4.1.1.2. Le parallèle moyen, l’unique opération menée en haute montagne sous l’Empire.

Sous l’Empire, les seuls travaux exécutés dans les conditions difficiles de la haute montagne concernèrent la détermination de la chaîne primordiale du parallèle moyen. Le ministre de la Guerre avait en effet ordonné le 22 mai 1811 l’exécution d’une campagne géodésique sur ce parallèle moyen, afin de rattacher à la carte de Cassini les travaux géodésiques et topographiques effectués en Suisse, en Savoie et en Italie, et de procurer une ligne trigonométrique perpendiculaire à la méridienne de Dunkerque. Pour une première fois, les besoins militaires, administratifs et scientifiques se rejoignaient sur un projet ponctuel, que Laplace appuya par exemple parce qu’il « considérait le Mont-Blanc comme le point le plus invariable de l’Europe, et le plus propre à servir de départ aux longitudes géographiques »371.

Commencées dès 1811, les opérations furent interrompues en 1813 par les événements politiques. Les parties allant de la méridienne à l’océan et des Alpes à Turin restèrent inachevées, mais le colonel Brousseaud avait eu le temps d’exécuter la partie intermédiaire. Même si ses travaux n’avaient concerné que des régions à la limite entre la moyenne montagne et la haute montagne – du moins dans nos conceptions actuelles –, il avait rencontré des difficultés spécifiques aux opérations en montagne, comme l’impact du mauvais temps. Ainsi, le 20 août 1811, la foudre tuait le garde de l’observatoire installé au Mont-Dore (massif Central, 1 050 mètres) et mit les instruments hors service. La partie du parallèle couverte par Brousseaud s’arrêtait aux monts Granier (massif de la Chartreuse, 1 933 mètres) et Colombier (massif des Bauges, 2 045 mètres), qui formaient un côté du triangle par lequel la chaîne était reliée à la triangulation de la Savoie : s’ils constituaient les Sommets les plus élevés des opérations de Brousseaud, leur ascension restait relativement facile, notamment parce que les itinéraires étaient déjà bien connus à cette époque.

Les opérations sur le parallèle moyenne ne reprirent qu’en 1818. Deux ans plus tard, Laplace faisait parvenir à l’Académie de Turin un mémoire rédigé par Brousseaud pour donner des renseignements sur le terrain de la triangulation entre les Alpes et Turin. Des négociations furent engagées pour l’achèvement de la chaîne du parallèle moyen en Italie par une commission austro-sarde, compliquées par les hésitations des Piémontais craignant – à juste titre – que les Autrichiens n’en profitent pour lever la topographie du territoire sarde. Brousseaud fut alors envoyé à Aix-les-Bains pour négocier officieusement et récupérer les archives du bureau topographique du Mont Blanc qu’il avait faites cacher à Chambéry en 1814372.

Finalement, la commission austro-sarde compléta la chaîne en 1822 avec treize triangles, mais en la déviant vers le sud afin de trouver des lieux plus faciles d’accès pour disposer les signaux. Les sommets restaient pourtant plus élevés que dans la partie française, avec par exemple le Mont Thabor (massif de Belledonne, 3 178 mètres), le Pic du Frêne (massif de Belledonne, 2 807 mètres) ou le col de la Roche-Chevrière (3 087 mètres). La modification du tracé de la chaîne montrait bien les habitudes de travail : d’une façon générale, les géodésiens plaçaient leurs signaux et effectuaient leurs stations en des lieux parfois élevés, mais d’accès relativement faciles et surtout connus – c’est-à-dire disposant de routes traditionnelles d’ascension susceptibles d’être montrées par les montagnards qui servaient de guides.

Mais pour les opérations géodésiques primordiales et de 1er ordre de la nouvelle description géométrique de la France, l’influence des savants imposa une méthode plus stricte aux ingénieurs géographes, en particulier dans la régularité du maillage des sommets de triangles. Les officiers ne purent donc pas éviter les régions plus méconnues et difficiles d’accès au cœur des massifs montagneux, ni l’ascension d’un grand nombre de sommets encore invaincus – sans que leur direction ne reconnaisse pour autant les conditions difficiles de leur travail.

Notes
371.

BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 9.

372.

BERALDI Henri. Balaïtous et Pelvoux. Op. cit., p. 88-89.