L’application de la triangulation à des territoires plus vastes que les villes posait de façon plus aigue le problème de la mesure des distances. Gemma Frisius donna la première description de la triangulation dans une application cartographique autre qu’un plan urbain. Dans la deuxième édition de son Cosmograficus liber Petri Appiani parue en 1533, il proposait une explication claire et précise du principe de la triangulation d’un territoire dans un appendice de seize pages : le Libellus de Locroum describendorum ratione deque distantiis eorum inveniendis. La publication d’une édition en langue commune – et en français en 1544 – le destinait non seulement aux savants, principalement géographes, mais aussi aux professions moins cultivées comme les arpenteurs157. La méthode présentée généralisait la mesure indirecte des distances par la trigonométrie et posait les fondations de la triangulation dans son acceptation cartographique moderne : à partir de la mesure d’une base plus ou moins longue sur le terrain, qui constitue le côté d’un premier triangle, la triangulation permet de déterminer la position géographique de points par la mesure des angles des triangles formés par ces points.
Bien que l’« invention » de la triangulation par Frisius soit controversée, la publication de son livre fut véritablement à l’origine de l’application de cette méthode à la cartographie. La deuxième moitié du 16e siècle connut un certain développement de la réalisation de cartes régionales géométriques, c’est-à-dire basée sur une triangulation. Des instruments adaptés furent mis au point. L’astrolabe fut ainsi modifié pour les mesures géodésiques. En 1612, J. P. Dou inventa le « cercle hollandais », qui devint le goniomètre le plus utilisé pendant deux siècles. Le français Philippe Danfrie construisit en 1597 le premier exemplaire du graphomètre, combinant boussole et astrolabe, qui resta l’instrument fondamental de l’arpenteur avec sa version réduite, le quart de cercle, jusqu’à l’invention du théodolite à la fin du 17e siècle158. Enfin, la planchette topographique, mise au point dans la deuxième moitié du 16e siècle, permettait d’effectuer simultanément le dessin cartographique et la mesure des angles – ou plus précisément le tracé graphique des angles à partir de visées.
Sur le développement de la triangulation aux Pays-Bas, voir : POULS H. C. Mieux vaut voir que courir 2. In Cartes et Figures de la Terre, op. cit., p. 248-251.
Le graphomètre « était constitué par un limbe de 180° muni d’une boussole et d’une alidade, à pinnules au début, à lunette par la suite, le tout supporté par un pied planté dans le sol. Le limbe pouvait prendre la position horizontale, inclinée ou verticale ; cette dernière donnait la possibilité de mesurer les angles verticaux, par adjonction d’un fil à plomb, mais on n’en usait pas, l’altimétrie étant délaissée (on connaissait bien aussi le niveau à bulle d’air, mais il n’était utilisé que pour les travaux d’arpentage et de terrassement, non pour les levés topographiques). Le quart de cercle n’était autre qu’un graphomètre réduit à environ 100°, mais de rayon plus grand, ce qui permettait de gagner en précision sans augmentation de poids. Ce sont ces instruments qui, progressivement perfectionnés et transformés, donnèrent naissance au théodolite ». ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.1. Op. cit., p. 73.