1.1.2. La séparation de l’étude des cartes anciennes et de la cartographie moderne.

Au 16e siècle, la redécouverte des cartes de la Géographie de Ptolémée favorisa l’émergence d’une cartographie moderne qui portait un regard nouveau sur les cartes anciennes : elles servaient toujours de sources documentaires pour la réalisation de nouvelles cartes, mais elles étaient également regardées comme des monuments de l’antiquité, au sein du mouvement intellectuel de l’humanisme, construit sur la redécouverte des connaissances grecques et romaines. Dans une orientation nouvelle vers l’utilisation de données contemporaines pour la réalisation des cartes (portulans21, récits de voyage, etc.), la cartographie moderne rejeta peu à peu les cartes anciennes comme sources documentaires, sans pour autant ralentir le développement de l’attention systématique qui leur était consacrée. Dans les atlas, les cartes anciennes et les tabulae modernae commencèrent à être présentées dans des parties distinctes22, jusqu’à la séparation définitive : en 1578, Mercator publiait un atlas des seules cartes de Ptolémée, soulignant leur intérêt purement historique. Au 17e siècle, le développement des techniques de triangulation et l’emploi des chronomètres pour déterminer les longitudes affirmèrent l’importance de la mesure du terrain dans la réalisation des cartes et achevèrent d’écarter les cartographes des œuvres de leur prédécesseurs pour privilégier les relevés originaux.

L’intérêt historique pour les cartes se focalisa alors sur la reproduction et la compilation de cartes anciennes, dans la tradition médiévale de copie des manuscrits. Parallèlement, les collections de cartes se développaient depuis le 16e siècle sous l’influence du goût de l’époque pour la collection (cabinets de curiosités, encyclopédies, etc.), mais aussi pour répondre à des besoins particuliers, comme l’arbitrage des litiges politiques ou juridiques sur les limites des territoires, ou encore l’histoire des découvertes ou de la géographie antique, spécialité d’humanistes collectionneurs de cartes comme Konrad Peutinger. Les atlas et les cartes commencèrent à être classées dans des catégories spécifiques dans les bibliothèques, et à partir du 17e siècle des sections particulières leurs furent consacrées. Un véritable marché d’antiquité s’épanouit avec le développement des collections de cartes, certains documents du 15e siècle étant même regravés sur de nouvelles plaques pour permettre une diffusion plus importante. Cependant, ce vif intérêt pour les cartes anciennes tenait essentiellement de la philologie spécialisée et ne proposait pas une vision générale de l’histoire de la cartographie. Si le contenu de certaines cartes était parfois étudié sommairement, il s’agissait surtout d’un travail de compilation et d’édition, systématisé sous la forme biobibliographique regroupant les biographies de cartographes avec les listes de leurs réalisations, une approche intimement liée au succès de la méthode des encyclopédistes.

Notes
21.

Premières cartes marines destinées aux navigateurs.

22.

Brian Harley cite un exemplaire de la Géographie de Ptolémée imprimé à Strasbourg en 1513 comme le premier ouvrage séparant dans différentes sections les deux types de cartes.

HARLEY John Brian. The Map and the development of the history of cartography. In The History of Cartography. Vol. 1. Op. cit., p. 7.