3.2.2. Les premières méthodes de levés topographiques du relief pour la carte de France.

3.2.2.1. La méthode initiale, dénaturation des principes de la Commission de 1802.

Au début des travaux de la carte de France, les limites des premiers instruments de nivellement topographique et les problèmes posés par les changements de l’échelle des levés entre 1818 et 1823 imposèrent l’évolution d’une méthode de levé topographique qui n’était déjà que peu formalisée. Si le recours à des instruments tendait à se développer avec l’adoption des boussoles à éclimètre, il restait encore limité. Par exemple, les instructions recommandaient d’effectuer les mesures de distances au pas ou à la chaîne, mais dans la pratique, cette dernière n’était que très rarement utilisée.

Jusqu’en 1824, les levés étaient effectués à l’échelle du 1 : 10 000326. Pour le levé du relief, l’instruction de 1818 prescrivait à l’officier de commencer par déterminer l’altitude des points remarquables du terrain à lever, le plus souvent situés sur les sommets, les crêtes ou les thalwegs. Pour cela, il devait se rattacher aux points géodésiques et déterminer les différences de niveau par la mesure des angles verticaux et l’utilisation d’une table calculée à cet effet. Le nombre de points ainsi déterminés devait être d’environ deux par kilomètre carré, mais l’officier supérieur pouvait fixer un nombre plus ou moins élevé selon le terrain.

Partant ensuite de ces points cotés, l’officier devait mesurer les angles de pente et tracer « la longueur de la hachure représentant la ligne de plus grande pente », « au moyen d’une table des cotangentes calculées pour une hauteur constante de dix mètre »327 – c’est-à-dire l’équidistance réglementaire des courbes approximatives pour le 1 : 10 000. La hachure ainsi tracée suivait généralement les lignes caractéristiques du terrain. En répétant la même opération sur toute la pente et dans différentes directions depuis le sommet, il pouvait ainsi tracer les courbes de niveau équidistantes de dix mètres328. Si certaines minutes au 1 : 10 000 et au 1 : 20 000 étaient représentées uniquement en courbes de niveau, la plupart des minutes comportaient aussi des hachures329.

Les hachures se retrouvaient ainsi aux deux extrémités de la représentation graphique du relief. Au début des opérations topographiques, les courbes de niveau ne pouvant pas, dans la pratique, être levées par la méthode du filage sur le terrain, elles étaient déterminées à partir du tracé des lignes de plus grandes pentes – c’est-à-dire de hachures. A la fin, ces mêmes courbes servaient à tracer les hachures manquantes – et disparaissaient parfois de la mise au net. La Commission de 1802 n’avait pas décrit le moyen pratique d’appuyer les hachures sur des courbes approximatives, ni précisé si ces courbes devaient être physiquement tracées. Je considère pourtant que la méthode employée au début des levés de la carte de France dénaturait les principes édictés par la Commission : à cause essentiellement des moyens instrumentaux disponibles, cette méthode faisait des courbes une simple construction intermédiaire entre le tracé de hachures représentant les lignes caractéristiques du terrain et le tracé des hachures plus figuratives qui « remplissaient » les vides.

Notes
326.

Durant tous les travaux de la carte de France, les levés étaient effectués sur des mappes, c’est-à-dire des réductions à l’échelle des levés de documents externes, quand ceux-ci étaient disponibles et communiqués à temps par les administrations du Cadastre ou des Eaux et forêts. Les levés cadastraux étaient jugés de très mauvaise qualité par les militaires, à la fois pour des raisons plus objectives liées à leurs conditions d’exécution, décentralisée et mal financée, et à la fois pour des raisons plus subjectives liées à l’opposition ancienne entre les ingénieurs civils et militaires (à la fin du 19e siècle encore, Berthaut parlait par exemple des « pauvres et ignorants employés des géomètres de villages » !). Ces documents externes nécessitant de nombreuses retouches, ils étaient réduits avec un pantographe, même après l’adoption des procédés photographiques de réduction en 1859. (La citation de Berthaut est tirée de BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 55.)

327.

« Art. III – Figuré du terrain », de l’instruction de 1818, reproduite dans BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.1. Op. cit., p. 295-296.

328.

Si le terrain était peu accidenté, une équidistance de cinq ou deux mètres pouvait être adoptée afin de faciliter le levé et d’éviter de tracer des hachures trop longues.

329.

Jusqu’en 1828, l’utilisation d’effets d’ombrage était suspendue tant qu’une commission n’en aurait pas déterminé le mode, mais elle fut définitivement interdite en 1828. Ibid..