2.2.2. L’affirmation de l’expertise des ingénieurs géographes sous l’Empire.

2.2.2.1. La militarisation du corps des ingénieurs géographes.

Avec le Consulat et l’arrivée au pouvoir de Bonaparte, qui avait déjà montré son intérêt pour la cartographie en Egypte et surtout en Italie, une période faste s’ouvrit pour les ingénieurs géographes, accentuée par l’ampleur des travaux à effectuer dans les pays annexés. Malgré une réorganisation avortée sous la direction du général Andréossy (1801-1802)264, le Dépôt de la guerre se développait considérablement et comptait quatre-vingt-dix ingénieurs géographes. D’importants travaux étaient menés dans tous les territoires conquis, notamment en Bavière, en Suisse et en Italie.

Peu de temps après sa nomination à la direction du Dépôt de la guerre le 10 juin 1802, le général du génie Sanson engagea une politique de rationalisation de la production cartographique, qui se traduisit par la mise en place d’une Commission de topographie et d’une commission chargée de déterminer la projection à employer pour les cartes du Dépôt265. Il envisageait également une rationalisation de l’organisation des ingénieurs géographes, dont l’absence de statut précis limitait les perspectives de carrière. Ainsi, de nombreux ingénieurs géographes conservaient des grades militaires dans d’autres corps en guise d’assurance – un problème d’affectations multiples qui se retrouve dans toute l’histoire de la cartographie militaire, jusqu’à la suppression du Service géographique de l’armée en 1940.

Jusqu’en 1808, le projet de réforme du corps des ingénieurs géographes conçu par Sanson fut confronté à une triple opposition, de la part du pouvoir auquel le bon fonctionnement apparent du Dépôt de la guerre masquait la nécessité d’une réforme, de la part des autorités militaires dont une partie considérait que les ingénieurs géographes étaient inutiles, et de la part des ingénieurs géographes eux-mêmes, hostiles à une réforme provenant d’un directeur originaire du corps du génie. La seule question réglée dès 1802 reflète bien la force de cette opposition : elle concernait l’adoption pour les ingénieurs géographes d’un nouvelle uniforme, différent de celui des adjoints du génie qui avait été le leur jusque-là !

Finalement acceptée par Napoléon en novembre 1808 et décrété en janvier 1809, la réforme créait un corps d’ingénieurs géographes militaires appelé « Corps impérial des ingénieurs géographes des camps et marches des armées ». Cette militarisation représentait une véritable reconnaissance ainsi qu’une unification nécessaire à la réalisation des grands travaux qui commençaient à être envisagés : nouvelle triangulation et nouvelle carte de la France. Elle supposait également la création d’une école d’application. Les ingénieurs géographes étaient dorénavant recrutés à la sortie de l’école Polytechnique, ce qui modifiait profondément les conditions d’un recrutement resté longtemps irrégulier.

Notes
264.

Elle reprenait l’esprit de la réorganisation engagée par Calon, mais dans un deuxième projet échafaudé parallèlement, Andréossy envisageait des changements plus radicaux avec l’organisation de toutes les armes savantes en un corps unique, le corps chargé des fonctions industrielles, subdivisé en un corps théoricien issu d’une école commune et un corps auxiliaire de simples praticiens. Ibid., p. 119.

265.

Voir supra, partie 1, chapitre 1.3.