2.1.3.5. La prédominance maintenue de la géodésie.

La Commission royale ne comptait pas abandonner si facilement une grande partie du travail géodésique qu’elle estimait de son ressort, même si seules les opérations fondamentales intéressaient directement les scientifiques pour leurs applications à la détermination des dimensions de la Terre. Sous le prétexte d’une querelle de méthode, elle tenta d’imposer à nouveau son influence sur toute la partie géodésique de l’entreprise.

Compte tenu des difficultés financières et du désistement plus ou moins volontaire de l’administration du cadastre, le Dépôt de la guerre avait commencé lui-même en 1824 les travaux de la triangulation de 3e ordre que devaient réaliser à l’origine les ingénieurs du cadastre. Elle était rattachée à une triangulation de 2e ordre qui remplissait les quadrilatères compris entre les chaînes primordiales, mais dont les chaînes n’étaient reliées que par leurs extrémités à des triangles de 1er ordre.

Bien qu’une sous-commission géodésique créée en son sein même eût inspecté cette méthode dictée par les circonstances et jugé qu’à l’échelle de la gravure, les erreurs étaient inappréciables, la Commission protesta auprès du ministre de la Guerre en mettant en avant ses préoccupations scientifiques et l’argument classique du retard de la France sur les autres nations européennes. Elle jugeait que la méthode générait « des erreurs intolérables dans l’état actuel de la science », et qu’il fallait donc se conformer au premier projet de triangulation et assurer « un canevas trigonométrique aussi parfait que tous ceux que les gouvernements étrangers [faisaient] exécuter à grand frais dans l’intérêt de la science et pour leur propre gloire »251.

Sa manœuvre d’influence visait tout autant à assurer la scientificité de l’entreprise qu’à garder la mainmise sur sa partie géodésique. Peut-être soucieux de maintenir de bonnes relations avec le milieu scientifique en général et l’Institut en particulier, le ministre de la Guerre ordonna le 30 juillet 1825 que tous les travaux géodésiques demeurent sous le contrôle de la Commission royale. Mais celle-ci ne profita de cette prérogative que jusqu’à sa réunion du 29 avril 1826, puisqu’elle fut dissoute après la mort de son président Laplace, qui avait influencé pendant neuf ans ses travaux avec ses préoccupations de prestige scientifique.

Pour autant, le rôle central des opérations géodésiques, déjà confirmé par la Commission de topographie de 1802, fut maintenu dans les travaux de la nouvelle carte de France. L’influence scientifique sur la cartographie était bien plus ancienne que la seule Commission royale, et la prédominance de la géodésie dans le travail cartographique héritait d’une longue évolution qui avait privilégié le développement des méthodes géodésiques sur les méthodes cartographiques avec une orientation scientifique toujours marquée – comme l’illustrèrent une nouvelle fois les travaux de la carte de France252.

Notes
251.

Avis de la Commission au ministre de la Guerre, cité dans : Ibid., p. 213.

252.

Voir infra, partie 1, chapitre 3.1.1.