L’ordonnance royale du 11 juin 1817 prescrivait la formation d’une commission interministérielle, baptisée « Commission royale » et chargée « d’examiner le projet d’une nouvelle carte topographique générale de la France, appropriée à tous les services publics, et combinée avec l’opération du cadastre général, ainsi que d’en poser les bases et le mode d’exécution »244. Elle réunissait des représentants :
Si dans sa composition et son objet même, la Commission reflétait la multiplicité des secteurs concernés par la nouvelle carte et la volonté de définir des spécifications qui puissent être utiles à tous, la préférence marquée pour les « services publics » administratifs et militaires se trouva sérieusement contrariée par la nomination d’un savant aussi illustre que Laplace à sa présidence. Celui-ci imposa une orientation résolument scientifique qui fut maintenue jusqu’à la dernière réunion du 29 avril 1826 – l’influence de Laplace étant si considérable que sa mort entraîna la dissolution de la Commission.
Sous la direction de son très influent président, la Commission royale proposa immédiatement un projet ambitieux qui regroupait les préoccupations géodésiques des scientifiques et la volonté des services publics d’unifier les levés du cadastre et de la carte de France sur les bases du nouveau canevas géodésique. La partie géodésique du projet était la plus détaillée – signe de la prédominance scientifique. Elle prévoyait de confier aux ingénieurs géographes l’exécution d’une triangulation de 1e et 2e ordres liée à la méridienne de Dunkerque. Les ingénieurs du cadastre devaient être chargés de la triangulation de 3e ordre, à commencer dès 1818 sans attendre les résultats des travaux des ingénieurs géographes pour gagner du temps.
Pour les levés du terrain, des réductions au 1 : 10 000 des levés cadastraux devaient être fournies aux ingénieurs géographes du Dépôt de la guerre pour leur permettre d’exploiter la planimétrie du cadastre et de se concentrer sur le levé du relief. Pour sa représentation topographique, le projet reprenait les principes édictés par la Commission de topographie de 1802, mais sans les spécifier davantage : des hachures normalisées, appuyées sur des courbes de niveau extrapolées à partir des cotes de hauteur issues de la triangulation, complétées par d’éventuelles cotes supplémentaires mesurées sur le terrain et par des observations directes. En détaillant moins l’aspect topographique que l’aspect géodésique de son programme, la Commission affirmait clairement sa position privilégiant les opérations géodésiques qui intéressaient directement les scientifiques.
Dans le domaine spécifiquement cartographique, le projet maintenait son orientation scientifique et n’abordait qu’une partie restreinte des problèmes posés par la réalisation d’une carte. La Commission trancha par exemple très rapidement la question de la projection employée, qui se rapprochait des problématiques géodésiques, en confirmant le recours à la projection modifiée de Flamsteed, dite projection de Bonne. Sur cette base, elle mit au point un système d’assemblage des feuilles qui suivait les règles de la Commission de 1802 en séparant deux séries de feuilles à l’est et à l’ouest du méridien de Paris. D’abord discuté pour la coupure qu’il provoquait dans la représentation de la capitale, il fut finalement adopté en prévoyant la publication d’une feuille spéciale pour Paris et ses environs.
La seule autre question cartographique abordée concernait l’échelle de gravure – selon moi plus pour son influence sur le choix du système d’assemblage que pour son importance propre. En août 1817, une première décision avait tranché pour le 1 : 50 000, à la place du 1 : 100 000 utilisé habituellement par le Dépôt de la guerre246. Selon les membres, cette échelle permettait de représenter tous les détails nécessaires aux services publics et son coût plus important serait progressivement amorti par la vente des feuilles publiées. Je pense qu’une autre raison implicite guidait ce choix : tout en restant dans les échelles décimales prescrites par la Commission de 1802, l’échelle du 1 : 50 000 présentait l’avantage de ne pas donner l’impression d’une régression par rapport à la carte de Cassini, dressée à l’échelle d’une ligne pour cent toises, soit environ 1 : 86 400. L’adoption du 1 : 50 000 permettait également de revoir le tableau d’assemblage des feuilles sans se soucier du raccord avec les cartes au 1 : 100 000 des pays limitrophes : pour résoudre le problème de la coupure de la capitale, on plaça le point de rencontre entre le méridien de Paris et le parallèle moyen au centre d’une feuille et tout le tableau d’assemblage fut déduit de cette coupure, le méridien se retrouvant au milieu d’une bande de feuilles allant du nord au sud et Paris occupant alors une seule feuille normale.
Ce premier projet détaillait précisément les bases du travail géodésique, ainsi que les principes guidant la collaboration entre ingénieurs militaires et ingénieurs du cadastre, mais il ne faisait qu’esquisser les questions plus strictement topographiques qui préoccupaient essentiellement les militaires. L’accent mis sur les intérêts scientifiques et administratifs au détriment des intérêts militaires provoqua une opposition radicale entre la Commission royale et le Comité du Dépôt de la guerre, une commission indépendante formée au sein de l’organisme militaire.
Ordonnance reproduite dans Ibid., p. 186-187.
Les représentants du corps d’état-major furent intégrés à la Commission sur décision du ministre de la Guerre du 18 décembre 1818, confirmée par l’ordonnance du 26 février 1825.
Entre autres pour les cartes de Corse, de Souabe et de Bavière, pour les réductions des cartes des Départements unis, du Hanovre, de la Suisse, etc., ainsi que pour la carte manuscrite de l’Allemagne.