2.2.2.2. L’orientation scientifique de la formation des ingénieurs géographes.

Sous l’Ancien Régime, les ingénieurs géographes étaient recrutés sur proposition du directeur du Dépôt de la guerre, après un examen par plusieurs ingénieurs géographes, comprenant notamment la trigonométrie rectiligne et sphérique266. S’en suivait une période de quelques mois pendant laquelle les aspirants complétaient leur formation pratique sur le terrain auprès d’un ingénieur. Quelques cours de perfectionnement semblent avoir été mis en place, mais aucune formation initiale n’était justifiée par un recrutement pratiquement nul à l’exception d’ingénieurs issus d’autres services.

En 1793, Calon mit en place un « cours d’instruction théorique et pratique » donné par le professeur de mathématiques Jean-François Callet, pour former les nouveaux ingénieurs géographes parmi lesquels quelques élèves brillants comme Bonne ou Lathuille. Il fut supprimé en novembre 1796, les créations scolaires de la Convention et les besoins du cadastre ayant favorisé la création en octobre 1795 d’une école d’application de Polytechnique principalement destiné à fournir des ingénieurs au Cadastre267 : l’Ecole des géographes. Cependant, un recrutement relativement médiocre, l’absence de pratique et l’opposition du Dépôt de la guerre qui ne recrutait qu’exceptionnellement ses élèves, entraînèrent sa fermeture par Bonaparte après la suppression du cadastre en 1802. Pendant la même période, entre 1796 et 1801, le Dépôt de la guerre remit en place des cours internes qui souffraient du manque de moyen et se révélèrent très rudimentaires : « force est de constater, d’une part le recul du niveau requis à cette époque pour les ingénieurs géographes militaires par rapport à leurs aînés, qui devaient posséder la trigonométrie sphérique quarante ans plus tôt, d’autre part l’infériorité de leur niveau par rapport à leurs collègues civils sortis de Polytechnique et de l’Ecole des géographes »268. L’insuffisance du système de formation nécessitait de recruter des ingénieurs externes qui entraient au Dépôt avec une formation variée.

Avant même la réforme du corps des ingénieurs géographes menée par Sanson, les projets ajournés de Brossier et de Clarke témoignaient « d’un consensus aux échelons supérieurs de la hiérarchie sur la nécessité de mettre fin à un recrutement anarchique, en instaurant une véritable formation scientifique pour les ingénieurs-géographes »269. En 1801, Andréossy organisa un véritable enseignement dispensé par des ingénieurs géographes, mais qui ne disposait pas d’une existence officielle. Sanson conçut le projet d’une véritable école d’application au Dépôt de la guerre, mais celui-ci ne fut pas adopté. La fermeture de l’Ecole des géographes et la militarisation de l’école Polytechnique entraînèrent cependant un renforcement de la formation géographique dans cette dernière.

Finalement, quand Napoléon donna un statut militaire aux ingénieurs géographes en 1808, il en réserva l’accès aux élèves de Polytechnique et une école d’application, l’Ecole impériale des ingénieurs géographes, fut créée en 1809 au Dépôt de la guerre. Celle-ci se développa sous l’influence fondamentale de son chef d’étude et professeur de mathématique, l’ingénieur géographe et géodésien Louis Puissant270. « Pour la première fois les élèves reçurent un enseignement de haut niveau parfaitement adapté aux besoin du service. […] Le corps des ingénieurs géographes, qui venait d’être doté d’un véritable statut, y gagna non seulement une plus grande compétence, mais aussi une plus grande cohérence, que l’absence de perspective de carrière et la diversité du recrutement n’avaient pu assurer jusqu’alors. »271

A la suite de la décision d’entreprendre une nouvelle carte de France en 1817, l’école fut réformée en 1819, avec principalement l’allongement de la scolarité à deux ans. La formation théorique faisait une grande place à la géodésie et se basait principalement sur les deux traités de Géodésie et Topographie de Louis Puissant. La formation pratique consistait en des opérations estivales, durant lesquelles les élèves effectuaient des levés topographiques sur la base des recommandations de la Commission de 1802 – contrairement au Génie qui commençait à développer ponctuellement l’emploi des courbes de niveau. « Sous la férule de Puissant jusqu’en 1830, l’école d’application devint le principal instrument de professionnalisation de la géographie »272.

Notes
266.

Cette courte partie sur la formation des ingénieurs géographes doit beaucoup à BRET Patrice. Le Dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs-géographes militaires en France (1789-1830). Op. cit.

267.

L’Ecole centrale des travaux publics créée le 28 septembre 1794 s’était révélée insuffisante sur le plan de la formation scientifique.

268.

BRET Patrice. Le Dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs-géographes militaires en France (1789-1830). Op. cit., p. 126.

269.

Ibid., p. 128.

270.

Pour une courte biographie de Puissant, voir : Ibid., p. 135-136.

271.

Ibid., p. 137.

272.

Ibid., p. 138.