Une réponse au vide historiographique sur la cartographie contemporaine.

L’histoire de la cartographie reste encore un champ de recherche trop confidentiel, dominé par une pratique traditionnelle qui n’a été que tardivement et partiellement remise en cause à partir des années soixante-dix. J’ai consacré une première partie à la présentation de son historiographie et de mes choix méthodologiques, afin d’expliciter au mieux l’orientation de mon travail, mais certains éléments de cette présentation peuvent déjà être évoquées pour souligner l’intérêt d’une histoire de la cartographie topographique des Alpes à l’époque contemporaine – au-delà de ma passion pour les cartes et la montagne, qui n’est pas si différente de celle qui anima certains acteurs de cette histoire, malgré sa moindre intensité…

L’histoire de la cartographie alpine n’est pas une terra incognita : même s’il n’existe aucun travail jugé « classique », de nombreuses études ont traité de l’évolution des cartes alpines. Cependant, à l’image de l’ensemble de l’histoire de la cartographie, l’immense majorité de ces études ne s’est intéressée qu’à l’époque moderne, dans une approche traditionnelle privilégiant l’analyse référentielle du contenu qui pourrait se résumer par la phrase suivante : « voici les erreurs des cartes anciennes par rapport à nos cartes actuelles qui sont exactes ». Cette position méthodologique est d’ailleurs intimement liée à la négligence de l’époque contemporaine : pratiquée comme une discipline d’érudition proche de la bibliophilie, l’histoire classique de la cartographie ignore les réalisations « trop récentes » qu’elle juge généralement d’une objectivité scientifique qui les soustrairait à l’analyse historique. Si le contenu factuel de ces études reste souvent du plus grand intérêt, la portée de leurs interprétations est singulièrement limitée au regard de l’histoire des sciences et des techniques, ou même de la « nouvelle » histoire de la cartographie, qui insiste sur le rôle symbolique de l’acte cartographique et sa dimension politique.

Pour autant, les « nouveaux » historiens de la cartographie n’ont encore qu’exceptionnellement abordé la période contemporaine, se limitant alors généralement au seul 19e siècle. Si, dans le cadre d’une étude de la cartographie topographique scientifique de la haute montagne, la focalisation sur l’époque contemporaine procède directement du sujet, puisque la mesure instrumentale de l’altitude et la représentation géométrique du relief ne se développèrent qu’à partir du 19e siècle, le choix du sujet lui-même a été dicté par ma conviction que l’histoire de la cartographie ne doit pas se limiter aux périodes antérieures à 1800 et qu’elle peut aussi traiter des évolutions récentes de cette discipline. En cela, il répond à un véritable vide historiographique sur la cartographie topographique alpine des 19e et 20e siècles – et même plus généralement sur toute la cartographie contemporaine.