1.2.3.4. Une évolution fondamentale vers la seule projection horizontale.

La généralisation de la représentation du relief par les hachures dans le sens des lignes de plus grande pente est souvent présentée comme une évolution particulière de l’orographie, sans la rapprocher explicitement de l’évolution plus générale de la cartographie au 18e siècle. A mon avis, il s’agit pourtant d’une manifestation d’un changement plus fondamental dans la représentation cartographique avec la généralisation de la projection horizontale.

De nombreux historiens de la cartographie ont souligné l’abandon de la perspective et le recours de plus en plus systématique à la projection horizontale, qui fut d’ailleurs plus précoce dans la représentation de la planimétrie que dans la représentation du relief. En 1730, dans la Carte générale des Monts Pyrénées, de nouveaux signes planimétriques en projection horizontale commençaient à apparaître, pour les grandes villes et les fortifications, ainsi que pour les villages simplement situés par un rond de position et les voies de communication par deux traits parallèles, même si certains bourgs restaient représentés en élévation et que le relief était toujours figuré en perspective. En 1765, toute la planimétrie était représentée en projection horizontale dans la Carte topographique des environs de Rambouillet et de St-Hubert et dans la Carte des chasses du Roi.

Dans son essai sur la représentation du relief en cartographie, Jean-Pierre Nardy rapprochait l’adoption de la seule projection horizontale des changements esthétiques du passage de la Renaissance à l’âge classique210. Du point de vue de l’histoire de l’art, la représentation du relief par des hachures rehaussées d’estompage, ou parfois par des teintes variant selon la pente, visait à suggérer un effet de modelé par des effets purement picturaux, procédés parfaitement inscrits dans la période classique qui avait érigé l’illusion en principe (peintures en trompe-l’œil, stucs modelés). Mais plus généralement, la lente adoption à la fin du 18e siècle d’une vision strictement verticale se doublait d’un développement des panoramas de chaînes de montagne en vision perspective publiés parallèlement aux cartes. La dichotomie des modes de représentation était la même qu’à la Renaissance (carte géographique et paysage perspective), mais avec une finalité unique pour les deux modes : délimiter et situer les contours et les formes avec précision, comme un architecte dressant le plan et l’élévation d’un immeuble. Les conceptions architecturales de l’orogenèse (les montagnes comme édifices hérités de la création) étaient en effet dominantes au 18e siècle : les plutonistes les voyaient comme des édifications réalisées par des mouvements tectoniques dus au feu central ; les neptunistes comme des accumulations de sédiments transportés par les eaux marines ; d’autres jugeaient que des effondrements et des dislocations pouvaient expliquer l’aspect actuel des montagnes, parfois comparées explicitement à des édifices en ruine, notamment dans la philosophie mécaniste.

Notes
210.

NARDY Jean-Pierre. Cartographies de la montagne. Op. cit., p. 77-79.