1.3.5. Christian Jacob : pour une histoire culturelle globale de la cartographie.

Comme souvent dans les sciences humaines et sociales, le rejet radical de l’approche traditionnelle de l’histoire de la cartographie connut un stade polémique où s’affrontaient de multiples orientations issues de ce rejet et de la critique de ce rejet, puis un stade d’apaisement où les chercheurs essayèrent de faire une synthèse des apports de ces différentes orientations. La réflexion méthodologique et théorique de Christian Jacob96 représentait un effort particulièrement stimulant de regrouper les différentes approches de l’histoire de la cartographie dans une tentative de compréhension globale du fait cartographique envisagé avant tout comme un fait culturel. Tout en se situant clairement dans la « nouvelle » histoire de la cartographie97, il ne rejetait pas aussi radicalement qu’Harley ou Woodward les méthodes traditionnelles de la discipline, reconnaissant par exemple l’utilité de la cartobibliographie dans certains cadres d’études comme l’analyse de l’artefact cartographique.

Son approche était toutefois fortement marquée par le rejet de la conception positiviste de la cartographie. Il distinguait notamment l’étude de la carte transparente, disparaissant devant l’information qu’elle contient, comme elle avait été et était encore souvent pratiquée par les historiens de la géographie ou de la cartographie, et l’étude de la carte opaque, dans laquelle l’intérêt se portait non pas sur le contenu mais sur le medium, son fonctionnement et le processus de sa fabrication. Alors que la première sous-entendait la croyance que la carte était un medium neutre, et faisait de l’histoire de la cartographie une discipline historique auxiliaire98, la deuxième ouvrait un large panel de recherches possibles.

Dans L’Empire des cartes, réflexion méthodologique le long d’un cheminement empirique à travers l’étude d’un choix de cartes, Christian Jacob proposait une définition de la cartographie dans laquelle « la carte [était] envisagée essentiellement comme une médiation symbolique, entre l’homme et son environnement spatial, mais aussi entre individus qui peuvent communiquer grâce à ce support visuel »99, balançant entre une conception harleyienne large incluant les cartes mentales (« médiation symbolique ») et une conception woodienne plus stricte insistant sur le « support visuel ».

Cette balance entre deux conceptions opposées était en fait conçue dans une perspective pluridisciplinaire affirmée, qu’il présenta méthodiquement dans un article plus tardif100 par l’énumération des approches possibles et nécessaires à une histoire culturelle de la cartographie :

Reprenant comme Harley les leçons de la sociologie relativiste, Christian Jacob affirmait que « la tâche principale de l’histoire de la cartographie [était] d’interpréter les cartes selon les catégories de la culture qui les [avait] produites et utilisées »102, définissant son ambition d’une histoire culturelle globale de la cartographie servie par une approche pluridisciplinaire. Dans cette perspective, l’importance cruciale donnée à la contextualisation dans tout projet de recherche pose le problème des frontières de l’histoire de la cartographie. La diversité des approches – finalement aussi grande que la diversité des cultures intellectuelles des chercheurs pratiquant cette histoire – en fait peut-être plus un champ de recherche pluridisciplinaire qu’une discipline autonome, chaque chercheur privilégiant telle ou telle approche, selon l’objet étudié et ses propres compétences.

Notes
96.

Présentée essentiellement dans deux publications : JACOB Christian. L’Empire des cartes. Op. cit. ; JACOB Christian. Toward a cultural history of cartography. Op. cit.

97.

Il met lui-même des guillemets : « the “new” history of cartography ».

JACOB Christian. Toward a cultural history of cartography. Op. cit., p. 191.

98.

Ibid., p. 192.

99.

JACOB Christian. L’Empire des cartes. Op. cit., p. 24.

100.

JACOB Christian. Toward a cultural history of cartography. Op. cit.

101.

L’influence est particulièrement claire dans des affirmations comme : « la métaphore et la rhétorique sont omniprésentes dans le “discours cartographique”, qui ne saurait se réduire aux seules lois quantifiables de la mesure et de la représentation topographique. »

JACOB Christian. L’Empire des cartes. Op. cit., p. 24.

102.

« the main task of the history of cartography is to interpret maps according to the categories of the culture which produced and used them »

JACOB Christian. Toward a cultural history of cartography. Op. cit., p. 196.