2.1.3.4. L’ordonnance de 1824 et la « victoire » des militaires.

Un compromis semblait donc se dessiner pour l’échelle des levés, mais la situation financière du Dépôt de la guerre était fragile. Les économies budgétaires décidées par la Chambre des Députés diminuèrent son fonds de fonctionnement ainsi que celui du cadastre, à tel point qu’en 1822 les travaux pour ce dernier devinrent facultatifs249. La collaboration avec le cadastre se révélant dès lors impossible, le Comité rédigea un troisième et dernier projet présentant les coûts envisagés sur la base de nouveaux calculs. Malgré les objections constantes de la Commission, l’ordonnance royale du 25 février 1824 fixait définitivement l’échelle des levés au 1 : 40 000 et l’échelle de la gravure au 1 : 80 000. Elle affirmait également que la carte de France ne devait être considérée que des points de vue militaire et administratif, à l’exclusion de tout autre.

L’influence des militaires et de l’administration centrale, alliée à une conjoncture budgétaire défavorable, avait eu raison de l’influence des scientifiques et des services publics locaux. Une partie du discours tenu en 1832 par le général Pelet, alors directeur du Dépôt de la guerre, pour défendre la carte devant la Chambre des députés, résume savoureusement comment cette lutte d’influence fut perçue par les militaires :

‘« Les premiers travaux ont été fort lents. Nous étions entre les mains des savants. L’illustre Laplace présidait la Commission chargée de diriger la carte. On voulait porter dans les opérations astronomiques et géodésiques un luxe extraordinaire, une exactitude minutieuse, qui ont forcé à recommencer plusieurs fois les opérations. Nous nous sommes affranchis depuis longtemps de cette gêne, sans rien sacrifier de la précision qu’exige un pareil travail. »250

L’ordonnance de 1824 remplaçant les prescriptions de l’ordonnance de 1817, le Comité du Dépôt de la guerre estimait que l’influence de la Commission royale sur le projet pouvait cesser, mais il préféra la conserver en bornant son champ d’action à la géodésie de 1e ordre. Il rejetait ainsi toute influence du milieu scientifique sur les triangulations de 2e et 3e ordres, les levés topographiques, la rédaction et la gravure de la carte, qui devaient être effectués par les seuls officiers et personnels civils du Dépôt. Comme le général Pelet un peu plus tard, le Comité reconnaissait ainsi la lutte d’influence qui l’avait opposé à la Commission royale, et il se présentait comme le vainqueur épargnant avec mansuétude son adversaire.

Notes
249.

Les travaux du cadastre avaient déjà été retirés de la responsabilité de l’Etat et confiés en 1821 aux seuls départements et communes.

250.

Discours publié dans BERTHAUT Colonel, La Carte de France. T.1. Op. cit., p. 266.