2.1.1.4. Une conception fixiste de la cartographie.

Bien que l’évolution des méthodes et des besoins joue un rôle fondamental dans l’apparition des projets d’une nouvelle carte de France, je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence d’une conception de la cartographie que je qualifierai de fixiste : une carte représentait un territoire à un moment donné, c’est-à-dire une vision figée de ce territoire pour laquelle les contemporains ne concevaient pas vraiment l’éventualité d’une actualisation. Les choix opérés par Cassini pour assurer la pérennité de sa carte illustraient parfaitement cette conception, tout comme l’absence de considération pour l’intégration des données cadastrales dans cette carte ou pour une nouvelle gravure des planches révisées, ne serait-ce que pour en rejeter l’idée en raison du coût. La carte de Cassini avait été conçue avant tout comme une œuvre de prestige visant à montrer l’avancée de la science française et constituait donc un témoignage figé du passé.

Il me semble d’ailleurs particulièrement révélateur de cette conception fixiste de la cartographie que le Dépôt de la guerre, l’organisme de cartographie militaire qui gérait la carte de Cassini depuis 1793, ait été créé à l’origine pour réunir des archives historiques sur les campagnes militaires. Jusqu’au 19e siècle, ses activités cartographiques participaient encore essentiellement de cet objectif. Les cartes chorographiques portaient par exemple le nom de « théâtre » et représentaient autant une région qu’un événement historique. Jusqu’aux années 1870, la partie archivistique et historique des activités du Dépôt de la guerre ne fut d’ailleurs jamais véritablement séparée de la partie cartographique240.

Quelles qu’en fussent les raisons, nouveaux besoins ou nouvelles méthodes disponibles, les premiers projets d’une nouvelle carte de France entraient également dans cette conception fixiste de la cartographie en refusant de considérer sérieusement une révision ou refonte de la carte de Cassini. Ils ne faisaient que proposer la réalisation de ce qui n’était finalement qu’un nouveau « théâtre » ou « tableau » de la France, une représentation figée de son état à un moment donné.

Notes
240.

Voir infra, partie 2, chapitre 3.1.2.