3.1.1.3. Des méthodes stables.

En 1818, vingt-six ingénieurs géographes étaient employés pour les opérations géodésiques de la nouvelle description géométrique de la France. L’instruction de 1818 s’était basée sur les estimations de la Commission spéciale pour fixer le rendement exigé : en une campagne, un ingénieur géographe devait effectuer quinze stations pour les opérations de 1er ordre ou vingt-cinq stations pour les opérations de 2e ordre – sans compter les stations de 1er ordre où l’officier était obligé de revenir. Les directives ne prenaient absolument pas en considération la difficulté du terrain à parcourir et à trianguler, ce qui eut des conséquences parfois funestes dans les régions montagneuses305.

Les ingénieurs géographes opéraient selon les méthodes qu’ils avaient largement contribué à fixer au cours des travaux de la période impériale. Bien définies, elles ne connurent pratiquement aucun changement pendant toute la durée des travaux, à l’exception de quelques modifications instrumentales. Par exemple, la pyramide renversée qui devait réglementairement servir de sommet aux signaux géodésiques fut rapidement remplacé par une mire carrée plus pratique. Mais le principal changement fut l’adoption du théodolite répétiteur à deux cercles pour les triangulations de 2e et 3e ordres.

Comme je l’ai déjà souligné, les ingénieurs géographes privilégiaient l’emploi des cercles répétiteurs au cours des opérations primordiales et de 1er ordre, pour des raisons purement scientifiques de précision supérieure des mesures. Mais les travaux de 2e ordre demandaient un nombre bien plus élevé de stations, que l’instruction de 1818 avait d’ailleurs sous-estimée. D’après le Mémorial du Dépôt de la guerre, les officiers effectuaient entre trente et cinquante stations par campagne de 2e ordre, observant environ mille angles horizontaux et huit cents distances zénithales, sur une surface de deux milles cinq cents kilomètres carrés. A cela s’ajoutaient les calculs d’environ cinq cents triangles du 2e et 3e ordre et ceux servant à déterminer les trois coordonnées géographiques de cent soixante à deux cents points306.

Le théodolite répétiteur à deux cercles permettait un gain de temps important, à la fois parce qu’il ne nécessitait pas de réduire à l’horizon les angles mesurés et parce qu’il permettait d’effectuer les mesures de distances zénithales sans avoir à modifier l’orientation des cercles. Mis au point dans les années 1820, il fut donc rapidement préféré au cercle répétiteur pour les opérations ne nécessitant pas une extrême précision. Pour les triangulations de 2e et 3e ordres, les ingénieurs géographes utilisèrent essentiellement des modèles fabriqués par Gambey avec un diamètre de vingt-deux centimètres, qui permettaient des mesures directes avec une précision de vingt secondes centésimales – et de dix secondes par estimation. Particulièrement appréciés par les opérateurs, ces théodolites furent considérés comme « les meilleurs instruments dont les ingénieurs géographes et les officiers d’état-major [aient] disposé pour la triangulation française de 2e et 3e ordre »307.

Contrairement aux levés topographiques, les méthodes et les instruments utilisés pour les opérations géodésiques ne connurent aucune amélioration pendant les travaux. A quelques rares exceptions, toutes les opérations furent exécutées avec les mêmes modèles d’instruments, cercle répétiteur pour le 1er ordre et théodolite répétiteur à deux cercles pour les 2e et 3e ordres. Cette stabilité remarquable des méthodes et des instruments permit d’obtenir un réseau particulièrement homogène, à l’exception des régions annexées en 1860 et triangulées dans l’urgence à partir de résultats anciens pour ne pas retarder les levés topographiques. Mais la stabilité même des méthodes, qui n’avaient pas évolué depuis la fin du 18e siècle, provoqua une certaine remise en cause des résultats de la triangulation, tempérée par les besoins topographiques moins exigeants en précision.

Notes
305.

Voir infra, partie 1, chapitre 4.1.

306.

Mémorial du Dépôt de la guerre. T.IX. Paris : Ch. Picquet, 1853, p. 348.

307.

BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.1. Op. cit., p. 112.