1.1.2.2. La vallée de Chamonix comme modèle d’une iconographie fantastique.

Jusqu’à la fin des années 1760, le style des représentations artistiques était encore profondément marqué par la perception ancienne des montagnes. Les artistes figuraient essentiellement des aiguilles acérées, même pour des sommets arrondis comme le Mont Blanc. Ce ne fut qu’au cours de la décennie suivante que l’iconographie de la haute montagne se mit véritablement en place, sur le modèle de la représentation de la vallée de Chamonix, popularisée par les expéditions de Saussure. Les deux images de François Jalabert, probablement dessinées en 1767 lors de son voyage avec Saussure, annonçaient déjà une évolution. Mais les changements majeurs se trouvent chez l’Anglais William Pars d’abord, puis chez le Suisse Marc-Théodore Bourrit (1735-1815), qui représenta de nombreux sommets et glaciers pour la première fois, et chez le Prussien Hackert, qui connut la renommée avec seulement quelques gravures.

Deux types de représentation s’opposaient, celui de la montagne comme paradis terrestre, avec des paysages bucoliques de campagnes calmes et reposantes qui se prolongeaient sans rupture en langues glacières puis en sommets enneigés et arrondis, et celui de la montagne comme spectacle sauvage, aiguilles acérées, cieux menaçants, tout en verticalités et en aspérités. Les artistes privilégiaient le sentiment au réalisme, à tel point que Bourrit ajouta parfois des rochers en forme de géants. Des personnages, parfois l’artiste lui-même, surtout chez Bourrit, étaient représentés pour souligner la différence entre la taille humaine et les hauteurs. Hackert reprit l’opposition entre la campagne paisible et habitée et les hauteurs minérales et désertes, mais avec plus de subtilité que Pars. Il proposa une représentation moins fantastique, avec un plus grand souci de fidélité, qui était mise en valeur par les contrastes de luminosité et de couleurs dominantes (blanc des sommets et vert de la vallée). Sa vision des monts avait cependant quelques accents de féerie, marquée par la dominante blanche et bleue et un ciel systématiquement dégagé. Sa représentation de la vallée vue de l’est devint un modèle souvent imité.