1.1.2. La description géométrique de la France : première triangulation nationale et affirmation de la perspective scientifique.

1.1.2.1. L’Etat, la carte de France et les savants.

En France, dans la deuxième moitié du 17e siècle, la mise en place d’un Etat moderne, avec une structure administrative plus centralisée, avait soulevé la question de la cartographie détaillée du territoire, principalement pour des raisons administratives de gestion des voies de communication et d’optimisation de la fiscalité – les militaires dressant déjà leurs propres cartes161. Colbert s’était ainsi préoccupé très tôt du problème de l’établissement d’une cartographie homogène de la France, alors qu’il n’existait que des cartes à petite échelle généralement dressées par des géographes de cabinet162 pour les intégrer dans des atlas. En 1644, il demandait aux maîtres des requêtes de réunir des informations et si possible des cartes sur les provinces et généralités de l’intérieur du Royaume, avec peu de succès. En 1665, un mémoire attribué à Nicolas Sanson, géographe du Roi, prenait position pour la réalisation à partir des cartes et informations existantes d’une carte générale de la France à assez grande échelle pour représenter dans leurs détails les communes et routes du royaume, mais il n’eut pas de réponse directe163.

L’intérêt naissant pour une cartographie à plus grande échelle du territoire reposait encore sur les conceptions traditionnelles d’une cartographie indirecte, mais les développements récents des méthodes de mesure du terrain, en particulier de la triangulation, soulignaient la possibilité de dresser des cartes détaillées à partir de levés directs, dont certaines cartes régionales fournissaient des exemples. Cette nouvelle façon de pratiquer la cartographie ne pouvait plus être ignorée, et dans son mémoire de 1665, Nicolas Sanson rejetait d’ailleurs explicitement la réalisation de levés directs généralisés. Pourtant, l’idée de dresser une carte de France détaillée sur les bases d’une triangulation générale du territoire faisait son chemin, notamment dans les milieux scientifiques pour lesquels la géodésie était la seule assurance d’une cartographie précise. Malgré la domination des questions astronomiques, les problèmes géodésiques et cartographiques n’étaient jamais complètement séparés, sous l’influence d’un pouvoir central plus intéressé par les applications pratiques que par la science fondamentale.

Notes
161.

Voir infra, partie 1, chapitre 1.2.

162.

L’expression « géographe de cabinet » désigne les cartographes dressant des cartes à partir de sources indirectes (relations de voyage, cartes anciennes, etc.) et ne procédant à aucune observation directe sur le terrain.

163.

PELLETIER Monique. La Carte de France. Bulletin du Comité français de cartographie, septembre 1987, 113, p. 7-15.