La période définie pour mon corpus de cartes était longue : en s’étalant sur un siècle et demi, elle rendait pratiquement irréalisable une étude de toutes les régions françaises un tant soit peu montagneuses. Une telle étude n’aurait de toute façon pas été pertinente, puisque son étendue aurait gommé les temporalités fortes des travaux cartographiques officiels, alors qu’elle n’aurait rien apporté à l’analyse des évolutions techniques ou institutionnelles. Il n’était pas envisageable non plus d’utiliser les méthodes de sondage basées sur les probabilités statistiques qu’emploient généralement les sociologues ou les historiens réalisant des prosopographies (par exemple en n’étudiant que les personnes dont le nom commence par la lettre B). La seule limitation judicieuse devait bien évidemment se baser sur des critères géographiques, fondamentaux en cartographie. Une analyse rapide de la production cartographique en France au 19e et 20e siècle, à partir des catalogues et inventaires d’éditeurs ou de bibliothèques, confirma ce que mon étude bibliographique avait déjà mis en valeur : l’essentiel des travaux des topographes indépendants se concentrait dans les massifs touristiques des Alpes du nord et les publications officielles y étaient généralement plus nombreuses et plus précoces que dans les autres régions montagneuses.
La zone couverte par mon corpus était ainsi définie globalement comme les Alpes du nord, comprenant les parties montagneuses des départements de Savoie, de Haute-Savoie et d’Isère, ainsi qu’une partie des Hautes-Alpes. Une délimitation plus précise fut effectuée en suivant le découpage mis en place en 1897 par le service cartographique officiel pour la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 : conservé pour la majorité des publications postérieures, il offrait une base stable sur laquelle furent situées les productions antérieures pour décider de leur intégration au corpus. J’ai d’ailleurs repris pour cette étude les dénominations traditionnelles des documents cartographiques adoptées pour la carte de France : carte désigne un ensemble cohérent pouvant être formé de nombreux documents, à l’image de la carte de France justement ; feuille désigne une unité de cet ensemble, c’est-à-dire ce qu’on appelle traditionnellement une carte au sens physique de l’objet matériel ; coupure désigne la sous-division d’une feuille pour les besoins de publication à des échelles supérieures108. La figure suivante illustre, par un trait en pointillés gras, la zone géographique couverte par mon corpus de cartes (figure 1)109.
Par exemple, une feuille de la carte de France au 1 : 50 000 est divisée en huit coupures qui peuvent être publiées individuellement ou par groupes au 1 : 20 000 ou 1 : 25 000 – on parle alors de coupure double ou de coupure quadruple.
Il s’agit du fond de carte très schématique également utilisé pour les cartes statistiques générées à partir de la base de données, voir infra, « Historiographie… », 2.3.3.3.