1.2.2.2. La méthode des ingénieurs géographes.

La méthode employée par les ingénieurs géographes pour les levés topographiques se fixa dès la fin du 17e siècle, puis se formalisa au cours du 18e siècle par l’élargissement du cadre de leurs travaux et le changement de leur destination, plus utilitaire et moins figurative qu’au début du 17e siècle.

Pendant longtemps, les levés militaires ne s’appuyèrent pas systématiquement sur une triangulation. La description géométrique de la France n’étant pas encore achevée, les ingénieurs géographes ne pouvaient de toute façon pas se baser sur une triangulation d’ensemble. Ils réalisaient parfois des triangulations locales : à partir d’une base mesurée sur un terrain le plus horizontal possible, ils établissaient par calcul trigonométrique un canevas géométrique au graphomètre ou au quart de cercle. Mais à partir de 1748, au début des levés pour la Carte géométrique du Haut-Dauphiné et du comté de Nice, les ingénieurs géographes se virent imposer par leur autorité de tutelle de raccorder leurs levés au canevas de l’Académie.

Cependant, la triangulation n’occupait pas une place aussi centrale dans la cartographie militaire que dans la conception qu’avait l’Académie des sciences de la cartographie civile. Au contraire, l’accent était principalement mis sur le levé détaillé du terrain, dont la configuration revêtait une importance bien plus grande pour les usages militaires que pour les usages civils. Les échelles de levés étaient variables200, mais celle de six lignes pour cent toises (environ 1 : 14 400) devint rapidement la plus employée201. Les travaux étaient parfois exécutés à la boussole seule, mais le plus souvent à la planchette déclinée. Cette méthode consistait à effectuer les levés sur une planchette topographique constamment déclinée, c’est-à-dire positionnée par rapport au nord magnétique par l’emploi d’un déclinatoire, boîtier rectangulaire contenant une aiguille aimantée fixé sur la planchette. L’orientation étant ainsi assurée, les points importants étaient déterminés, c’est-à-dire positionnés, par des visées d’intersection exécutées depuis plusieurs autres points stationnés : depuis chaque station, la direction du point visé était tracée à l’alidade, une règle munie d’un dispositif de visée servant à tracer les directions sur la minute202 fixée à la planchette ; la position du point visé était ainsi donnée par l’intersection des directions tracées depuis les différentes stations.

La méthode du levé à la planchette déclinée, fixée dès la fin du 17e siècle, constitua la base du levé topographique moderne. En privilégiant le levé du terrain sur le terrain lui-même, elle marquait une évolution fondamentale de la cartographie topographique, en opposition radicale avec la cartographie chorographique des géographes de cabinet. L’intérêt nouveau pour une représentation détaillée de la topographie du terrain entraîna une série d’innovations dans la représentation du relief qui aboutit à la formalisation de ce qui fut appelé par les historiens classiques de la cartographie la deuxième manière de l’orographie : les lignes de plus grande pente.

Notes
200.

Les levés topographiques étaient – et sont toujours – souvent réalisés à des échelles supérieures à l’échelle de publication de la carte, qui constitue en fait une réduction des minutes de levé.

201.

ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.1. Op. cit., p. 71-73.

202.

Le terme « minute » désigne l’original d’un levé, c’est-à-dire la feuille de papier (du moins jusqu’aux années cinquante) sur laquelle sont tracés sur le terrain les éléments nécessaire à la construction de la représentation du terrain, puis la représentation du terrain elle-même.