Conclusion

Au cours du 17e siècle s’affirma un paradigme de la cartographie scientifique basé sur la mesure du terrain. Les fondements instrumentaux de cette cartographie scientifique reposaient essentiellement sur les méthodes de triangulation, développées au 15e siècle en Italie dans une perspective architecturale et au 16e siècle au Pays-Bas dans une perspective cartographique et astronomique. A partir de la fin du 17e siècle, la cartographie européenne fut dominée par les préoccupations scientifiques qui voyaient dans les premières entreprises de triangulation couvrant un territoire national un élément crucial dans la résolution du problème central pour l’astronomie de l’époque des dimensions et de la forme de la Terre. La réalisation difficile de la première triangulation générale et de la première carte géométrique de la France, sous la direction de la dynastie des Cassini, illustre parfaitement l’opposition entre les préoccupations scientifiques et administratives dans le domaine cartographique.

L’intérêt pour une représentation cartographique détaillée du relief, c’est-à-dire pour une cartographie véritablement topographique, se développa dans le domaine militaire de façon d’abord indépendante de l’essor de la cartographie géométrique. Ce ne fut que dans la deuxième moitié du 18e siècle que les ingénieurs géographes militaires se virent obligés d’appuyer leurs réalisations sur des triangulations générales rattachées à la description géométrique de la France exécutée par les Cassini, ce qui donna naissance à une opposition durable entre les ingénieurs cartographes militaires et civils. La convergence des préoccupations topographiques et géodésiques aboutit en 1802 à la formalisation des méthodes cartographiques et en particulier d’une représentation plus géométrique du relief, basée sur des opérations de nivellement et sur une représentation graphique en hachures délimitées par des courbes de niveau approximatives. Mais l’influence dominante des scientifiques sur la cartographie avait favorisé le développement des méthodes géodésiques sur celui des méthodes topographiques. La géométrisation de la représentation du relief se fonda donc exclusivement sur un nivellement géodésique alors que les opérations topographiques conservaient une part fondamentale d’interprétation figurative du terrain.

Vers la fin de l’Empire, alors que la publication de la carte de Cassini s’achevait à peine, apparurent les premiers projets d’une nouvelle carte de France basée sur une nouvelle triangulation générale du territoire. Si la carte devait surtout répondre aux nouveaux besoins des militaires et de l’administration, la triangulation s’inscrivait également dans les nouveaux projets géodésiques des scientifiques. Une véritable lutte d’influence s’instaura alors entre les savants et les militaires, partisans d’une cartographie radicalement différente, alors que la professionnalisation du corps des ingénieurs géographes apportait aux militaires un atout supplémentaire, même s’il peinait à être reconnu par les pouvoirs publics.