1.1.1.1. Les applications architecturales de la triangulation en Italie.

Les traces écrites les plus anciennes des méthodes de mesure indirecte datent du 13e siècle, en Italie. Essentiellement appliquées aux mesures architecturales, elles dérivaient certainement des propriétés de la perspective et des proportions mentionnées chez Euclide et transmises par la science arabe. Des pratiques formatives s’étaient développées avec d’une part, l’apparition des armes à feu et l’essor de la guerre à distance, et d’autre part, l’humanisme et la redécouverte de l’architecture antique.

L’architecte Leon Battista Alberti les théorisa en exposant une méthode de relevé topographique territorial et architectonique dans le Ludi Matematici, rédigé vers 1445151. Il présentait dans cet ouvrage un goniomètre152 horizontal en forme de cercle gradué, divisé en quarante-huit parties de quarante minutes chacune, qui permettait de localiser en coordonnées polaires153 les principaux points d’un territoire pour en effectuer la triangulation. Il décrit une méthode inspirée de la triangulation pour mesurer les dimensions d’un lieu. Elle consistait à « effectuer des mesures d’angles à partir de deux lieux distincts dont la distance réciproque [était] déterminée par mesure directe, [ces] mesures [étant] ensuite contrôlées à l’aide d’un troisième point, non aligné sur les deux autres et défini par l’intersection des rayons optiques issus de ces derniers »154. Il s’agissait de ce qui fut appelé plus tard la méthode de relevé topographique par intersections successives, mais elle reposait encore sur la multiplication des relevés angulaires et nécessitait la mesure des distances, au pas ou à la corde à nœuds. Alberti l’appliqua en 1450 à la détermination de la planimétrie de Rome dans son Descriptio urbis Romae : le livre ne contenait que des coordonnées polaires qui permettaient de dresser un plan géométrique de la ville – et non plus perspectif comme on les faisait à l’époque.

Les deux ouvrages d’Alberti cités ne furent publiés que tardivement, mais sa méthode connut une certaine diffusion : elle est supposée avoir été utilisée pour dresser quelques plans célèbres, comme celui de la ville d’Imola à la fin du 15e siècle155. Plus généralement, la mesure indirecte des distances se développa dans des applications essentiellement architecturales, en particulier pour la guerre de siège. Les bases d’une cartographie géométrique, fondée sur la mesure, furent ainsi posées dans le domaine des plans urbains par les architectes et ingénieurs italiens de la Renaissance156.

Notes
151.

Sur la description de la triangulation par Leon Battista Alberti, voir : VAGNETTI Luigi. Mieux vaut voir que courir 1. In Cartes et Figures de la Terre, op. cit., p. 242-247.

152.

Goniomètre : instrument servant à mesurer les angles.

153.

Le principe des coordonnées polaires, c’est-à-dire la définition d’un point par ses coordonnées par rapport à un point d’origine, était connu depuis Ptolémée et appliqué notamment dans l’utilisation de l’astrolabe, mais n’avait encore jamais été appliqué à un mécanisme goniométrique – à l’exception d’une utilisation inconsciente par un moine viennois anonyme en 1432. VAGNETTI Luigi. Mieux vaut voir que courir 1. Op. cit., p. 244-246.

154.

Ibid., p. 246.

155.

« L’attribution [du plan] à Léonard de Vinci a été récemment soumise à discussion. »

BOUTIER Jean. L’affirmation de la cartographie urbaine à grande échelle dans l’Europe de la Renaissance. In IACHELLO Enrico éd., SALVEMINI Biagio (éd. Per un atlante storico del Mezzogiorno e della Sicilia in età moderna. Omaggio a Bernard Lepetit. Naples : Liguori, 1998, p. 113.

156.

BOUTIER Jean. Mesures et triangulation de l’espace urbain. Le lever des plans de Paris à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles). Le Monde des cartes. Revue du Comité Français de Cartographie, mars 2002, 172, p. 7.