1.3.2.2. Les hachures normalisées.

Pour toutes les cartes topographiques moins détaillées que les plans de défilement, la Commission se prononça pour l’utilisation des lignes de plus grande pente. Si l’affirmation de la projection horizontale et les conditions techniques d’utilisation des courbes de niveau justifiaient en partie cette préférence, je pense qu’il faut également souligner l’influence d’une tradition figurative encore forte. Les procès-verbaux de la Commission témoignent d’ailleurs de l’importance accordée à l’expressivité des lignes de plus grande pente, jugée supérieure à celle des courbes de niveau. Cette balance entre la volonté d’augmenter le caractère géométrique de la représentation du relief et le désir de conserver une expressivité héritée de la tradition picturale de l’âge classique se retrouve dans la justification de la méthode établie par la Commission pour tracer les lignes de plus grande pente.

D’un côté, cette méthode cherchait à formaliser le tracé de ces lignes en instaurant des règles à tendance mathématique. A la place des traditionnelles lignes longues et fines suivant le sens de la pente, elle instaurait le principe des hachures dites « normalisées », courtes fractions de ligne tracées entre des courbes de niveau approximatives en principe équidistantes. Sur les minutes originales, un lavis pouvait les rehausser, mais la technique des hachures était surtout liée à la gravure sur cuivre qui imposait la monochromie : l’effet d’ombrage pouvait être obtenu en resserrant ou renforçant les hachures en fonction de la pente. La Commission n’édicta pas de règle précise, mais la règle dite « loi du quart » s’imposa rapidement220, confirmant le besoin d’une formalisation mathématique pour répondre à la volonté de géométrisation de la représentation du relief, mais aussi pour assurer une plus grande homogénéité des travaux. Cette loi du quart consistait à espacer les hachures, en principe d’épaisseur constante, du quart de leur longueur, c’est-à-dire du quart de l’intervalle entre les courbes sur lesquelles les hachures s’appuyaient. L’ombre était ainsi exactement proportionnée à la pente et le tracé des hachures purement géométrique – mais il était cependant impossible d’effectuer des mesures de pente à partir de l’espacement souvent très faible des hachures.

D’un autre côté, le souci de l’expressivité de la représentation du relief restait fondamental. Les procès-verbaux rappellent que la méthode établie par la Commission visait d’ailleurs principalement à améliorer l’effet plastique des hachures. Les discussions les plus longues et les plus vives portèrent sur l’effet d’éclairage à adopter pour rehausser les hachures. Les membres de la Commission étaient partagés entre un éclairage oblique221 plus expressif et un éclairage zénithal plus géométrique, parce qu’il s’appliquait uniformément sur toute la surface contrairement à l’éclairage oblique qui assombrissait les pentes opposées à la source théorique de l’éclairage. La Commission se prononça finalement, sans être catégorique, pour la convention jugée moins géométrique de l’éclairage oblique, dans l’hypothèse de rayons lumineux venant du nord-ouest et faisant avec le plan de la carte un angle de 50 à 65 grades, mais en supprimant les ombres portées.

Dans la pratique, la situation ne fut pas réglée par l’avis de la Commission. En France, l’éclairage oblique fut essentiellement utilisé sur les cartes manuscrites du Dépôt de la guerre, mais il était plus en faveur à l’étranger : la première carte nationale de la Suisse au 1 : 100 000 fut reconnue comme l’exemple le plus remarquable de cette technique. A l’exception de la carte de Corse au 1 : 100 000, la majorité des cartes gravées en France employèrent l’éclairage zénithal par souci de ne pas favoriser l’effet plastique au détriment de la définition géométrique. Mais l’emploi systématique d’un éclairage pour accentuer l’expression des hachures montre pourtant que, malgré une affirmation certaine de son importance, la représentation géométrique du relief n’était pas considérée comme une priorité absolue. La loi purement mathématique du quart était d’ailleurs souvent pondérée pour éviter une surcharge en hachures dans les zones fortement déclives. Des diapasons furent mises au point pour moduler l’écartement théorique des hachures en fonction de l’importance de la pente, comme celui de Lehmann en Allemagne ou celui de Bonne utilisé pour la carte de France au 1 : 80 000222.

Notes
220.

Voir infra, partie 1, chapitre 3.3.1.2.

221.

Plus précisément, une combinaison d’éclairages oblique et zénithal, mais qui était généralement appelée « éclairage oblique ».

222.

Voir infra, partie 1, chapitre 3.