2.1.2. Les premiers projets militaires pour une nouvelle carte de France, 1808-1816.

2.1.2.1. Entre prédominance des besoins militaires et ouverture aux préoccupations scientifiques.

La convergence de la nécessité d’un nouveau tableau administratif de la France, des besoins militaires soulignés par une décennie de guerres, et de la formalisation des méthodes cartographiques par la Commission de topographie 1802, créait une dynamique complexe en faveur de la réalisation d’une nouvelle carte de France. Cependant, les besoins et les intérêts militaires se trouvaient dans une situation prédominante, favorisée par le contrôle militaire de toute la production cartographie officielle. En effet, depuis le 12 novembre 1793, le Comité de salut public avait placé la carte de Cassini sous l’autorité du Dépôt de la guerre. A l’exception d’un court intermède entre le 11 mai 1797 et le 9 juin 1798 pendant lequel la carte de Cassini avait dépendu du ministère de l’Intérieur, la mainmise des militaires sur la cartographie officielle était totale.

Pourtant, les premiers projets pour une nouvelle carte de France ne rejetaient pas complètement les positions des scientifiques et des administrations. Je suppose que cette ouverture participait d’un certain pragmatisme de la part des autorités militaires, qui devaient concevoir que le lancement d’une entreprise aussi longue et coûteuse nécessitait de rallier le plus de soutien possible. Le comportement du Dépôt de la guerre dans les débats sur les spécifications de la carte de France, que je présenterai plus loin, fut assez révélateur de son attachement opportuniste et précaire aux positions scientifiques. Mais l’adoption presque intégrale par les ingénieurs géographes des méthodes prônée par la Commission de topographie de 1802, y compris dans la place dominante faite à la géodésie – avec quelques adaptations de circonstance pendant les campagnes militaires –, montrait cependant une certaine proximité entre les préoccupations des scientifiques et des militaires. Dans son étude de la formation des ingénieurs géographes, Patrice Bret souligne d’ailleurs une orientation de plus en plus scientifique qui se traduisait par un rapprochement entre la communauté des savants et le corps des ingénieurs géographes241.

Notes
241.

Entre autres signes révélateurs, l’ingénieur géographe Louis Puissant, professeur de mathématique à l’école d’application du Dépôt de la guerre, fut élu au siège de Laplace à l’Académie des sciences le 3 novembre 1828.

BRET Patrice. Le Dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs-géographes militaires en France (1789-1830). Op. cit.