RESUME

Cicéron recense les usages de la memoria dans le travail de l’orateur. Héritier d’une science qui la considère comme l’une des cinq parties de la rhétorique, il lui accorde cependant plus d’importance que ses prédécesseurs et dépasse ce cadre strictement technique. En effet, la memoria a sa part dans l’anthropologie cicéronienne : individuelle, elle est, ontologiquement, une marque de l’immortalité de l’âme et participe à la définition de l’humanitas. Imprégné de cette idée, Cicéron se bat contre les écoles philosophiques — l’épicurisme et le stoïcisme — qui minimisent la portée éthique de cette faculté.

Du reste, l’examen des discours révèle que la memoria, à la base de la conception cicéronienne de l’histoire, prend place également dans la doctrine politique de l’auteur : collective, elle l’aide à définir les camps en présence, assure une cohésion au sein du groupe qu’il entend constituer pour soutenir son action par le consensus tout au long de sa carrière et contribue surtout à la réussite de la concordia. Par ce mécanisme identitaire, il exclut de cette communauté les immemores et rénove la tradition républicaine.

Cicéron se livre ainsi dans l’ensemble de son œuvre à une renouatio memoriae qui vise à rendre toute son envergure à la mémoire, trop souvent cantonnée dans un rôle subalterne, réduite tantôt à une pure capacité technique par les rhéteurs, tantôt à un simple réceptacle de perceptions par les philosophies sensualistes. Il en ferait alors le support de la restauration du mos et du réveil des consciences qui pourraient sauver la République.