Partie 1. A la croisée des influences militaire et scientifique, la géométrisation du relief par la triangulation (1800-1870).

Les historiens de la cartographie s’accordent pour dater du 17e siècle l’apparition d’une cartographie qualifiée de scientifique, dans le sens où elle est basée sur une mesure instrumentale du terrain qu’elle représente. Le développement des premières cartes géométriques, c’est-à-dire reposant sur des opérations de triangulation, marque ainsi ce que John Brian Harley a appelé une « rupture épistémologique »148 : de purement descriptive, élaborée à partir des relations de voyage et de l’interprétation, parfois même de l’imagination du cartographe comme artiste complet, la cartographie devenait scientifique, mettant les sciences à son service pour donner une représentation du territoire qui se voulait de plus en plus fidèle, « un modèle relationnel “correct” du terrain »149. Les fondements instrumentaux de cette cartographie scientifique reposaient sur les méthodes de triangulation qui permettent, à partir de quelques points situés astronomiquement, de mesurer et calculer la position de nombreux points représentés sur la carte, formant le canevas géométrique ou canevas géodésique. Mais pendant plus de deux siècles, la conception de la cartographie, les besoins pratiques et les techniques employées contribuèrent à limiter l’application de la mesure à la troisième dimension du terrain : l’altitude.

Quand le souci d’une représentation géométrique du relief s’affirma au début du 19e siècle, celle-ci se développa dans une dépendance totale des méthodes de triangulation. L’opposition entre l’origine scientifique des méthodes mises en œuvre et les utilisations pratiques essentiellement militaires et administratives de la cartographie entraîna une véritable lutte d’influence entre savants et militaires pour le contrôle de la cartographie officielle et en particulier la définition des spécifications de la première carte topographique générale de la France. La « victoire » des militaires favorisa l’adoption d’une géométrisation partielle du relief dans une conception fixiste et figurative de la cartographie, mais la couverture inédite des régions les plus élevées des Pyrénées et des Alpes souligna les limites d’une approche généraliste de la cartographie pour la représentation de la haute montagne.

Notes
148.

HARLEY John Brian. Déconstruire la carte. Op. cit., p. 66.

149.

Ibid.