Pour accélérer la couverture des régions annexées, le Dépôt de la guerre adopta pour leur triangulation un mode d’opération beaucoup plus rapide que dans les autres régions. Les travaux existants furent exploités au maximum, en particulier pour éviter l’exécution de nouvelles opérations de 1er ordre. La raison officiellement avancée fut le retard accumulé par la carte de France dans son ensemble, mais je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence de la pression politique pour une couverture rapide de ces régions, ni l’insuffisance des compétences géodésiques des officiers disponibles. Quand ils n’étaient pas morts, les anciens ingénieurs géographes qualifiés dans le domaine de la géodésie primordiale ou de 1er ordre se trouvaient tous dans le cadre de réserve, à un âge trop avancé pour les travaux de terrain.
Le Dépôt de la guerre profita des clauses du traité de paix qui imposaient au gouvernement italien de céder tous les documents géodésiques et cartographiques qu’il possédait sur ces régions – autre preuve du rôle politique fondamental de la cartographie. Dans le Comté de Nice, la triangulation de Durand fut ainsi complétée par la chaîne primordiale qu’avait déterminée la commission austro-sarde pour l’extension du parallèle moyen. Les calculs furent simplement modifiés en intégrant les données de la triangulation des ingénieurs géographes par le côté Grand Coyer-Cheiron.
En Savoie, de nombreux points avaient déjà été déterminés par des opérations précédentes : triangulation du département du Mont Blanc, triangulation de la Suisse par Henry, parallèle moyen, triangulation intermédiaire par Filhon. Même s’ils n’étaient pas aussi nombreux que dans la triangulation de 1er ordre exécutée pour la nouvelle description géométrique de la France, ils servirent directement de base aux opérations de 2e et 3e ordre. « En 1861, les triangles compris sur les feuilles de Thonon, Nantua, Annecy, Allevard et Chambéry furent exécutés par cinq capitaines d’état-major. L’année suivante, le nombre des opérateurs fut augmenté et le travail poursuivi sur les feuilles d’Albertville, Annecy, Vallorcine, Tignes, Bonneval et Allevard (Saint-Jean-de-Maurienne), où il s’acheva en 1863 »414.
Contrairement aux autres opérations géodésiques de la carte de France qui n’avaient été exécutée que par d’anciens ingénieurs géographes415, la géodésie de 2e et 3e ordre des régions annexée fut en partie confiée à des officiers d’état-major, puisqu’il ne restait pratiquement plus aucun ancien ingénieur géographe en activité. Ainsi, des officiers comme le capitaine Taffin ou Proust participèrent à la triangulation de la Savoie et du Comté de Nice.
BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 42.
A l’exception de quelques zones côtières couvertes par des ingénieurs hydrographes.