois cette proposition démontrée, l’orgueilleuse construction stoïcienne s’écroulera, et cela d’autant plus facilement qu’il sera possible de reconstruire avec les mêmes concepts une doctrine, que nous appellerons par commodité le probabilisme, à la fois plus satisfaisante rationnellement et plus humaine, puisque dépourvue de la même prétention insensée à l’infaillibilité. Le concept de représentation se trouve donc au centre du débat et, pour la clarté de l’exposé, nous allons l’étudier de deux points de vue qui sont en réalité indissociables : comme élément d’une conception du monde et comme critère de la vérité. »