3.1.2.2. Une précision suffisante aux applications topographiques.

Toutes les critiques exprimées à l’égard de la nouvelle triangulation m’apparaissent très légères au regard des attentes de perfection qu’elle avait suscitées lors de sa conception. Il est évident qu’une partie du discours des savants constituait à l’époque une forme plus ou moins consciente de propagande pour l’acceptation du projet, mais l’idéologie du progrès était déjà suffisamment ancrée dans les milieux scientifiques pour que l’essentiel de ce discours ait été prononcé en toute bonne foi. Je pense donc que l’acceptation relativement facile des défauts de la triangulation est une nouvelle preuve du basculement de la cartographie de préoccupations scientifiques à des préoccupations plus techniques – et donc plus pragmatiques.

Dans son analyse des corrections à apporter à la nouvelle description géométrique de la France, Puissant rappelait que ces corrections n’étaient « véritablement indispensables que dans les questions qui ont rapport à la recherche de la figure de la Terre, et aux inégalités de sa surface »310. Il sous-entendait ainsi pour la première fois que l’aspect scientifique de l’entreprise n’était pas aussi important que son utilisation comme base aux levés de la nouvelle carte de France. Que le plus savant des ingénieurs géographes, membre de l’Académie des sciences, relativise à ce point la place de la science dans les opérations géodésiques me semble un témoignage particulièrement révélateur de ce basculement vers les préoccupations techniques. A la fin du 19e siècle, Berthaut illustrait parfaitement la nouvelle prépondérance de ces préoccupations quand il soutenait la qualité suffisante de la triangulation en affirmant qu’ « à l’échelle de cette carte, […] une erreur absolue de 10 mètres sur la position d’un point, erreur considérable, inadmissible au point de vue géodésique, ne se traduit que par un déplacement d’une fraction de millimètre inappréciable »311.

La nouvelle description géométrique de la France marque ainsi une étape fondamentale dans l’évolution des rapports entre la géodésie et la topographie. Les préoccupations purement scientifiques qui avaient essentiellement présidé à son exécution s’effaçaient devant les préoccupations techniques et pragmatiques liées à la réalisation de la nouvelle carte de France, pour répondre aux nouveaux besoins administratifs et militaires. Le développement problématique des techniques de nivellement topographique, qui ne suffisaient pas encore à établir une représentation géométrique du relief, confirmèrent l’instrumentalisation de la géodésie à des fins topographiques.

Notes
310.

Cité dans Ibid., p. 26.

311.

Ibid., p. 26-27.