2.1.1. Les problématiques initiales.

Les raisons qui m’orientèrent initialement vers l’étude de la cartographie des zones montagneuses tenaient – assez classiquement – surtout à un parcours personnel, à une certaine forme de hasard et à un intérêt ancien pour ces régions et pour l’objet cartographique lui-même. Cependant, mon exploration bibliographique du sujet m’amena assez rapidement à en considérer la pertinence à la fois comme étude de cas offrant un point de vue révélateur sur l’évolution générale de la cartographie en France et dans les sociétés industrialisées, et à la fois comme analyse d’une cartographie conservant relativement longtemps un certain particularisme, que ce soit dans les institutions productrices, les groupes socioculturels réalisateurs ou utilisateurs, ou les conceptions mises en œuvre. Surtout, elle me convainquit de me consacrer à la période contemporaine des 19e et 20e siècles qui, à part quelques études très synthétiques, était très largement sous-étudiée d’un point de vue historique, perdue entre l’époque classique de l’histoire de la cartographie s’étendant du 15e au 18e siècle et les études techniques contemporaines s’attardant essentiellement sur l’évolution depuis les années soixante ou soixante-dix.

Sans m’étendre ici sur des questions qui seront détaillées dans d’autres parties de cette étude, il me faut cependant souligner certains éléments glanés au cours de mes recherches bibliographiques qui structurèrent profondément les problématiques et les limites de mon sujet. Alors que le développement des méthodes de triangulation au 16e et 17e siècle avait permis le développement d’une cartographie géométrique dans laquelle certaines positions en latitude et longitude étaient calculées à partir de mesures du terrain, c’est-à-dire d’une cartographie scientifique dans le sens généralement admis de cartographie basée sur la mesure, la problématique de la représentation cartographique scientifique du relief ne commença à être véritablement posée qu’au début du 19e siècle pour des raisons liées aux conceptions théoriques105 et aux utilisations pratiques qui ne voyaient le relief que comme un obstacle aux déplacements. La complexité de la mesure instrumentale et de la représentation graphique du relief106 participèrent à la formation d’une cartographie plus ou moins spécifique de la haute montagne qui servit de laboratoire pour la représentation du relief dans les autres régions, tant au niveau des techniques de levés que des méthodes de représentation graphique proprement dites. Les différences de perception et d’utilisation entre les producteurs officiels de cartes, essentiellement militaires et administratifs, et les catégories émergentes d’utilisateurs exigeants qu’étaient les scientifiques et les alpinistes, favorisèrent le développement d’une cartographie indépendante des zones montagneuses107, dont l’influence scientifique et l’œuvre éditoriale importante constituent un des rares – si ce n’est le seul – exemples d’une cartographie topographique alternative, d’ailleurs spécialement développée en France et surtout dans les Alpes du nord.

Notes
105.

Voir à ce sujet l’article extrêmement stimulant : NARDY Jean-Pierre. Réflexions sur l’évolution historique de la perception géographique du relief terrestre. L’Espace géographique, 1982, 3, p. 224-232, ou sa version synthétique plus axées sur la problématique cartographique : NARDY Jean-Pierre. Cartographies de la montagne, de l’édifice divin au bas-relief terrestre. In Images de la montagne : de l’artiste cartographe à l’ordinateur. Paris : Bibliothèque nationale, 1984, p. 77-79.

106.

Pour une présentation très synthétique de ces questions, voir : ELEB-BAILLY A., « La troisième dimension, l’altitude », in : Cartes et figures de la Terre, 1980, p. 335-345.

107.

Voir, entre autres : BROC Numa. La montagne, la carte et l’alpinisme (1815-1925). In Images de la Montagne, op. cit., p. 111-124.