3.2.3. Les temporalités de la production cartographique.

La comparaison de l’évolution des levés topographiques, de l’édition des feuilles et des échelles de publication donne une idée générale des temporalités de la production cartographique. En particulier, elle montre comment les levés n’entraînent pas nécessairement et surtout pas immédiatement la publication de nouvelles feuilles, dont les conditions de réalisation n’ont que peu de relation avec les travaux sur le terrain. Un décalage temporel plus ou moins marqué s’installe systématiquement entre les opérations de levé et à la publication des feuilles. Il est particulièrement visible sur les graphiques lorsque ces opérations sont importantes. Par exemple, les levés de précision de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle (graphique 1) entraînèrent bien une augmentation de la publication de feuilles sur la même période, mais leur effet fut bien plus marqué à la fin des années vingt (graphique 2), avec un pic de la publication de feuilles qui ne correspondait à aucune nouvelle opération de levés, mais plutôt à une volonté affirmée par la direction du service officiel d‘accélérer la publication de la carte de France141. Un autre exemple est donné par l’augmentation assez régulière des levés aériens qui ne se traduisit pas par une même augmentation des publications cartographiques, à la fois parce qu’une partie de plus en plus importante des levés aériens n’étaient pas destinés directement à la réalisation de cartes topographiques, et à la fois parce que les conditions budgétaires des années cinquante et soixante ralentirent sérieusement le rythme de publication du service officiel142.

Ce décalage systématique entre les levés topographiques et la publication des feuilles ne provenait pas simplement de la répartition chronologique des étapes de levé, de rédaction et de reproduction des feuilles, mais aussi de temporalités spécifiques à la production cartographique en série. Les graphiques précédents montrent bien une caractéristique fondamentale de cette production : alors que les levés topographiques étaient organisés aussi souvent que possible de façon régulière (graphique 1), la publication des feuilles connaissait d’importantes variations périodiques et en particulier des pics de production ponctuelles, comme en 1895, en 1907, en 1928-1931, en 1952, ou encore en 1974-1977 (graphique 2). Ces variations n’était pas liées aux seules conditions techniques, mais aussi – et peut-être surtout – aux conditions financières, « commerciales » (les besoins exprimés par les utilisateurs), ou politiques, dont le retard provoqué par la première guerre mondiale dans l’exploitation des levés de précision est un exemple particulièrement révélateur.

La périodisation technique que j’ai adoptée doit nécessairement refléter les temporalités de la production cartographique, en prenant notamment en compte l’impact durable des changements techniques sur la publication des feuilles. Si les périodes chronologiques définies sur la base des techniques de levé utilisées demeurent essentiellement pertinentes, elles subissent un étirement au niveau de leur borne postérieure pour intégrer toutes les applications cartographiques de ces techniques. La définition de ces périodes est donc particulièrement floue, non seulement parce que les changements techniques ne s’effectuent jamais brusquement, mais aussi parce que les levés topographiques sont susceptibles d’être exploités longtemps après leur exécution et d’avoir une influence notable sur les feuilles publiées alors. Ainsi, j’ai pris le parti de conserver la référence technique de la périodisation, mais en traitant à l’intérieur de chacune des périodes toutes les conséquences parfois très postérieures des techniques employées.

Notes
141.

L’ancienneté de certains levés nécessita cependant une révision assez étendue dans les Alpes du nord.

142.

Voir infra, partie 4, chapitre 1.3.