ANNEXE N° 8 : L’HISTOIRE, OPUS ORATORIUM

P. Boyancé, « Sur Cicéron et l’histoire », REA 42, 1940 = Mélanges Radet, 388-392, repris dans Etudes sur l'humanisme…, 135-139, évoque la polysémie de l’expression opus maxime oratorium, à la fois « littéraire » et « propre à l’orateur » (p. 136) : « Oui, pour Cicéron, l’histoire est une province de l’éloquence… Boissier avait tort de ne pas voir qu’oratorium est forcément, par la nature même des choses, plus que littéraire, mais d’autres peut-être ont tort inversement de ne pas reconnaître qu’oratoire, c’est pour les Anciens, la seule façon de dire : littéraire. » Cf. M. Rambaud, Cicéron et l’histoire romaine… sur la vocation historiographique de l’orateur, à travers quelques formules fameuses de Cicéron (p. 10-11) : « … les Latins sachant dire la vérité en histoire, il leur faut maintenant apprendre à écrire aussi bien que les Grecs… à la matière historique, il faut que les mots de la langue latine donnent de l’éclat. C’est cette rédaction de l’histoire nationale, scribere historiam (De or. II, 51 : … qualis oratoris et quanti hominis in dicendo putas esse historiam scribere ?), ce travail, opus (leg. I, 2, 5 : … sit opus… unum hoc oratorium maxime), qui revient, munus (De or. II, 62 : uidetisne quantum munus sit oratoris historia ?), à un orateur. » L’art de l’éloquence apparaît comme la formation idéale pour l’historien (p. 22) : « Cette utilisation de l’histoire dans les discours est conforme aux recommandations du De oratore ; n’est-ce pas précisément l’indice que l’orateur devait à sa formation l’élément historique contenu dans les discours ? que la rhétorique pouvait servir à former un historien en lui donnant non seulement l’expérience et les règles du style, mais même une méthode intellectuelle ? » Cf. J.-M. André et A. Hus, L’histoire à Rome, Paris, PUF, 1974, p. 20 : « Pour Cicéron, écrire l’histoire est une tâche qui revient à l’orator… pour deux raisons. La première qu’il sous-entend dans le De legibus, est que cette occupation est la plus digne de l’orator-homme d’Etat dans les intervalles de l’action : l’histoire exige le loisir (otium), mais celui-ci n’est honorable que s’il succède à l’action (negotium) et s’il est consacré à la réflexion utile. La seconde raison est exposée dans le De legibus et le De oratore : seul l’orator-écrivain, armé de la rhétorique, peut donner à l’historia cette parure littéraire dont la privait l’inculture des annalistes, et qu’ont si bien su lui conférer les Grecs. » Notant que Cicéron considère l’historiographie (leg. I, 5 : opus unum hoc oratorium maxime) comme une tâche de l’orateur, R. Girod, « Rhétorique et histoire chez Tite Live », Colloque sur la rhétorique, Calliope I, éd. par R. Chevallier, Paris, Belles lettres, 1979 (Caesarodunum 14 bis), 61-70, p. 62-63, juge que cet opus oratorium « impliquait une conception laudative et ornementale de l’histoire, dans laquelle les discours — les quatre Catilinaires auxquelles Cicéron donne leur forme écrite définitive en 60, et le Pro Murena — tiendraient une grande place. » Cf. M. Ruch, Le préambule dans les oeuvres philosophiques de Cicéron…, p. 249 : « Atticus renchérit sur la nécessité de créer une historiographie véritable, genre qui fait encore défaut à Rome : que Cicéron s’attelle à la tâche ! » Cf. A.-D. Leeman, « L’historiographie dans le De oratore de Cicéron », XI e congrès de l’association G. Budé, Pont-à-Mousson (29 août-2 sep. 1983) t. 2, 95-97. Cf. E. Cizek, « La poétique cicéronienne de l’histoire », BAGB, 1988, 1, 16-25, p. 17-18 : « En outre, il fallait avoir un talent d’orateur, orner le texte de la parure que seul un auteur fort des moyens de la rhétorique est à même de mettre en œuvre. A la vérité, Cicéron estimait l’histoire comme une entreprise oratoire par excellence, opus oratorium maxime… Aussi Cicéron réclame-t-il de l’historien seulement de se munir des meilleures armes de l’orateur… l’historien ne doit pas être un simple narrateur, un narrator, mais un artiste ornant son récit, l’embellissant. Néanmoins, l’historia doit être ornata en profondeur. » « Cicéron préconise une histoire profondément littéraire, émouvante, proche de la tragédie… Tout se passe comme dans les tragédies antiques, destinées à purifier l’âme des spectateurs… dans cette lettre à Lucceius, Cicéron soutient que l’historia s’apparente non seulement au genus demonstratiuum… mais aussi à l’art de la tragédie et de la poésie… Cicéron demande sans arrêt à Lucceius d’embellir, d’orner — ornare — ses faits. L’histoire est un des arts les plus émouvants, les plus ornementaux. » (p. 21). Cf. L. Marchal, « L’histoire pour Cicéron », LEC 56, 3, 1988, 241-264, p. 246 : il souligne que le choix d’embellir l’histoire du consulat de Cicéron dans la lettre à Lucceius (fam. V, 12) répond aussi aux exigences littéraires du consulaire. On sait le peu de cas qu’il fait des Annales, austères et ennuyeuses. A. Gowing, « Memory and silence in Cicero’s Brutus », Eranos 98, 2000, 39-64, p. 41, juge que l’orateur cicéronien du Brutus est l’histoire, puisque ses discours sont des monumenta : « … the central arguments of the Brutus are these : 1) memory is vital to the health of Republic, 2) the primary transmitters of memory are orators, whose published speeches constitute monumenta that convey the thoughts and memoria of their creators, and 3) orators are therefore indispensable to the bene constituta ciuitas, the “well-founded state”. »