4.2.2.3. L’adaptation aux conditions de la haute montagne.

L’exigence de rigueur dans la reconnaissance se heurtait souvent aux conditions climatiques difficiles de la haute montagne, en particulier aux niveaux d’enneigement qui étaient à l’époque bien supérieurs à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Les opérations, déjà découpées plus strictement entre la reconnaissance et le levé proprement dit, pouvaient se trouver davantage morcelées encore. Les instructions générales insistaient sur la nécessité de parcourir systématiquement l’ensemble du terrain à lever pour avoir une perception cohérente de sa topographie, mais dans les régions montagneuses, les différentes zones de ce terrain ne pouvaient souvent être traitées que dans un ordre décousu, au fur et à mesure qu’elles devenaient accessibles.

Les conditions climatiques et le parcours malaisé du terrain accentuaient les difficultés de levé pour les « portions tout à fait alpestres, c’est-à-dire privées de végétation, couvertes de glaces, de rochers ou d’éboulement de pierres »411 – pour reprendre les termes mêmes de l’instruction de Borson de 1863. Pour l’étape de la reconnaissance, ces difficultés poussaient certains officiers à ne pas stationner systématiquement aux points géodésiques les plus difficiles d’accès, et à se contenter de les déterminer par des visées lointaines. Borson était obligé d’insister lourdement sur la nécessité « de se transporter à quelques-unes de ces stations, en commençant naturellement par les plus abordables, afin de reconnaître exactement depuis là les signaux des crêtes et pouvoir s’en servir »412. Mais compte tenu du travail à exécuter, les officiers n’avaient pas toujours le temps d’entreprendre des marches difficiles pour accéder aux stations que les officiers géodésiens moins pressés avaient déjà eu tant de mal à atteindre.

Pour les levés topographiques proprement dits, les instructions spécifiques aux opérations dans les Alpes reprenaient en partie les instructions générales. Pour les zones accessibles, elles recommandaient par exemple de ne pas utiliser la boussole, soumise à trop de variation, pour déterminer le canevas graphique, mais plutôt de se servir de l’éclimètre comme d’un cercle horizontal, en l’absence d’un instrument spécifique dont le poids serait adapté au transport en région montagneuse. Mais pour les zones difficiles d’accès ou inaccessibles, il était impossible d’employer la méthode de cheminement sur le terrain décrite dans l’instruction de 1851, qui consistait à tracer des fragments de courbes au fur et à mesure de l’ascension d’une pente jusqu’au sommet. Les officiers devaient donc employer une méthode expérimentée dans les Pyrénées, dans laquelle le relief était simplement représenté par des profils dessinés à vue et non géométriques, qui permettaient cependant de donner une idée suffisamment précise de la configuration du terrain pour sa représentation sur les minutes – dont le tracé des courbes :

‘« Les formes générales du terrain et les accidents secondaires se dessineront ensuite plus ou moins à vue, mais on aura bien soin, dans les stations les plus importantes, de dessiner un ou plusieurs profils, qui serviront à conserver une trace durable de l’aspect des lieux, et qui réunis et coordonnés avec d’autres, permettront d’obtenir un figuré assez précis de la région. Il ne s’agit point ici d’un dessin géométrique, mais d’une esquisse ou d’un croquis au crayon, accusant nettement les points ou sommets, les grandes arêtes qui s’en détachent, et la limite des glaciers. Ce n’est que par des profils pris ainsi sous diverses faces qu’on peut parvenir à reconnaître et à représenter convenablement une région dont les crêtes sont inaccessibles et dont le parcours est en grande partie impraticable ; sans cette précaution, il arriverait facilement de confondre entre elles des sommités et d’être le jouet d’une illusion. »413
Notes
411.

Instruction de Borson de 1863, reproduite dans : Ibid., p. 59

412.

Instruction de Borson de 1864. Op. cit., p. 62.

413.

Ibid., p. 61.