La « nouvelle » histoire de la cartographie a définitivement montré la pertinence de l’étude de la carte comme artefact social qu’il convient d’analyser à travers et dans ses liens avec le contexte socioculturel de l’époque de sa publication. Une vision globale de ce contexte peut facilement être tirée de la riche bibliographie concernant les sociétés occidentales des 19e et 20e siècles. Dans une perspective plus strictement cartographique, l’étude de ce contexte consiste essentiellement en deux approches : la première concerne l’histoire des institutions productrices de carte, qui, en raison de la complexité de la production cartographique, forment le cadre principal d’une activité peu développée en dehors d’organismes structurés ; la seconde constitue une partie de la « sociologie de la carte » défendue par David Woodward ou Christian Jacob, consacrée aux groupes sociologiques producteurs de carte.
L’histoire institutionnelle et l’histoire sociale exploitent généralement des sources distinctes, mais très proches par leur origine et leur localisation, puisque dans des activités fortement organisées comme la cartographie, les documents intéressant l’historien furent émis et sont le plus souvent conservés par les institutions concernées, en particulier les archives administratives et la source reine de l’histoire sociale : les dossiers de personnel. Malheureusement, je me suis rapidement rendu compte qu’il me serait impossible d’exploiter la plupart de ces sources, soit pour des raisons légales, soit pour des raisons pratiques. D’un côté, la direction de l’Institut géographique national ne m’accorda pas l’accès aux archives administratives récentes, notamment aux dossiers du personnel conservés à la caisse de retraite de l’IGN à Draguignan, pour lesquelles la loi sur les archives impose une dérogation111. L’exploitation prosopographique que j’avais envisagée à l’origine était donc compromise pour la période la plus contemporaine. D’un autre côté, si j’étais libre de consulter les archives plus anciennes ne nécessitant pas une telle dérogation, principalement les documents concernant le Service géographique de l’armée, « ancêtre » de l’IGN112, et conservés en partie au Service historique de l’armée de terre (SHAT) à Vincennes, des dispositions pratiques rendaient définitivement impossible l’exploitation prosopographique même pour les périodes plus anciennes. En effet, les dossiers de carrière des sous-officiers, qui composèrent la majorité des opérateurs employés par le SGA, étaient systématiquement reversés aux archives départementales de leur lieu d’incorporation. S’il me restait la possibilité d’étudier les dossiers de carrière des officiers, une partie importante de ceux-ci avait en fait été versée aux archives de l’IGN – auxquelles je n’avais pas accès – à la suite de la « transformation » du service cartographique en 1940. Enfin, en ce qui concerne les topographes indépendants majoritairement membres du Club alpin français, l’organisme m’affirma ne pas avoir conservé d’archives. J’aurais pu chercher par des voies détournées des informations sur certains d’entre eux113, mais, l’abandon forcé de la prosopographie des cartographes officiels empêchant toute étude comparative, les bénéfices d’une enquête longue et difficile auraient été limités.
Dès lors, l’analyse sociologique directe des institutions et des personnes ayant travaillé dans la cartographie topographique alpine était compromise. Une analyse indirecte était toutefois rendue possible par l’étonnante richesse de la littérature institutionnelle (rapports d’activité, publications périodiques, décrets et lois, etc.), en particulier pour la période allant des années 1880 aux années 1940, que ce soit pour le service cartographique officiel ou pour les organismes privés comme le Club alpin français. Cette littérature contenait non seulement d’innombrables informations précises sur le fonctionnement et l’évolution des institutions, mais aussi pour certaines périodes des listes détaillées de leur personnel. Si ces sources ne permettaient pas une véritable prosopographie comme je l’avais envisagée au début de mes travaux, elles offraient suffisamment d’informations pour une étude relativement précise du contexte socioculturel de la cartographie alpine. Ponctuellement, en fonction des données contenues qui variaient selon les périodes, l’exploitation sérielle des archives topographiques permit également des hypothèses sur la sociologie des groupes travaillant dans la cartographie.
Plus précisément, elle ne répondit pas à mes demandes répétées pour une autorisation d’accès aux archives administratives. Je dois à une source indirecte et officieuse la confirmation qu’on ne me donnerait pas l’accès à ces documents.
Le service cartographique officiel était militaire jusqu’à la création de l’IGN en 1940 : le Dépôt de la guerre fut supprimé en 1887 et remplacé par le Service géographique de l’armée.
Par exemple dans les archives des établissements d’enseignement qu’ils avaient fréquentés.