2.1.3.2. L’opposition du Comité du Dépôt de la guerre sur la question de l’échelle de gravure.

Parallèlement à la Commission royale, une commission spécialisée avait été créée au sein du Dépôt de la guerre dans l’objectif purement administratif d’évaluer les moyens nécessaires à la réalisation de la carte de France. Composée d’ingénieurs géographes et du colonel d’état-major Muriel, elle travailla entre le 23 août 1817 et le 4 mars 1818 sous l’autorité directe de la Commission royale. Son œuvre achevée, elle fut remplacée par un Comité du Dépôt de la guerre : complètement indépendant de la Commission dirigée par Laplace, celui-ci défendit beaucoup plus strictement les besoins militaires face à l’approche essentiellement scientifique de cette dernière.

Le premier bras de fer entre les deux organismes s’amorça autour de la question de l’échelle de gravure. La Commission royale défendait son choix du 1 : 50 000 en s’appuyant sur la lettre de l’ordonnance de 1817, qui parlait d’ « une nouvelle carte topographique de la France, appropriée à tous les services publics ». Les préoccupations d’ordre scientifique de son président militaient également pour l’adoption d’un niveau de détail inédit pour une carte nationale, qui participerait ainsi à l’éclat international de l’entreprise. En face, le Comité du Dépôt de la guerre justifiait sa préférence pour une échelle plus petite par les seuls besoins des militaires et de l’administration centrale, ainsi que par des raisons strictement économiques, qu’il illustrait par de nombreux calculs présentant les différents budgets nécessaires en fonction de l’échelle adoptée.

Si dans son rapport de 1816, Brossier avait pu argumenter que les détails nécessaires à toutes les activités administratives et scientifiques se trouvaient forcément présents sur une carte militaire, les vifs échanges entre la Commission et le Comité illustraient plutôt le contraire. Une fois obtenu l’accord de principe de la royauté sur la réalisation d’une nouvelle carte de France, le « front cartographique » s’étiolait et l’opposition entre militaires et scientifiques montrait que leur unité au début de 1817 n’avait été qu’une façade. Il paraissait maintenant évident que les besoins nécessitant le levé du cadastre à l’échelle du 1 : 5 000 ne pouvaient pas s’accorder avec ceux qui avaient fait adopter au Dépôt de la guerre les levés au 1 : 50 000 et la gravure au 1 : 100 000 pour ses cartes topographiques générales – même s’il employait des échelles bien supérieures pour ses levés de places fortes et de défilement. Dès lors, la conception d’une carte de France basée sur les levés cadastraux se trouvait fortement compromise. La question de l’échelle de gravure, qui focalisa pendant un temps l’opposition entre la Commission royale et le Comité du Dépôt de la guerre, marquait la fin de la très brève conjonction des intérêts administratifs, scientifiques et militaires dans le projet de la nouvelle carte de France.

Le Comité imposa finalement son point de vue en court-circuitant la Commission. Le 11 décembre 1818, Bonne présentait au Comité un rapport se prononçant pour les échelles du 1 : 80 000 ou du 1 : 100 000, la carte étant alors formée de respectivement deux cent huit ou cent trente-quatre feuilles au lieu des cinq cent trente-quatre nécessaires à l’échelle du 1 : 50 000. Si le prix de la gravure restait conséquent avec le maintien des levés au 1 : 10 000 comportant de nombreux détails, le coût global de la carte ne pouvait cependant qu’être inférieur en employant une échelle plus petite. Bonne rappelait d’ailleurs que les graveurs manquaient probablement trop pour réaliser plus de cinq cents feuilles dans un temps raisonnable247. Le rapport fut présenté au ministre de la Guerre, qui se prononça finalement pour le 1 : 80 000. Cette échelle ne faisait pas partie des échelles décimales utilisées par le Dépôt de la guerre selon les principes de la Commission de 1802, mais elle présentait l’avantage d’être, parmi les échelles adaptées au système métrique, la plus proche de celle de la carte de Cassini, tout en lui restant supérieure. Sans donner l’impression d’une régression – ni d’un véritable progrès cependant –, elle facilitait l’emploi simultané des deux cartes dans l’attente de l’achèvement de la nouvelle. Elle était aussi plus adaptée à l’utilisation tactique envisagée par les militaires.

Le choix du 1 : 80 000 fut confirmé en mars 1819 par le Comité, mais rejeté par la Commission royale qui continuait de soutenir le 1 : 50 000. Bien qu’elle ne changeât pas de position, le Dépôt de la guerre effectua entre 1819 et 1821 tous ses travaux de réduction à l’échelle du 1 : 80 000 et la gravure de la feuille de Paris fut même commencée à cette échelle. La Commission protesta vainement contre ces décisions et finit par proposer la séparation de la carte militaire au 1 : 80 000 de la carte civile au 1 : 50 000, sans pouvoir cependant résoudre les problèmes de l’origine des fonds nécessaires et de l’organisme chargé de dresser la carte.

Notes
247.

Le prix de vente d’une carte géographique ne permettait pas d’investir beaucoup d’argent dans la gravure, et les graveurs préféraient donc travailler dans des secteurs plus lucratifs. Le Dépôt de la guerre connut d’ailleurs pendant tout le 19e siècle des problèmes pour réunir des graveurs compétents en nombre suffisant pour ses prévisions de production.