Introduction

À la fin du 17e siècle, alors que la « révolution » scientifique s’imposait aussi par la création de nouvelles structures institutionnelles, les grands Etats européens commencèrent à organiser la cartographie systématique de leur territoire. Ainsi, la carte de Cassini donna la première représentation générale de la France à moyenne échelle (une ligne pour cent toises, soit environ 1 : 86 400) ; bien que sa réalisation soit passée de l’administration civile au domaine privé, elle fut soutenue, jusqu’à sa réquisition par les militaires en 1793, par l’Académie royale des sciences qu’avait créée Colbert en 1666. Reflet des préoccupations de son temps, détermination de l’imposition foncière pour l’administration, mesure des arcs de méridien pour la science, positionnement des passages stratégiques pour les militaires, la carte de Cassini ignorait presque totalement les régions montagneuses qui commençaient à peine d’être explorées par les naturalistes du siècle des Lumières. Alors que le positionnement planimétrique des objets géographiques, c’est-à-dire leur longitude et leur latitude, s’appuyait sur les mesures du terrain effectuées lors de la triangulation générale du territoire1, leur positionnement altimétrique n’était pas déterminé. Les éléments topographiques du paysage étaient d’ailleurs représentés dans une intention exclusivement figurative, contrairement aux éléments planimétriques (cours d’eau, routes, bâtiments, etc.) dont la représentation s’inscrivait dans une ambition d’exactitude géométrique – c’est-à-dire basée sur la mesure. La représentation topographique « scientifique » du relief ne se développa véritablement qu’aux 19e et 20e siècles, en même temps que l’exploration systématique des régions montagneuses. La période contemporaine marqua ainsi deux ouvertures : celle de la cartographie scientifique moderne à la troisième dimension, et celle de la haute montagne à l’activité humaine, intimement liées dans une relation complexe alimentée par la fascination des hommes pour les cartes, le progrès technique et les régions montagneuses. L’étude de cette relation est au cœur de ma thèse consacrée à l’histoire de la cartographie topographique des Alpes françaises.

Notes
1.

Pour une définition de la méthode de la triangulation, voir glossaire et partie 1, chapitre 1.