1.2.3. De la géomorphologie à la topologie appliquée à la cartographie.

1.2.3.1. L’apparition de la géomorphologie à la fin du 19e siècle.

Le développement de la glaciologie entre 1820 et 1850 entraîna la formulation d’un ensemble de théories qui remettait en cause les objections traditionnelles au fluvialisme. A la suite des travaux de Louis Agassiz, de nombreux géologues furent convaincus qu’un âge glaciaire relativement récent était responsable des phénomènes géologiques jusque-là attribués à des catastrophes. Robert Jameson et William Buckland expliquèrent ainsi une partie du relief anglais par l’action d’anciens glaciers. L’érosion fluviale fit l’objet de nouveaux travaux dans les années 1850, et des études de la géologie des Etats-Unis fournirent des exemples particulièrement probants de l’efficacité de l’érosion éolienne476. Les géologues écossais Ramsay et Geikie publièrent une série d’ouvrages appliquant les analyses fluvialiste et glaciaire aux formes du terrain, dans laquelle ils attribuaient l’origine de ces théories à Hutton477.

L’apparition du terme « morphologie » dans le vocabulaire géologique fut contemporain de cette réaffirmation des thèses huttoniennes : la première occurrence connue se trouve dans un manuel de géologie de Karl Frederich Naumann publié en 1850-1854, où, reprenant un terme introduit dans le vocabulaire scientifique par Goethe, il parlait de « morphologie de la surface terrestre ». Mais la première utilisation du terme géomorphologie en référence à l’origine et au développement des formes de la surface terrestre est généralement attribuée à Penck, même si la plupart des géologues actuels reconnaissent William M. Davis comme le véritable fondateur de cette discipline.

Le début des recherches géomorphologiques de Davis date des années 1880. S’éloignant des études de cas que menaient tous les géologues américains de l’époque, Davis s’orienta immédiatement vers une tentative d’interprétation globale du développement de la surface terrestre. Bien que ses travaux sur le sujet s’étalent de 1884 à 1934, il formula son concept des cycles géographiques (« geographic cycle ») pour la première fois en 1899. Celui-ci reposait sur l’idée que les variations climatiques produisaient les paysages différents, mais que la tectonique pouvait « remettre l’horloge à zéro »478. La simplicité de son modèle conceptuel explique sans doute son rapide succès international. Si l’objet de la géomorphologie resta enseigné jusqu’à la fin du 19e siècle au sein de la géologie ou de la géographie physique, les travaux de Davis fixaient un cadre conceptuel et une terminologie plus ou mois normalisée pour la description et l’étude des formes du terrain, posant les fondations d’une nouvelle discipline indépendante479.

Si dans de nombreux écrits, Davis affirma la filiation de la géomorphologie avec les œuvres de Hutton et Playfair, installant durablement Hutton comme le précurseur légendaire de la discipline – puisqu’il n’était que rarement lu dans le texte –, il reconnaissait aussi dans l’œuvre du géographe Carl Ritter un changement fondamental pour la géographie en tant que science. En s’émancipant des thèses catastrophistes et en adoptant la théorie uniformitariste, celui-ci aurait marqué dès 1858 l’alliance entre la géographie et la géologie. Pourtant, si une « nouvelle » géographie480 se développa effectivement à la fin du 19e siècle avec une préférence pour la géographie physique, ce fut plus dans la tradition des travaux de Humboldt que de ceux de Ritter.

Notes
476.

Dans le cadre des recherches du United states geological survey (USGS), qui s’occupait non seulement de géologie mais aussi de la réalisation de cartes topographiques, J.W. Powell et G.K. Gilbert fournirent par exemple des descriptions détaillées des paysages de l’ouest américain, dans lesquels les exemples d’érosion éolienne étaient nombreux.

477.

DEAN Dennis R. James Hutton’s role in the history of geomorphology. Op. cit., p. 80.

478.

Pour une étude détaillée de l’œuvre de Davis, voir le classique CHORLEY R.J., BECKINSALE R.P., DUNN A.J. The History of the study of landforms or the Development of geomorphology. Vol. 2. The Life work of William Morris Davis. Londres : Methuen and Co, 1973, 874 p.

479.

VITEK John D., RITTER Dale F. Geomorphology in the USA. In The Evolution of geomorphology, op. cit., p. 474-475.

480.

Je laisse l’adjectif nouvelle entre guillemets parce que cette approche de la géographie ne fut jamais officiellement qualifiée de « nouvelle » et qu’elle se développa dans des perspectives très différentes selon le pays, sans former une école unique, même si certaines caractéristiques étaient partagées.