1.3.3.1. Une méthode de levé topographique entre géométrisation et figuration.

La méthode de levé topographique utilisée par les ingénieurs géographes à partir de l’Empire illustrait parfaitement les limites de la géométrisation de la représentation du relief. En particulier, pour conserver une vitesse d’exécution suffisante, il n’était pas envisageable de filer sur le terrain les courbes sur lesquelles s’appuyaient la représentation en hachures normalisées. Les opérations de nivellement étaient réduites à la détermination de l’altitude pour les points du canevas géométrique, avec un degré d’imprécision lié aux méthodes employées que j’ai déjà souligné.

Dans la pratique, l’ingénieur géographe déterminait la planimétrie en premier. Puis, à partir du réseau de points cotés formé par le canevas géométrique, il effectuait des études des divers accidents du sol sous la forme de profils ou de dessins en hachures, qu’il appuyait sur des lignes caractéristiques positionnées sur le canevas. Le dessin des courbes de niveau n’était effectué sur la minute de levé que plus tard, au bureau, à partir de ces divers éléments. En s’appuyant sur ces courbes, il traçait ensuite les hachures directement sur la minute, qui servait ensuite de modèle au graveur. Les courbes de niveau avaient une simple fonction de fond de travail provisoire. Plus le terrain était accidenté et difficile à parcourir, plus elles étaient approximatives, mais elles n’étaient de toute façon jamais de véritables courbes isohypses. Au dessin, certaines étaient parfois rajoutées ou supprimées pour éviter un espacement trop grand ou trop petit.

Cette méthode de représentation du relief reposait donc beaucoup sur l’interprétation que l’ingénieur géographe se faisait du terrain. Cumulant plusieurs étapes dont une seule était effectuée sur le terrain, elle avait pour principale conséquence une certaine systématisation de la morphologie qui fut critiquée à la fin du 19e siècle par les scientifiques, les alpinistes et certains militaires, partisans d’une topographie plus détaillée223 : les ingénieurs géographes ne pouvant pas se référer au terrain lors du dessin des courbes et des hachures, ils avaient tendance à « lisser » les caractéristiques topographiques de celui-ci pour obtenir un modelé fondu et harmonieux. Au final, les hachures normalisées offraient une expressivité plastique remarquable, mais les accents de la morphologie étant quelque peu émoussés, le résultat était plus efficace pour les reliefs doux, alors que l’obscurcissement de la carte en régions montagneuses en compromettait la lecture – ce qui était un moindre mal puisque aucun utilisateur ne s’intéressait alors à ces régions.

Notes
223.

Voir infra, partie 2, chapitre 1.