1.1.1.3. De la cartographie à l’astronomie : l’appropriation de la triangulation par la géodésie.

Malgré de nombreuses applications, ce ne fut pas dans le domaine de la cartographie que l’utilisation de la triangulation fut le plus remarquée, mais dans celui de l’astronomie. Le mathématicien et astronome Willebrord Snel van Royen (1580-1626), dit Snellius, adopta le procédé de Frisius pour résoudre le problème ancien du calcul des dimensions de la Terre. Il mesura à l’aide d’une triangulation la distance séparant Alkmaar et Bergen-op-Zoom et calcula à partir de cet arc de méridien la circonférence de la terre. Les résultats de ses travaux furent publiés en 1617 dans Eratosthenus Batavus, de Terrae ambitus vera quantitate (L’Eratosthène néerlandais, sur la véritable circonférence de la Terre). La même méthode fut utilisée en Angleterre par Norwood et en Italie par le Père Riccioli, mais ce fut surtout en France qu’elle connut son plus grand développement, avec le soutien de la monarchie absolue, plus intéressée au mécénat scientifique que les nations commerçantes.

La question des dimensions de la Terre s’était affirmée comme l’un des problèmes centraux de la science en général et de l’astronomie en particulier, au point de former une discipline spécifique : la géodésie, science ayant pour objet l’étude de la forme et la mesure des dimensions de la Terre. Le terme lui-même apparut en français au milieu du 17e siècle159, quelques décennies avant les premiers travaux de triangulation générale de la France. L’implication des savants dans tous les grands projets de triangulation entraîna la séparation plus ou moins stricte entre les opérations de triangulation et les opérations cartographiques, les premières n’étant plus systématiquement menées dans la perspective des deuxièmes, même si les cartographes pouvaient en exploiter les résultats. Dès la fin du 17e siècle, la triangulation n’était plus considérée comme une méthode utilisée en cartographie, mais plutôt comme une méthode spécifique à la géodésie. Son utilisation en cartographie fut de plus en plus souvent désignée sous le terme d’ « opérations géodésiques », dont l’emploi traduisait un glissement de l’acception du terme géodésie vers le domaine cartographique160. Ce rapprochement lexical ne traduisait pas l’opposition qui s’imposa aux 18e et 19e siècles entre l’approche scientifique plus fondamentale et l’approche cartographique plus pratique de la géodésie, dont la première triangulation générale de la France offre un parfait exemple.

Notes
159.

Le Robert date le nom « géodésie » de 1647, alors que le Trésor de la Langue Française rapporte son emploi dès 1644 dans l’Horographie curieuse de P. Bobynet.

160.

Le Robert intègre d’ailleurs aujourd’hui dans les objets de la géodésie « l’établissement de cartes ».