1.2.1. Les nouvelles conceptions scientifiques de l’orogenèse.

1.2.1.1. Plutonisme, neptunisme, géographie théorique : la montagne vue par les philosophes et les géographes de cabinet.

Comme pour leur représentation artistique, la découverte scientifique des montagnes ne commença pas sur le terrain même. Les premiers systèmes orographiques étaient l’œuvre de savants ou géographes de cabinet qui les englobaient dans leurs essais d’explication du monde. Les mécanistes voyaient dans la surface de la terre un champ de ruines issu de phénomènes géologiques. Le cartésianiste anglais Thomas Burnet (1635-1715) tenta de concilier science et religion dans sa Telluris theoria sacra (1681), en présentant la vision catastrophiste d’une création de la terre en sept étapes exécutée selon les plans de Dieu. Dans sa Protogeae (publiée seulement en 1749), Leibniz (1646-1716) supposait que la Terre était un ancien corps incandescent et que le feu primitif avait formé les grandes inégalités de la surface terrestre. Ces idées, reprises par Buffon qui ouvrit son Histoire Naturelle par une Théorie de la Terre en 1749, formaient la base théorique du plutonisme. Le neptunisme, formalisée par Abraham Werner (1750-1817), considérait au contraire que l’eau et la mer étaient à l’origine des formations géologiques par dépôts successifs de strates à partir d’un océan originel. L’opposition entre les deux théories se cristallisa autour de la querelle emblématique sur la nature du basalte : sédiment aqueux ou ancienne lave.

Le premier système orographique cohérent indépendant d’une théorie géologique plus générale fut formulé par Philippe Buache (1700-1773) dans son Essai de géographie physique présenté le 15 novembre 1752 à l’Académie des sciences. Il y développait l’idée que les montagnes formaient une suite continue se prolongeant sous les mers et qu’elles constituaient la charpente de la terre. En mettant en relation chaînes de montagne et fleuves, il débouchait sur la notion de bassins séparés par des lignes de crête. Palliant par la logique de sa théorie à la connaissance limitée des régions montagneuses, il utilisait les indices que fournissaient les rivières pour déterminer la position des chaînes, plaçant parfois des reliefs fictifs sur les lignes de partage des eaux. Il dressa de nombreuses cartes, parmi lesquelles sa fameuse Carte physique ou géographique naturelle de la France, divisée par chaînes de montagnes et aussi par terreins de fleuves et rivières, présentée manuscrite à l’Académie en 1744 et 1752, puis publiée en 1770.