1.2.3.2. La « nouvelle » géographie.

Les historiens de la géographie considèrent Alexander von Humboldt (1769-1859) et Carl Ritter (1779-1859) comme les fondateurs de la géographie en tant que discipline autonome. Par leur effort de synthèse, leurs travaux marquaient la fin de la période dite classique, en même temps qu’ils marquaient le début de la période dite moderne par l’affirmation de deux principes fondamentaux : la solidarité du monde physique, selon lequel tous les éléments géographiques doivent être considérés comme interdépendants – un principe surtout présent chez Humboldt ; et la géographie comparée, selon lequel tout phénomène doit être comparé aux phénomènes de même nature se retrouvant dans le reste du monde – surtout présent chez Ritter481.

Malgré la faveur de Davis pour Ritter – en partie due à l’adoption partielle et tardive des théories huttoniennes par Humboldt482 –, le développement d’une « nouvelle » géographie dans l’Allemagne des années 1870 se fit surtout sous l’influence prépondérante des travaux de Humboldt. Ferdinand von Richthofen fut la figure principale de ce renouveau : sous l’impulsion du développement des universités comme lieu de recherche et en rupture avec l’héritage classique de Ritter, il définit la géographie dans une perspective humboldtienne comme l’étude principale des phénomènes en interrelation sur la surface terrestre, en commençant par les phénomènes physiques mais dans l’objectif final d’analyser les relations des hommes avec l’environnement physique483.

Suivant le même schéma qu’en Allemagne, marqué par la prédominance d’une figure fondatrice, la « nouvelle » géographie se développa rapidement en France, puis dans d’autres pays européens et aux Etats-Unis, mais dans des perspectives très différentes selon l’héritage culturel national. En France, l’influence de Philippe Buache resta dominante jusqu’au milieu du 19e siècle, malgré de nombreuses oppositions484, au point qu’en 1827, l’officier Denaix décrivait encore la géographie française avec des bassins de drainage bordés par des montagnes comme l’avait fait Buache485. Absente des universités dans lesquelles les chaires de géographie des facultés de lettres étaient occupés par des historiens, la géographie était considérée comme une discipline utilitaire et descriptive, sans fondement méthodologique, séparée distinctement de la géologie et de son esprit de système – d’ailleurs enseignée dans les facultés de sciences. Mais comme dans bien d’autres domaines, la guerre franco-prussienne de 1870 provoqua un sursaut de patriotisme scientifique. Jusqu’à la fin du siècle, une « nouvelle » géographe se développa en France sous l’influence majeure de Paul Vidal de la Blache, qui devint en 1898 le premier géographe à occuper la chaire de géographie de la Sorbonne créée en 1809 – une disposition qui fut suivie par une augmentation rapide des postes de géographes dans les autres universités françaises.

En France, la « nouvelle » géographie ne se développa pas sur une opposition systématique entre géographie physique et géographie humaine. La pensée vidalienne s’inscrivait dans une étude précise des relations entre l’homme et son milieu physique dans des régions limitées : selon lui, la nature fixait les limites et offrait les possibilités de colonisation des hommes, mais la façon dont ceux-ci réagissaient et s’ajustaient à ces conditions dépendaient de leur genre de vie traditionnel. La conception vidalienne de la géographie se développa ainsi sans se soucier véritablement de définir la géographie comme un champ unique ou multiple, en particulier avec les disciples précoces que furent Jean Brunhes en géographie humaine et Emmanuel de Martonne en géographie physique.

Notes
481.

MARTIN Geoffrey J., PRESTON E. James. All possible worlds. A history of geographical ideas. 3e édition. New York : John Wiley & Sons, 1993, p. 113-132.

482.

Au début de sa carrière, Humboldt défendait les théories neptuniennes de Werner, qui formèrent en grande partie sa vision de la géographie.

DEAN Dennis R. James Hutton’s role in the history of geomorphology. Op. cit., p. 80-82.

483.

MARTIN Geoffrey J., PRESTON E. James. All possible worlds. Op. cit., p. 162-167.

484.

Souvent très documentées d’ailleurs, comme le Précis de géographie universelle (1810) de Malte-Brun ou la carte géologique de la France publiée en 1823 par J. J. d’Omalius d’Halloy.

485.

DENAIX A. Essais de géographie méthodique et comparative. Paris : [s.n.], 1827.