L’idée d’une nouvelle carte de France apparut donc plus ou moins explicitement pendant la Révolution dans les trois milieux administratif, scientifique et militaire. Au sein de l’administration, la refonte complète du système fiscal sur la base des contributions foncières avait nécessité l’entreprise d’un cadastre général en 1791. La possibilité de dresser une carte générale de la France à partir des levés cadastraux fut soulevée : sans application concrète, l’idée perdura cependant pour se retrouver dans les projets postérieurs.
Dans la communauté scientifique, l’idée d’une nouvelle carte était encore moins clairement exprimée. Comme pour la carte de Cassini un siècle plus tôt, elle découlait de travaux de géodésie censés en fournir l’armature. La Commission des poids et mesure avait en effet fixé en 1790 une nouvelle unité de mesure égale à un dix millionième du quart d’un méridien : le mètre. Pour le déterminer le plus précisément possible, une nouvelle méridienne, dite de Dunkerque, fut mesurée à partir de 1792 par Delambre et Méchain238. Dans l’esprit de ses promoteurs, la méridienne pouvait devenir la base d’une nouvelle triangulation qui servirait à dresser une nouvelle carte.
Parallèlement, la carte de Cassini était achevée et revue par le Dépôt de la guerre, principalement au niveau des données administratives et des voies de communication, sans être toutefois publiée dans son intégralité. Les militaires, en particulier Bonaparte, considéraient la carte comme une arme de guerre et connaissaient trop bien le bénéfice qu’ils avaient tiré des travaux cartographiques saisis dans les pays annexés – notamment en Italie – pour en mettre trop facilement à la disposition des armées étrangères. Mais en même temps ils exprimaient le besoin d’une véritable carte topographique couvrant le territoire français, qui puisse être utilisée par les commandements pour mener des campagnes militaires dans le cas où la guerre se propagerait sur le sol national.
Sur la méridienne de Dunkerque, voir : Ibid., p. 119-126.