En insistant sur la primauté de la triangulation dans le travail cartographique, Picard permettait aussi à l’Académie de commencer par des travaux intéressant directement ses préoccupations scientifiques qui restaient prépondérantes : la méridienne devait certes constituer l’armature du châssis de la carte de France, mais elle permettait aussi – et surtout – d’obtenir par déduction une mesure « de la grandeur de la Terre huit fois plus précise »169, puisqu’elle se basait sur une mesure de huit degrés de latitude au lieu d’un seul dans les mesures réalisées par Picard entre 1668 et 1670.
L’orientation scientifique des travaux fut affirmée par l’influence de Cassini, qui prit la direction de l’Observatoire à la mort de Picard en 1682. Il fut chargé officiellement en 1683 de prolonger la méridienne. A partir de la base de Picard, Cassini mena les travaux en direction du sud et La Hire en direction du nord, mais ils furent interrompus par Louvois en 1684. La partie sud fut poursuivie en 1700 par Jacques Cassini (Cassini II) (1677-1756), le fils de Jean-Dominique, et achevée l’année suivante à Collioure. La partie nord ne fut complétée qu’en 1718 par Cassini II et le fils de La Hire. Délaissant l’aspect cartographique du projet et la triangulation du territoire qui devait servir de base à la carte de France, Jacques Cassini concentra son travail sur l’une des préoccupations scientifiques principales de l’époque : la forme de la Terre. Exploitant les calculs effectués sur la méridienne, il soutint que la Terre était allongée aux pôles (De la grandeur et de la figure de la Terre, Paris, 1720), hypothèse en contradiction avec la théorie de Newton170.
Le Contrôleur général des finances Orry171, qui voulait refaire le réseau routier sur de nouvelles mesures, ordonna en 1733 à Cassini II d’entreprendre les travaux de la triangulation générale du territoire prévue par Picard et Colbert, sur laquelle pourraient s’appuyer les cartes détaillées des provinces : cette triangulation fut désignée comme la description géométrique de la France. La détermination de la figure de la terre devait être considérée comme secondaire, mais sous l’influence de Cassini, les préoccupations d’ordre scientifique restèrent prioritaires. Les travaux commencèrent donc en 1733-1734 par la mesure de la perpendiculaire au méridien au niveau de l’Observatoire, ramenée ensuite au parallèle, qui put être utilisée pour confirmer les conclusions précédentes de Cassini sur l’allongement de la Terre aux pôles.
Pour le monde savant, les erreurs opératoires et instrumentales suffisaient à expliquer les divergences : deux missions furent envoyées l’une au Pérou (1735-1743), l’autre en Laponie (1736-1737), pour mesurer des arcs de méridien le plus près possible l’un de l’équateur, l’autre du pôle. Leurs résultats tranchèrent en faveur de l’hypothèse de l’aplatissement de la Terre aux pôles. Tout en dirigeant les travaux de la description géométrique de la France avec son cousin Giovanni Domenico Maraldi (1709-1788) et l’abbé La Caille, Jacques Cassini effectua en 1739-1740 de nouveaux calculs pour vérifier la méridienne, avec l’aide de son fils César-François Cassini de Thury (Cassini III) (1714-1784) : la mesure de la base de Picard fut trouvée trop longue de six toises, l’étalon utilisé la première fois étant trop court. Les nouveaux résultats confirmaient ceux des expéditions de Laponie et du Pérou – et donc l’hypothèse avancée notamment par Newton.
Cité par PELLETIER Monique. Science et cartographie au Siècle des lumières. Op. cit.
En application de sa loi de la gravitation universelle, Newton soutenait que les axes des planètes étaient moindres que les rayons de leurs équateurs, ce qui signifiait que la Terre était aplatie aux pôles (17e proposition du 3e livre des Principia philosophiae naturalis, 1687).
Responsable d’un grand nombre de travaux territoriaux et de la création de la l’école des ingénieurs des Ponts et Chaussées (noms définitifs pris en 1775 seulement).