Partie 2. D’une carte de France à l’autre, l’adoption d’une représentation entièrement géométrique du relief (1870-1920).

Au début du 19e siècle, la Commission de topographie de 1802 et les différentes commissions réunies pour établir les spécifications d’une nouvelle carte de France avaient confirmé l’adoption d’une représentation géométrique du relief, c’est-à-dire fondée sur des mesures instrumentales et un système graphique basé sur des règles géométriques – et non plus figuratives. Mais l’absence de besoins pratiques et les limites du nivellement topographique imposèrent finalement à la carte d’état-major une géométrisation seulement partielle du relief, basée essentiellement sur les données issues de la triangulation. La représentation du relief restait spécialement figurative dans les régions de haute montagne, jugées inintéressantes pour les utilisateurs potentiels de la carte. Si cette géométrisation partielle du relief avait véritablement fondé la cartographie topographique, au sens moderne du terme, elle s’était imposée dans une conception encore essentiellement fixiste de la cartographie, pour laquelle les applications utilitaires de la carte restaient moins importantes que son rôle de tableau figé du territoire. Pourtant, l’influence dominante des militaires favorisait la prise en compte des besoins pratiques, posant les bases d’une conception que j’ai qualifiée d’utilitariste de la cartographie, qui ne commença à s’imposer qu’à la fin du 19e siècle.

En effet, après trois quarts de siècle dominés par la conception et la réalisation de la carte d’état-major, le dernier quart du 19e siècle fut marqué par une mutation majeure de la cartographie, autour de l’affirmation de cette conception utilitariste et d’une géométrisation généralisée de la représentation du relief. Le développement de l’alpinisme et d’une nouvelle forme d’intérêt scientifique pour la haute montagne avait provoqué l’apparition de nouveaux besoins, auxquels la carte de France répondait si mal qu’un mouvement durable de critique, puis de cartographie alternative, se créa à l’interface des découvertes scientifique et touristique de la montagne. Le choc de la défaite de 1870 confronta brutalement les autorités militaires à la question de l’actualité de la carte, favorisant une remise en cause profonde de leur conception de la cartographie, tant au niveau de l’utilité des cartes que de la validité des informations qu’elles contenaient. Cette remise en cause se traduisit par de profondes modifications institutionnelles, qui marquèrent les reconnaissances successives de la spécificité du travail cartographique et de l’expertise technique procédant de cette spécificité. Enfin, l’importance nouvelle donnée à la topographie par la domination de l’influence militaire favorisa une évolution méthodologique vers la généralisation d’une représentation entièrement géométrique du relief essentiellement basée sur des techniques topographiques, évolution qui marquait l’inscription définitive dans un paradigme de développement scientifique de la cartographie.