1.4.3.1. Les conditions proto-industrielles de fabrication des instruments.

Entre le 16e et le 18e siècle, la fabrication des instruments géodésiques était caractérisée par une pratique encore majoritairement artisanale qui limitait singulièrement les possibilités d’amélioration de leur précision. Le talent de l’artisan restait la meilleure assurance d’un instrument précis, sans qu’il puisse limiter complètement les défauts de fabrication qui interféraient sur la qualité des mesures : jeu des éléments entre eux, frottements, action de la pesanteur sur les cercles verticaux, etc. Mais au cours du 18e siècle se mirent en place des stratégies d’amélioration basées sur une réflexion scientifique ou technique qui modifièrent peu à peu les conditions de fabrication et aboutirent à un système que l’on peut qualifier de proto-industriel. Les instruments n’étaient pas pour autant produits en série, et il arrivait souvent qu’un même fabricant adopte des perfectionnements différents pour chacun des instruments qu’il réalisait. Dans son étude sur la carte de France, le colonel Berthaut désigne d’ailleurs les instruments utilisés au Dépôt de la guerre par le nom de leur fabricant et l’année de leur fabrication, chaque modèle présentant des caractéristiques différentes.

Depuis le 16e siècle, la conception de ces instruments était confrontée à deux problèmes fondamentaux dans la fabrication des cercles de métal qui servaient aux mesures angulaires : la variation de la taille des cercles liées à la dilatation des métaux et la précision des divisions inscrites sur ces cercles.

Pour la variation de la taille, aucune solution technique ne fut trouvée avant le 19e siècle pour modifier la qualité même des métaux et réduire leur dilatation. D’ingénieux systèmes d’estimation de cette dilatation furent mis au point, mais ils ne pouvaient être adaptés qu’aux règles servant à mesurer les bases, qui étaient construites en métal depuis environ 1740, à l’image des règles bimétalliques conçues par Borda pour la mesure des bases de la méridienne de Dunkerque en 1792230. Ces dernières étaient constituées de deux règles de taille et de métal différents, l’une en platine, l’autre plus petite en cuivre, emboîtées dans un châssis de bois. Les corrections de dilatation pouvaient être déduites à partir de la comparaison des tailles relatives des règles avec des résultats d’expérimentations menées lors de leur conception. D’autres systèmes similaires furent employés en Europe, sauf en Angleterre où fut préféré l’emploi de règles tubulaires en verre, insensibles à la dilatation mais plus fragiles. Pour les appareils de mesure angulaire, le problème de la dilatation ne pouvait à l’époque être maîtrisé que par la réduction des dimensions. Mais plus les cercles employés étaient petits, plus une lecture précise des mesures était nécessaire, ce qui posait de façon plus aiguë le problème de la gravure des divisions.

Divers perfectionnements avaient permis de faciliter la lecture des mesures, en particulier l’adjonction de verniers aux limbes231, mais aucun moyen n’avait été trouvé pour atténuer les défauts liés à l’irrégularité de la division des limbes. Pour résoudre ce problème, deux solutions radicalement différentes furent adoptées, l’une technique, l’autre méthodologique. La première constituait un début d’industrialisation de la fabrication des instruments. L’opticien anglais Ramsden avait en effet mis au point une machine à diviser les cercles qui permettait d’améliorer sensiblement la gravure des traits de graduation et donc de réduire la taille des cercles utilisés sans sacrifier à la précision de lecture des mesures. Non seulement la diminution des dimensions facilitait le transport de l’instrument, mais elle limitait fortement les erreurs liés à la dilatation des métaux et aux défauts d’équilibre des différentes parties. La deuxième solution consistait en une modification de la méthode de mesure basée sur la répétition.

Notes
230.

Voir infra, partie 1, chapitre 2.1.1.2.

231.

Le vernier est un dispositif inventé au début du 17e siècle par le mathématicien français du même nom, permettant à l’aide d’un curseur mobile de déterminer précisément et facilement les subdivisions d’une graduation. Le limbe est le bord gradué du cercle.