2.3.1.3. Le problème de la gestion du personnel.

Jusque-là, les personnels de la carte de France et du Dépôt de la guerre étaient séparés. Les travaux de la carte étant temporaires284, ses employés n’étaient pas titulaires. D’après le général Pelet, directeur du Dépôt de la guerre depuis 1830, cette situation arrangeait un certain nombre d’entre eux, les autres étant libres d’essayer d’entrer au Dépôt de la guerre après de longs essais et à titre d’avancement. En titularisant tous les employés et en alignant les traitements versés, l’ordonnance de 1844 provoquait une lourde augmentation des dépenses, que le général Pelet estimait à 24 550 francs. Comme le budget alloué par les Chambres n’était pas pour autant augmenté et que le Dépôt de la guerre disposait d’une comptabilité séparée du ministère de la Guerre, l’ordonnance provoquait une diminution des fonds utilisables pour les travaux de production et ralentissait l’entreprise de la carte de France.

Le général Pelet s’opposa donc vivement à toutes modifications dans la gestion du personnel, mais il approchait de la retraite et sa position était fragilisée par « d’anciens dissentiments politiques », en particulier avec le ministre de la Guerre en charge à ce moment. Pelet – et Berthaut après lui – voyait dans ces dissentiments et des « raisons personnelles » l’origine de l’ordonnance du 16 juillet 1845, « cet acte qui détruisit la spécialité et la séparation du Dépôt de la guerre, qui avaient été reconnues indispensables, et consacrées huit mois auparavant par l’ordonnance du 4 novembre. »285

L’ordonnance de juillet semblait avoir une double finalité. D’une part, elle permettait d’écarter le général Pelet qui dirigeait le Dépôt depuis quinze ans, en le mettant dans le cadre de réserve et en lui ôtant presque toute autorité sur le personnel, la répartition du budget et l’ensemble des travaux. D’autre part, elle plaçait le Dépôt de la guerre en dépendance directe du ministère, en supprimant sa section comptable et en réunissant ainsi son budget et son administration à ceux des bureaux de la Guerre. Le financement des travaux du Dépôt et notamment de la carte de France s’en trouvait sensiblement complexifié, mais l’alignement des traitements du personnel ne posait alors plus de problème puisque leur paiement ne se faisait plus sur les fonds alloués au Dépôt.

Cependant, l’application de l’ordonnance fut une fois de plus de courte durée. En exécution d’un décret du Président de la République du 19 septembre 1850, le ministre de la Guerre, le général d’Hautpoul, arrêtait une nouvelle organisation du Dépôt de la guerre qui lui rendait définitivement son autonomie, en réintégrant les services d’administration et de comptabilité. Le personnel et les travaux de la carte de France n’étaient plus séparés, mais rattachés à la même division des travaux de géodésie, topographie, dessin et gravure. Cette organisation ne connut que peu de changements avant les modifications profondes qui suivirent la guerre de 1870286. Le rattachement du Dépôt de la guerre à son ministère connut seulement quelques variations minimes qui n’entraînèrent aucune perte d’autonomie : il devint ainsi la 6e direction de l’administration centrale en 1852, puis la 7e direction en 1869.

Si les tentatives d’intégration du Dépôt de la guerre dans l’administration centrale militaire se soldèrent toutes par un retour à une certaine autonomie, celle-ci ne s’appliquait que dans les domaines restreints de la gestion du personnel et de la comptabilité. Les programmes de travail dépendaient toujours de l’accord des autorités supérieures et l’autonomie financière assurée par le budget spécifique aux travaux de la carte de France se trouvait régulièrement remise en cause par les restrictions budgétaires décidées par la Chambre des députés.

Notes
284.

Je reviendrai plus tard sur ce point, mais la définition comme « temporaires » des travaux de la carte de France soulignait la persistance de ce que j’ai appelé la conception fixiste de la cartographie : il n’était pas encore envisagé de mener des révisions régulières de la carte qui était conçue comme un tableau figé du territoire à un moment donné.

285.

Tous les citations de Pelet sont tirées du Rapport de mai 1848 du général Pelet au général Cavaignac, Ministre de la Guerre, publié dans BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.1. Op. cit., p. 273.

286.

Voir infra, partie 2, chapitre 3.1.2.